Intervention de François Baroin

Réunion du 6 juin 2006 à 16h00
Immigration et intégration — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

François Baroin, ministre de l'outre-mer :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de présenter devant la Haute Assemblée, après M. le ministre d'État, les dispositions relatives à l'immigration clandestine en outre-mer.

En effet, le titre VI de ce projet de loi concerne non pas l'immigration régulière en outre-mer, mais bien cette immigration illégale, dont les proportions sont sans commune mesure avec la métropole.

Ce sont des situations humaines inacceptables et parfois tragiques. Chacun le sait, des hommes, des femmes et des enfants prennent désormais des risques insensés sur des embarcations de fortune, tentent de rejoindre les côtes françaises et y trouvent parfois la mort.

Ce sont des filières clandestines, qui déstabilisent des territoires fragiles et bouleversent les équilibres sociaux et économiques ultramarins. Comment ne pas évoquer les constructions illégales à Cayenne - n'est-ce pas, monsieur le président Othily - ou les bidonvilles de Mayotte ?

Ce sont des comportements individuels qui portent atteinte à notre pacte social. Que penser, par exemple, des femmes mahoraises qui refusent la scolarisation de petits anjouanais ? C'est dire l'état d'exaspération, pour ne pas dire plus, de la société mahoraise dans sa globalité face à la situation à Mayotte.

Ce sont des proportions de clandestins qui poseront à terme - pourquoi le taire ? - la question de la souveraineté française sur ces territoires. En effet, selon certaines estimations, les étrangers en situation irrégulière représentent plus du tiers de la population à Mayotte, et ce niveau atteint désormais près de 25 % en Guyane.

Ce sont également des situations inacceptables, qui engendrent la violence et parfois même la mort. En présence de M. le ministre d'État, je tiens à rappeler et à saluer la mémoire des agents des forces de l'ordre récemment tués dans l'exercice de leurs fonctions en Guyane.

Soyons lucides : la France n'a pas suffisamment anticipé la proportion des flux migratoires auxquels elle doit aujourd'hui faire face en outre-mer. Elle n'a donc pas réagi à temps.

Il faut être conscient de la situation à laquelle nous sommes confrontés. Ni l'armée française ni la police dans sa globalité ne suffiront à surveiller l'ensemble si vaste des côtes et des fleuves de Guyane. On ne pourra pas ériger de barrières autour de la Guadeloupe, de la Martinique ou de Mayotte, mettre en place un dispositif de barbelés autour de ces îles !

Il nous faudra mener une politique fondée sur le triptyque que Nicolas Sarkozy vient d'évoquer, c'est-à-dire un renforcement de l'arsenal juridique, une action diplomatique vigoureuse et des mesures de codéveloppement et de partenariat là où c'est utile, pour permettre à ces candidats à l'immigration de bien comprendre le message de la France sur nos territoires ultramarins. Nous n'avons pas les moyens économiques et sociaux, notamment en termes de logement, d'accueillir dignement ces personnes, du moins de manière conforme à l'image que nous nous faisons tous des valeurs de la République.

Il nous faut donc agir rapidement. Comme l'a rappelé à juste titre le rapporteur M. Buffet, la prise de conscience du phénomène est encore récente. L'urgence de la situation exige également la mise en place d'un dispositif juridique musclé et renforcé.

La concertation préalable avec les élus est indispensable sur nos territoires. Les propositions qui sont faites résultent du travail très important fourni par le comité interministériel de contrôle de l'immigration, qui est présidé par le Premier ministre, et des propositions de la mission d'information sur la situation de l'immigration à Mayotte, que j'avais souhaitée et qui s'est rendue sur place sur l'initiative de la conférence des présidents de l'Assemblée nationale.

Ces propositions résultent également de votre commission d'enquête sur l'immigration clandestine, dont je salue l'ensemble des membres. Cette commission a apporté un éclairage très précieux. En effet, elle a alerté la société française sur la réalité d'une situation que je m'étais pour ma part efforcé de dénoncer avec respect, mais également avec beaucoup de force. Ses travaux ont éclairé les débats dans l'élaboration de ces dispositions.

Permettez-moi simplement de rappeler le cadre juridique dans lequel vous serez amenés à intervenir. Là encore, les mesures qui vous sont proposées s'inscrivent pleinement dans notre cadre constitutionnel.

Ainsi, l'article 73 de la Constitution, qui concerne les départements et les régions d'outre-mer, dispose que la législation peut faire « l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».

S'agissant de Mayotte, l'article 74 de la Constitution - ce n'est pas à des membres de la Haute Assemblée que je le rappellerai - permet d'élaborer une législation conforme aux intérêts propres de cette collectivité, ce qui peut bien sûr nous amener à aller plus loin dans les dispositifs législatifs dérogatoires au droit commun applicables constitutionnellement en outre-mer.

Bien évidemment, au nom du principe d'identité législative, l'intégralité du projet de loi présenté par Nicolas Sarkozy s'appliquera aux départements d'outre-mer ainsi qu'à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Enfin, il vous est proposé, conformément à l'article 38 de la Constitution, d'autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures nécessaires à l'application des dispositions de ce projet de loi dans les collectivités d'outre- mer, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises.

