Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 6 juin 2006 à 16h00
Immigration et intégration — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

... vous êtes tous unis quand il s'agit d'appliquer la politique ultralibérale qui se fait contre les personnes.

Votre texte crée ici sciemment une confusion entre l'exercice d'un droit inaliénable, celui du droit d'asile régi par la convention de Genève pour des personnes en danger fuyant leur pays, et la question de l'immigration. La loi de 2003 a introduit la notion de « pays d'origine sûr » à laquelle nous sommes opposés, je le rappelle, puisqu'elle constitue une restriction supplémentaire au droit d'asile.

Une liste nationale des pays d'origine sûrs a été établie par l'OFPRA, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dans l'attente d'une liste européenne. Mais, comme vous vous êtes aperçus que la liste européenne allait être moins étendue que la liste établie par l'OFPRA, vous vous êtes précipités pour modifier une fois de plus la législation, afin de prévoir la coexistence de ces deux listes !

Quant à l'allocation temporaire d'attente créée par la loi de finances pour 2006 dans le but de restreindre les droits des demandeurs d'asile - texte qui n'est pas encore entré en application, faute de décrets -, vous proposez déjà d'augmenter les cas d'exclusion de son bénéfice.

Mais la remise en cause du droit d'asile ne serait pas complète si l'on ne s'attaquait pas au statut des centres d'accueil pour demandeurs d'asile, les CADA, qui ne devront accueillir dorénavant que les personnes admises au séjour au titre de l'asile ou dont une demande d'asile est en cours d'examen auprès de l'OFPRA, ou de la Commission des recours des réfugiés, la CRR.

La mission d'insertion, qui est la mission première des centres d'hébergement et de réinsertion sociale, les CHRS, n'est pas évoquée dans le texte.

À cet égard, la circulaire du 21 février 2006 concoctée par le Premier ministre et le ministre de l'intérieur pour faciliter notamment les conditions d'interpellation d'étrangers dans un centre d'hébergement et à sa proximité, me fait craindre que la seule solution proposée aux déboutés du droit d'asile soit une reconduite à la frontière.

Votre projet impose aux associations et aux organismes qui assurent aujourd'hui l'hébergement des demandeurs d'asile un contrôle étroit du public accueilli - pas de réfugiés, pas de déboutés - et prévoit de sanctionner lourdement les organismes gestionnaires récalcitrants.

J'en viens à présent à l'intégration, car on l'aurait presque oublié, le présent projet de loi concerne aussi l'intégration.

Alors parlons de l'intégration à la sauce UMP !

Notion floue par excellence - quelle différence doit-on faire entre insertion, intégration, respect des principes de la République ? -, source d'arbitraire - les maires et les préfets n'auront-ils pas une grande liberté pour récompenser ceux qui méritent ou non des papiers ? -, cette indéfinissable condition d'intégration se trouve généralisée dans ce texte.

Le contrat d'accueil et d'intégration, qui devient obligatoire, n'est en réalité qu'un contrat de mise sous surveillance, un contrat de suspicion et de précarisation accrue.

En réalité, l'intégration ne vous sert qu'à constituer une condition supplémentaire, donc un obstacle, à la régularisation de nombre de situations administratives. Alors que depuis 1984 - année de création de la carte de résident de dix ans - l'accès à un titre de séjour de longue durée était un instrument légal d'intégration de dizaines de milliers de migrants, on assiste, depuis le vote de la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, à un retournement majeur dans la conception de l'intégration, retournement amplifié aujourd'hui par votre réforme.

Dorénavant, la délivrance d'un titre de séjour devient la « récompense » de l'intégration. Or l'intégration suppose que la législation sur les séjours soit un minimum stable afin de permettre aux individus de s'ancrer véritablement dans le pays d'accueil en les préservant des aléas et de la précarité.

En outre, l'intégration ne va-t-elle pas au-delà de l'apprentissage de la langue du pays d'accueil et du rappel des valeurs de la société française ? Ne résulte-t-elle pas d'une politique volontaire en matière économique, culturelle et sociale, permettant à chacun de trouver sa place au sein de la communauté nationale ? Ne suppose-t-elle pas, enfin, l'octroi, par exemple, du droit de vote aux étrangers, que les élus communistes réclament en vain depuis des années ? Ne suppose-t-elle pas la régularisation de celles et de ceux que l'on appelle les « sans-papiers », à l'instar de ce qui s'est passé en Espagne et, plus récemment, en Italie ?

Que vous le vouliez ou non, on ne change pas les trajectoires migratoires à coup d'articles de loi. D'autres choix sont possibles et nécessaires. Il n'y a aucune fatalité en l'espèce.

Plutôt que de s'attacher à fermer les frontières aux peuples du Sud, pourquoi ne pas s'atteler à la mise en place de vraies coopérations qui s'attaqueraient, au Nord comme au Sud, à l'Ouest comme à l'Est, à la primauté des marchés financiers sur le développement et l'emploi et qui iraient à l'encontre de la guerre économique et à la mise en concurrence des hommes et des peuples qui en découlent ?

Il faut permettre aux pays d'émigration d'avoir les moyens de se développer pour conserver dans leur région d'origine les populations pour lesquelles émigrer est un choix par défaut, un choix forcé ou un non-choix.

Oui, l'homme a des milliers de raisons de ne pas migrer, de rester dans son pays. Le plus souvent, il ne quitte pas les siens par plaisir ; le plus souvent, il fuit la guerre, la dictature, la misère et la faim.

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