L’article 15 de ce projet de loi prévoit « la mobilisation du bois par une politique forestière rénovée. »
Pourtant, ce projet réclame non plus de produire plus de bois tout en préservant la biodiversité, mais seulement de produire plus de bois. Vous poussez ainsi à récolter du bois dans les espaces les moins accessibles, donc les plus préservés, sans vous soucier des enjeux de la biodiversité, alors que l’année 2010 est justement placée sous le signe de la biodiversité !
Tous les amendements que nous avons déposés sur l’article 15 sont là pour rappeler la multifonctionnalité de la forêt et souligner l’importance de cette nature multiforme pour la protection de l’environnement et de la forêt. Or, ces impératifs de protection, vous les avez simplement écartés de la politique forestière, oubliant par là même que la forêt, tout comme l’alimentation, n’est pas un produit quelconque et ne doit pas être considérée comme tel.
La gestion des forêts publiques par l’Office national des forêts a permis au patrimoine public de bénéficier d’unité et de professionnalisme de gestion dans des conditions qui font de la France l’un des modèles en la matière.
Dans l’Allier, l’ONF gère plus de 27 000 hectares de forêts domaniales ou communales, et aide les propriétaires privés à gérer plus de 35 000 hectares dans le respect des essences, de la régénération naturelle et du temps, aussi, afin d’éviter que ces forêts ne se transforment en bois de chauffage.
Or l’ONF perd peu à peu son rôle d’acteur public, entraîné dans des projets commerciaux et de productivité. Les répercussions sur les missions annexes de l’ONF sont déjà sensibles : moins de personnel et de temps pour l’entretien des voies et des pièces d’eau, pour la gestion et la transmission, pour l’accueil et la sensibilisation, hier gratuits, aujourd’hui payants.
Si vous souhaitez réellement développer la filière bois, il est nécessaire de mettre un coup d’arrêt au démantèlement d’un maillon qui lui est essentiel, l’Office national des forêts. Cessez de faire passer le chiffre, la statistique et l’économie de moyens avant l’intérêt général, avant les missions essentielles de la forêt !
Voilà pourquoi nous sommes opposés à l’amendement du Gouvernement qui réintroduit une disposition, pourtant censurée par la commission de l’économie, préfigurant la privatisation de l’ONF, à l’instar de ce qui a été fait pour La Poste.
Nicolas Sarkozy nous dit qu’il faut produire plus de bois, et que la forêt privée française est sous-exploitée, et ce depuis vingt-cinq ans. Pourtant, selon l’inventaire forestier national, le massif forestier national n’est riche que de 22 % de bois de diamètre admis pour le gros bois. De même, comparé à celui de nos voisins européens, notre capital sur pied en bois commercialisable est limité. Il est estimé à 170 mètres cubes par hectare, contre 330 mètres cubes par hectare en Suisse et 280 mètres cubes par hectare en Allemagne et en Slovénie.
Dès lors, une baisse systématique de l’âge d’exploitabilité des forêts risque d’être engagée, afin de répondre à ce problème lancinant de la sous-exploitation.
Il est dit qu’il faut produire plus de bois ; mais plus de quel bois ? La forêt ne peut s’apparenter à un supermarché où chacun devrait pouvoir se fournir à volonté et dont l’ONF serait le gérant, son rôle devant se limiter à disposer en permanence dans les rayons les produits demandés : s’il y a un problème avec les feuillus en général et le hêtre en particulier, alors qu’a contrario les résineux marchent bien, il faudrait donc tout simplement que les rayons regorgent de résineux !
Ce que vous nous proposez, c’est une forêt qui réponde en tout point aux besoins ponctuels du marché. Envisager l’inverse – que ce soit plutôt l’industrie qui s’adapte à la forêt – n’est pas dans la logique de ce projet de loi.
Le Gouvernement s’est fixé un objectif de récolte supplémentaire de 21 millions de mètres cubes d’ici à 2020. La forêt privée, qui représente, avec 11 millions d’hectares, les trois quarts de la surface forestière française, « devra contribuer de façon importante à l’atteinte de cet objectif ».
Pour ce faire, vous proposez la création de plans pluriannuels régionaux de développement forestier, qui n’auront pour seule ambition que de soumettre la forêt au marché, qui seront opposables aux tiers et devront « assurer une meilleure adéquation entre l’offre et la demande ».
Les stratégies locales de développement élaborées à l’échelle d’une ou plusieurs collectivités doivent être conformes à ce plan élaboré sous l’égide du préfet de région, ce qui veut dire que les stratégies communales devront se soumettre à la loi du marché et à la tutelle du préfet de région, ce qui n’est que le prolongement de votre projet d’organisation territoriale.
Enfin, comme en matière d’alimentation, nous souhaitons la valorisation des filières courtes et du commerce de proximité. Nous souhaitons, autrement dit, une valorisation locale des bois et le maintien de sites de transformation au sein des territoires forestiers, qui induirait une réduction importante du transit des bois – il se fait trop souvent par camion – et aurait également un effet important sur le maintien de l’emploi et le maillage du territoire.
On peut se demander si le concept de « multifonctionnalité » est encore d’actualité, car, si l’on veut répondre aux objectifs fixés à Urmatt par le Président de la République, il est impossible de faire de la « forêt compétitive en la préservant mieux ». On peut faire l’un ou l’autre, mais pas les deux !
La forêt n’est pas une usine à bois. Le rythme de la forêt – cinquante, voire cent cinquante ans ! – n’est pas celui du marché. Il suffit pour cela de regarder la forêt de Tronçais, la plus grande chênaie d’Europe, située dans mon département, dont le rythme atteint… deux siècles !