Naturellement, là aussi s'agissant de la méthode, pour la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et les îles Wallis-et-Futuna, il sera procédé à une consultation préalable des assemblées délibérantes, avec le souci constant du consensus nécessaire à la vie politique et sociale en outre-mer.

Dans le même esprit de respect des institutions locales et des autorisations accordées préalablement par le Parlement, le Gouvernement vous demandera de ratifier un certain nombre d'ordonnances relatives aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers et au droit d'asile.

Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de vous expliciter rapidement les grandes lignes des mesures législatives que nous vous présentons, ainsi que les objectifs pour l'outre-mer.

Il s'agit, en premier lieu, de faciliter, pour les forces de l'ordre, la recherche et l'interpellation des clandestins, en luttant contre les filières organisées.

Des contrôles d'identité en vue de lutter contre l'arrivée de clandestins seront désormais permis dans une bande terrestre bien déterminée en Guadeloupe - nous en avons parlé lors de mon récent déplacement - et à Mayotte - nous l'avons également abondamment commenté avec M. le Premier ministre, lors de son déplacement à la Réunion. Cette mesure sera expérimentée pour une durée de cinq ans, au terme de laquelle un bilan sera effectué. Il est en effet logique de se donner des rendez-vous pour évaluer l'application des politiques publiques. De même, des contrôles sommaires des véhicules pourront être effectués dans des conditions similaires.

Le combat contre les filières sera intensifié. C'est le sens des propositions gouvernementales, enrichies par le débat à l'Assemblée nationale. Les forces de l'ordre disposeront désormais d'un fondement juridique pour détruire, en Guyane, les embarcations fluviales non immatriculées. En Guyane, en Guadeloupe et à Mayotte, il sera possible d'immobiliser les véhicules terrestres, autres que particuliers naturellement, servant à transporter illégalement des clandestins.

Par ailleurs, afin de tenir compte des particularités géographiques de Mayotte, le projet de loi vise à porter de quatre à huit heures le délai dont disposent les forces de l'ordre pour procéder à l'interpellation des clandestins et à leur placement en centre de rétention administrative.

L'Assemblée nationale a d'ailleurs adopté, dans un souci de cohérence, un amendement visant à porter à huit heures la durée maximale pendant laquelle les véhicules faisant à Mayotte l'objet d'une visite sommaire peuvent être immobilisés. Le Gouvernement était favorable à cette initiative, et, si la Haute Assemblée le souhaite, il accompagnera cette démarche.

Ce projet de loi modernise, en second lieu, notre droit afin de rendre nos procédures administratives plus efficaces. Il s'agit de se donner enfin les moyens de faire face à la pression migratoire, de gérer avec plus de cohérence les mesures d'interdiction du territoire et d'expulsion, ainsi que d'adopter une démarche volontariste de lutte contre le travail clandestin.

Ainsi, le projet de loi vise à étendre le caractère non suspensif des recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière à l'ensemble des communes de la Guadeloupe. Cette mesure, déjà applicable dans la commune de Saint-Martin, sera, là encore, expérimentée pendant une durée de cinq ans. À ceux qui s'interrogent, qui s'inquiètent, qui considèrent que cette mesure est trop dérogatoire, je réponds : « Regardez ce qui s'est passé en Guyane. Nous devons aller plus loin. Pourtant, un outil existe. Regardez ce qui se passe à Saint-Martin. Compte tenu de l'évolution de la situation et sa dégradation, nous devons maintenir cet effort. » Donnons-nous donc rendez-vous dans cinq ans. Nous verrons alors si, grâce à une maîtrise plus rigoureuse des flux migratoires, mais aussi en fonction de la situation d'Haïti, laquelle est instable, nous avons obtenu des résultats satisfaisants, qui nous permettront alors de débattre à nouveau de ces dispositions.

Ce texte prévoit, de plus, l'extension à l'ensemble du territoire de la République des mesures d'interdiction du territoire, de reconduite à la frontière et d'expulsion prononcées en outre-mer. Il prévoit aussi de limiter l'autorisation de travail accordée à l'étranger sur le fondement d'un titre de séjour au seul département pour lequel elle a été délivrée. Ce point, même s'il est technique, est important. Il est éclairant sur la nécessité d'évoluer dans un cadre juridique renforcé.

Enfin, j'ai souhaité, après de nombreuses discussions au sein du Gouvernement, renforcer la lutte contre le travail clandestin. Cette pratique, qui, jusqu'à maintenant, il faut bien le dire - je parle sous le contrôle des représentants mahorais au Sénat - était plus ou moins tolérée à Mayotte, doit cesser. On ne peut se plaindre de l'immigration clandestine et, dans le même temps, y avoir recours pour son usage privé. Ce type de comportement n'a plus sa place dans notre République.

