Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 6 juin 2006 à 16h00
Immigration et intégration — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

J'ai l'habitude, mon cher collègue !

Votre projet de loi est donc très dangereux, pour les étrangers d'abord, mais aussi, au-delà, pour tous les salariés, pour tous les citoyens, pour l'ensemble de la société. Il constitue un tel recul historique s'agissant des droits des étrangers que plus de six cents organisations et associations se sont mobilisées pour le combattre et obtenir son retrait.

Il faut dire la vérité aux Français. Au nom de cette immigration « choisie », vous vous attaquez en réalité, monsieur le ministre d'État, à des droits et à des libertés qui ont une valeur constitutionnelle, et qu'il est utile de rappeler. Je veux parler du respect de la vie privée, du droit à mener une vie familiale, de la dignité, du droit d'asile, de l'intérêt supérieur de l'enfant. Vous vous attaquez de la sorte à toute une série d'engagements que notre pays a pris sur les plans tant national qu'international. Et c'est peu de dire que votre projet de loi est entaché d'inconstitutionnalité, un point que ne manquera pas de développer ma collègue Nicole Borvo lorsqu'elle défendra la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité !

Par ailleurs, votre projet de loi est également un non-sens. D'un côté, vous allez empêcher des personnes ayant vocation à vivre en France de s'y installer durablement, vous allez refouler du territoire des personnes qui sont là depuis très longtemps et, de l'autre, vous allez « choisir » des catégories de personnes triées sur le volet.

Quant à l'efficacité du dispositif proposé, permettez-moi d'avoir de sérieux doutes. En effet, faire croire à l'ensemble de nos concitoyens que votre texte permettra de stopper l'immigration n'est que mensonge, et vous le savez pertinemment, monsieur le ministre d'État. Cela fait vingt-cinq ans que la France n'est plus un pays d'immigration massive. Mais, plutôt que de regarder loin devant, vous avez les yeux rivés sur le rétroviseur et vous déformez le réel en confondant volontairement la situation d'aujourd'hui et les conséquences du passé.

Ce faisant, vous occupez le terrain politique pour mieux faire oublier les échecs de ce gouvernement, qu'il s'agisse des revers électoraux qu'il a subis depuis 2002, du rejet de la Constitution européenne dont on vient de fêter le premier anniversaire, du retrait du CPE, le fameux contrat première embauche, sans oublier l'affaire Clearstream, qui discrédite un peu plus son action.

Loin d'être d'une quelconque efficacité, votre projet de loi va surtout créer de nouveaux cas de sans-papiers et des situations administratives inextricables comme à l'époque des lois Pasqua où les situations de personnes ni expulsables ni régularisables, les fameux « ni-ni », se sont multipliées.

D'un point de vue économique, les mesures proposées vont surtout se révéler très efficaces pour le patronat, lequel va pouvoir faire librement et unilatéralement - avec bien évidemment votre accord - son marché à l'étranger en fonction des besoins de l'économie libérale, qui est uniquement préoccupée par la baisse des coûts du travail ; il pourra de même disposer d'une main-d'oeuvre idéale, à savoir sans droits, à bas salaire, donc précarisée et corvéable à merci, facile à encadrer et à surveiller, et niveler par le bas les conditions de travail de l'ensemble des salariés, étrangers comme nationaux.

Toutefois, on oublie souvent de dire que, selon un rapport des Nations unies paru en 2002, le fait de stopper net l'immigration reviendrait à imposer aux salariés de travailler jusqu'à soixante-dix-sept ans dans un certain nombre de pays européens. De la même façon, on omet de rappeler la contribution des étrangers actifs - et déclarés - à notre système de retraite.

Le débat sur l'immigration n'est qu'un des aspects des effets du libéralisme dans la mesure où il fait le lien entre le démantèlement des droits économiques et sociaux dans notre pays et la situation des étrangers en France. Chaque étape du processus de privatisation et de déréglementation de l'économie, chaque atteinte portée aux droits sociaux aura été accompagnée d'un renforcement de la défiance à l'égard des populations immigrées.

Cette approche économique, utilitariste et opportuniste, de l'étranger ne peut que conduire à l'échec. De même qu'une lecture univoque de la libre circulation des personnes dans la logique de la mondialisation ne peut que conduire à des crises et des conflits.

Je ne peux que déplorer le fait que notre pays continue d'avoir, comme dans les années soixante, une politique d'immigration reposant sur les besoins de son économie, au lieu d'ouvrir de nouvelles perspectives en matière de coopération internationale où le respect des droits et des libertés fondamentales constituerait le préalable à toute législation relative aux flux migratoires.

Je ne peux que regretter que notre pays continue comme dans les années soixante de mener une politique d'immigration fondée sur les seuls besoins de son économie. C'est une vision qui reproduit les mécanismes de la domination de l'exploitation et de la mise en concurrence des travailleurs, nationaux et immigrés, au profit exclusif du capitalisme. Cette acceptation de la « libre circulation des travailleurs », loin de favoriser le développement des hommes, revient en réalité à piller les pays du Sud de leurs matières premières et, maintenant, de leur matière grise, à savoir la part de leur population la plus active, la plus dynamique, réduisant dès lors quasiment à néant leurs possibilités de développement sur place.

Après la précarité économique, votre texte organise la précarité généralisée du droit au séjour pour les migrants et leur famille. En rendant optionnelle la délivrance de la carte de résident, en faisant disparaître la possibilité de régulariser des étrangers présents en France depuis plus de dix ans, en allongeant systématiquement tous les délais requis pour obtenir un titre à raison du mariage, d'une naissance, du regroupement familial, en augmentant les possibilités de retrait d'un titre de séjour, en exigeant un visa « long séjour » pour les conjoints de Français, en durcissant les conditions de ressources et de logement pour ce qui concerne le regroupement familial, vous allez non seulement précariser un grand nombre de personnes, mais aussi, et surtout, en plonger une bonne partie dans l'irrégularité et l'insécurité administrative, économique et sociale.

Avec de telles mesures, les marchands de sommeil, les réseaux mafieux et autres employeurs de main-d'oeuvre en situation irrégulière, ont de beaux jours devant eux !

Votre texte est un tissu d'idées reçues, qui veut conforter la figure de l'étranger indésirable, représentant une menace. Cessons de laisser croire que la France est à l'aube d'une invasion et que l'Europe serait un continent agressé, qui doit défendre ses frontières. Pour vous et vos amis, l'étranger est toujours suspecté d'être un délinquant du droit du séjour ou du droit au travail, d'être fraudeur lorsqu'il se marie ou reconnaît un enfant, lorsqu'il se rend dans sa famille ou qu'il la fait venir en France. Vous faites ainsi peser une suspicion généralisée sur tous les mariages mixtes, les reconnaissances de paternité et le regroupement familial. Demain, il ne fera pas bon tomber amoureux d'un étranger, ni avoir des enfants avec lui. Heureusement, monsieur le ministre d'État, que, vous comme moi, sommes nés il y quelques décennies de cela ! Vous vous rendez compte, nous aurions pu ne pas exister...

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