Intervention de Muguette Dini

Réunion du 6 juin 2006 à 16h00
Immigration et intégration — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Muguette DiniMuguette Dini :

Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi nous invite à légiférer sur deux sujets complémentaires : l'immigration et l'intégration.

Pour la première fois, un gouvernement prend en compte la nécessité de lier ces deux notions et voit - enfin ! - dans l'intégration un « objectif prioritaire d'une immigration réussie ».

Des événements récents, mais aussi de plus anciens, montrent que, ces dernières décennies, nous n'avons pas pris la mesure de l'importance d'une vraie politique d'intégration, considérant que tout étranger arrivant en France devait s'y sentir automatiquement chez lui. Cela n'a pas été le cas, et il est désormais de notre devoir de permettre à tout étranger arrivant en France de s'insérer dans notre société sans être victime de stigmatisation, de rejet, ou de discriminations.

Le projet de loi a pour ambition de lutter contre l'immigration dite « subie ». Pourtant, les chiffres annoncés nous montrent clairement que la majeure partie des personnes qui rejoignent notre territoire le font dans le cadre de la vie privée et familiale. Les dispositions phare de ce texte ne concernent donc qu'une part infime des étrangers qui, chaque année, entrent en France régulièrement. Au mieux, ou au pire, selon l'angle d'approche, elles ne repousseront les regroupements familiaux que de six mois ou d'un an, sans faire baisser de façon significative le nombre annuel d'immigrés.

Au contraire, la déstabilisation des liens familiaux que va engendrer ce projet de loi nous inquiète. En modifiant les règles actuelles, il risque en effet de faire augmenter considérablement le nombre des sans-papiers et d'accroître ainsi la précarité que connaît une partie des étrangers vivant sur notre sol.

Faute de temps pour balayer l'ensemble du projet de loi, je me contenterai d'évoquer trois points qui me tiennent à coeur : le contrat d'accueil et d'intégration ; la protection des femmes étrangères ; la carte de séjour « compétences et talents ».

Si j'apprécie à sa juste valeur la création du contrat d'accueil et d'intégration, je pense qu'il ne va pas encore assez loin, en particulier dans l'accompagnement et le suivi des primo-arrivants, bien après la signature du contrat.

C'est pourquoi il me paraît indispensable d'enrichir ce texte par des mesures qui pourraient favoriser l'action des associations. On sait que celles-ci sont déjà des relais efficaces pour répondre aux difficultés quotidiennes que rencontrent les étrangers qui arrivent sur notre territoire. On pourrait faire mieux en passant avec elles des conventions ou des contrats d'objectifs leur permettant d'aller plus loin encore dans l'aide à l'intégration. Cela impliquerait, bien sûr, un accroissement des moyens que nous nous devons de leur fournir.

Ce « contrat d'accueil et d'intégration » que vous nous proposez d'adopter, monsieur le ministre d'État, est l'occasion d'affirmer notre attachement au respect des valeurs de notre République. À ce titre, il me paraît particulièrement important que les femmes étrangères en soient signataires afin qu'elles puissent prendre conscience que, dans notre pays, hommes et femmes sont égaux et bénéficient des mêmes droits.

Ce contrat permet ainsi d'affirmer que, si nous respectons les coutumes et les traditions des immigrés venus de pays où les cultures sont différentes, nous ne pouvons tolérer que ces dernières, pratiquées en France, puissent porter atteinte à la liberté, à l'intégrité et à la dignité des femmes telles que les conçoit notre République.

J'ai bien noté, monsieur le ministre d'État, que, devant l'Assemblée nationale, vous avez fermement marqué votre intention d'être particulièrement sévère à l'égard des hommes qui seraient tentés d'empêcher que leurs épouses, leurs soeurs ou leurs filles bénéficient de ce contrat.

L'aide à la promotion et à l'émancipation des femmes est d'autant plus importante que c'est par elles que passe essentiellement l'éducation des enfants.

Leur permettre l'accès à la langue, à la connaissance de leurs droits, à la lecture et à l'écriture du français, c'est aussi leur donner une ouverture sur le monde, sur leur pays d'accueil, et leur permettre de mieux préparer leurs enfants à s'y sentir à l'aise.

Il est évident que, là encore, les associations joueront un rôle primordial.

Ces femmes étrangères doivent aussi être protégées.

