Loin de cette golden card de l'immigration, votre projet se caractérise essentiellement, pour nous, par un durcissement de la législation actuelle. Nous sommes là pour parler clairement, et vous voyez que je me livre à cet exercice.
Or nous pensons que réduire la politique d'immigration aux seuls durcissements législatifs, à la mise en cause permanente des étrangers et au recul de leurs droits fondamentaux ne constitue pas, en soi, la solution au problème de l'immigration clandestine. Sous couvert de lutte contre cette immigration-là, votre projet de loi dégrade la situation des étrangers en situation régulière. Cette déstabilisation de la vie quotidienne peut aussi atteindre nos compatriotes qui, de par leur ascendance, sont susceptibles d'être identifiés comme étrangers et, au premier rang d'entre eux, nos compatriotes originaires de l'outre-mer.
L'essence même de votre projet de loi est de rendre plus difficiles l'entrée et le séjour des étrangers et des demandeurs d'asile. Le leitmotiv de votre projet, qui confine à l'obsession, est d'augmenter les formalités, d'allonger les délais et de réduire les droits.
En matière de délais, je salue votre systématisme. Chaque fois qu'il existe une condition de délai pour bénéficier d'une mesure favorable, vous l'allongez. Dans le même temps, chaque fois que l'étranger en situation régulière bénéficie d'un droit, vous précarisez sa situation en allongeant le délai qui en permet l'octroi. Ainsi, il faudra dix-huit mois au lieu de douze pour engager la procédure du regroupement familial, quatre ans de vie commune au lieu de deux pour solliciter l'accès à la nationalité française par mariage.
L'obligation d'obtenir un visa de long séjour comme condition préalable au séjour achèvera de bloquer le système, car nos consulats seront, par manque de moyens, dans l'impossibilité de les délivrer dans des délais normaux.
La manière dont vous rendez aléatoire le regroupement familial démontre clairement que c'est cette immigration-là qui est, pour vous, subie et que vous voulez tarir. La France peut, en conséquence, se préparer à collectionner les condamnations pour infraction à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Loin d'améliorer l'existant, votre texte nous apparaît contre-productif. Il va inévitablement créer de nouvelles catégories de personnes qui, contraintes à l'irrégularité, ne seront ni régularisables ni expulsables. À cette précarisation de l'immigration régulière, vous ajoutez une rigueur accrue vis-à-vis des étrangers en situation irrégulière.
L'immigration clandestine concerne avant tout l'outre-mer. Cette situation exige un traitement spécifique qui, tout en respectant les droits fondamentaux, comprenne des mesures adaptées à l'ampleur du phénomène. Celles-ci auraient dû faire l'objet d'un projet de loi autonome déconnecté du contexte migratoire de la métropole. La situation de l'outre-mer, sur laquelle nous déposerons peu d'amendements, ne peut en effet servir de prétexte pour restreindre sur tout le territoire les droits des étrangers.
Vous avez fait des statistiques de l'exécution des reconduites à la frontière l'alpha et l'oméga de votre politique de lutte contre l'immigration clandestine. Chaque préfet a des objectifs à respecter et son pouvoir de régularisation individuelle est sous votre contrôle strict.
Votre texte vise donc logiquement à accélérer le rythme de la politique d'éloignement, même au prix d'une réduction des possibilités de recours vis-à-vis des décisions de l'administration. Il nous paraît indispensable que l'étranger à qui l'on oppose un refus de titre de séjour ou qui est débouté du droit d'asile puisse, avant d'être l'objet d'une reconduite à la frontière, faire valoir tous ses droits de recours, y compris celui de contester, devant le juge, le pays vers lequel l'administration veut le renvoyer.
Il est également indispensable que le juge du contentieux des étrangers puisse remplir sa mission dans les conditions de collégialité qui assurent à la fois l'indépendance et la qualité de la justice rendue.