Un débat anime vigoureusement la société mahoraise concernant son évolution vers la départementalisation. Il faut, à l'occasion de l'examen de ce texte, permettre, sous l'autorité de M. le ministre d'État, d'appliquer des contrôles avec une plus grande rigueur et de limiter les abus en matière d'exploitation des travailleurs clandestin.

À l'issue de nos débats, ce projet de loi rendra applicable les mesures de contrôle contre le travail dissimulé prévues par le code du travail de la collectivité départementale de Mayotte aux employés de maison, qui s'en trouvaient jusqu'à présent exclus. Les inspecteurs du travail seront sollicités.

Enfin, sous le contrôle du juge, les officiers de police judiciaire seront autorisés à procéder à des visites domiciliaires, à perquisitionner et à saisir des pièces à conviction sur les lieux de travail, même lorsqu'il s'agit de locaux habités. Il faut être allé sur place pour se rendre compte que ces outils juridiques sont nécessaires.

Je précise que l'Assemblée nationale, lors de l'examen du projet de loi, a approuvé une forte augmentation, de cent à mille fois le SMIC horaire en vigueur à Mayotte, du montant des amendes administratives pouvant être infligées par le préfet aux employeurs de travailleurs clandestins, à défaut de poursuites judiciaires. Nous allons travailler à la fois en amont et en aval.

Personne ne l'ignore sur ces travées, nous proposons, après un vif débat, de modifier à Mayotte les règles de reconnaissance de paternité, dans l'esprit de ce qu'a évoqué M. le ministre d'État tout à l'heure.

Afin de lutter contre ces reconnaissances de complaisance accordées moyennant finances, le projet de loi prévoit de mettre à la charge solidaire du père ayant reconnu un enfant les frais de maternité de la femme étrangère en situation irrégulière. Je n'évoquerai pas la désormais célèbre maternité de Mamoudzou, la plus active de France, où ont lieu plus de 8 000 naissances par an. Sachez qu'entre 60 % et 70 % de ces naissances sont le fruit de femmes qui, soit pour des raisons de santé ou de protection personnelle, soit pour des raisons évidemment liées à l'accomplissement de la fin de leur grossesse, soit peut-être avec d'autres intentions, ont souhaité accoucher à Mamoudzou, à Mayotte. Par ailleurs, des filières parallèles se sont développées.

Il est également prévu une réforme de la procédure dite de « dation de nom », qui emporte les mêmes effets que la reconnaissance d'un enfant et qui connaît une augmentation exceptionnelle. Le nombre de dation de nom - cette procédure permet d'entrer dans les dispositifs que chacun connaît - a en effet été multiplié par quatre entre 2000 et 2005.

Le projet de loi renforce par ailleurs les pouvoirs du procureur, qui pourra s'opposer à l'enregistrement de la reconnaissance de paternité ou demander une enquête lorsque des indices sérieux laissent présumer une reconnaissance frauduleuse.

Enfin, est prévu un renforcement des sanctions pénales à l'encontre des tentatives de reconnaissance et des reconnaissances frauduleuses de paternité à Mayotte. Cela n'existait pas. Le texte, si vous le votez, permettra une très sérieuse avancée en la matière ; il est très attendu, sur place, à Mayotte.

Dans un même esprit, l'Assemblée nationale a approuvé un amendement tendant à supprimer la compétence du cadi en matière de mariage. Celui-ci sera désormais - cela peut surprendre ! - célébré à la mairie par l'officier de l'état civil. Elle a également approuvé, dans un souci d'amélioration de la vie quotidienne, des mesures visant à faciliter l'obtention de la possession d'état de Français à Mayotte.

Pour conclure sur les mesures concernant l'outre-mer, il est utile de préciser que l'examen du projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration a été l'occasion, à l'Assemblée nationale, d'enrichir le texte du Gouvernement sur plusieurs points.

Tout d'abord, l'outre-mer est concernée par des dispositions qui modifient le droit commun. Je pense en particulier à un amendement adopté en première lecture qui vise à calquer les sanctions contre les reconnaissances frauduleuses d'enfant sur les dispositions concernant les mariages blancs que Nicolas Sarkozy a présentées avec beaucoup de pertinence et force arguments et exemples. Ainsi, le fait de reconnaître un enfant aux seules fins d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour, ou aux seules fins d'acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. C'est l'article 63 du projet de loi. Cet article prendra pleinement effet dans les départements d'outre-mer, où il sera d'une grande utilité.

Concernant le volet spécifiquement ultramarin, sur le modèle des commissions mises en place en Guyane et à la Réunion, le projet de loi prévoit, à la suite d'un amendement parlementaire, la création en Guadeloupe et à la Martinique d'un observatoire chargé d'apprécier l'application de la politique de régulation des flux migratoires et des conditions d'immigration, puis de proposer les mesures d'adaptation.

Enfin, un amendement visant à permettre de relever les empreintes digitales des étrangers non admis sur le territoire de Mayotte a été approuvé par l'Assemblée nationale.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a encore quelques mois en métropole, on ne parlait pas ou on parlait peu, en tout cas trop peu, de l'immigration irrégulière outre-mer.

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