Des amendements votés par les députés vont dans ce sens. Nos collègues ont ainsi prévu la protection des femmes contre les conséquences de la polygamie, en privant de l'immunité familiale les hommes faisant venir illégalement une co-épouse, et en permettant le versement des prestations familiales par l'intermédiaire d'un « tuteur aux prestations familiales » ; la protection des femmes victimes de proxénétisme ; la protection des femmes contre les violences conjugales, en consacrant le principe du non-retrait du titre de séjour à la victime, en cas de rupture de la vie commune pour violence.

Nous devons aller encore plus loin et imposer à l'autorité administrative de procéder au renouvellement de ce titre, car nous ne pouvons ignorer le risque majeur que court une femme renvoyée au pays, après rupture du lien conjugal, et qui peut être considérée là-bas comme ayant « déshonoré » sa famille.

La France ne peut prendre le risque d'être complice d'éventuelles sanctions et il convient d'assurer la protection de ces femmes, victimes de violences, en leur permettant de se maintenir sur le territoire français.

Toutes ces mesures de protection vont dans le bon sens. Il n'en est pas de même de la carte de séjour « compétences et talents ».

Cette disposition du projet de loi nous paraît particulièrement inquiétante et la carte de séjour « compétences et talents » telle que vous la présentez suscite beaucoup d'interrogations.

Sur quels critères exacts sera-t-elle délivrée ? Qui sera en mesure d'approuver les compétences et les talents ? Qui sera en mesure de décider que ces compétences et ces talents sont plus dignes d'intérêt et de confiance chez telle ou telle personne ?

Comment allez-vous expliquer aux pays d'origine qu'on facilite l'expatriation de leurs meilleurs éléments ? Le président du Sénégal a d'ailleurs manifesté son inquiétude en rappelant ce que coûtait à son pays la scolarité d'un jeune et d'un étudiant.

Comment peut-on enfin être certain qu'après trois ou six ans l'étranger talentueux et compétent, qui aura acquis une expérience supplémentaire en France, ne la quittera pas pour un autre pays accueillant, le Canada, les États-Unis ou l'Australie, par exemple ?

Au nom du groupe UC-UDF, j'ai déposé deux amendements de suppression, le premier visant l'article 1er, le second, l'article 12. Ces articles introduisent une disposition sur laquelle nous ne pourrons vous suivre si votre projet de loi est maintenu en l'état.

Faute de temps, je ne développerai pas les autres points tout aussi importants et qui nous posent problème.

Il s'agit de l'atteinte portée au respect de la vie privée et familiale, à travers l'obligation faite au conjoint de présenter un visa de long séjour, ou du durcissement des conditions du regroupement familial.

Il s'agit également - c'est un point plus important encore - de l'abrogation de la possibilité de délivrer un titre de séjour aux étrangers prouvant leur présence en France depuis au moins dix ans.

Cette disposition va enfoncer dans la précarité perpétuelle des étrangers qui ne repartiront probablement jamais dans leur pays.

La solution d'une commission nationale de l'admission exceptionnelle au séjour ne nous semble pas satisfaisante.

Nous souhaiterions que soient préservées les dispositions actuelles, qui permettent une reconnaissance automatique des attaches personnelles, nouées par un étranger ayant résidé plus de dix ans dans notre pays et vivant une intégration de fait.

En effet, on voit mal comment une commission nationale serait en mesure d'examiner des dossiers individuels.

Si la compétence d'une commission devait toutefois être maintenue, il nous semblerait plus pertinent de confier cette mission aux commissions départementales, plus à même d'examiner les situations particulières d'étrangers justifiant d'une ancienneté de séjour sur le territoire, d'attaches familiales ou de situations humanitaires ou exceptionnelles.

Nous avons donc déposé des amendements qui ont pour objectif de réduire la distance entre la prise de décision et les situations de terrain.

Vous l'aurez compris, monsieur le ministre d'État, si plusieurs dispositions de ce projet de loi vont dans un sens qui nous convient, nous ne sommes pas favorables à tous ses aspects.

Nous regrettons, en particulier, qu'il ne prenne pas suffisamment en compte une nécessaire approche globale des rapports Nord-Sud et l'aide au développement des pays d'où partent les émigrés qui arrivent sur notre territoire.

Ce n'est qu'au travers de cette coopération, qui devrait d'ailleurs se faire à l'échelle européenne, que les étrangers pourront aussi choisir et non subir l'expatriation.

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