Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 15 juillet 2008 à 16h00
Modernisation des institutions de la ve république — Discussion d'un projet de loi constitutionnelle en deuxième lecture

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Nous voici donc muselés, sommés d’adopter ce texte conforme, sans pouvoir le modifier ni l’amender, sans pouvoir ni ajouter ni retrancher le moindre mot. En somme, le débat que nous allons avoir ces prochains jours ne sert à rien : les dés sont jetés depuis l’adoption du texte, modifié en deuxième lecture, par l’Assemblée nationale.

Nous voici transformés en chambre d’enregistrement : nous sommes les figurants d’une histoire que nous n’avons pas souhaité écrire et que, pourtant, nous devons aujourd’hui avaliser sans coup férir. Il me semblait que la souveraineté parlementaire permettait à l’opposition de participer au débat démocratique. Comment ne pas être scandalisé de savoir, avant même que le débat ait lieu, que cette histoire est déjà écrite ?

En première lecture, le Sénat a fait preuve d’une timidité qui ne l’honore pas. La suppression de toute référence aux langues régionales dans la Constitution en est un exemple : comme nous l’avions d’ailleurs proposé, lors de la première lecture, l’Assemblée nationale a décidé de les réintégrer dans un autre article que l’article 1er. Tant mieux !

Malheureusement, le droit de vote des étrangers, qui avait reçu dans cette assemblée aussi un écho assez favorable, notamment auprès d’éminents collègues de la majorité, a été repoussé à moins de vingt voix. Une nouvelle fois, nous avons raté l’occasion de donner un nouvel élan à notre démocratie !

Nous aurions souhaité aujourd’hui obtenir une seconde chance sur ce point, mais les choses sont ainsi faites : nous allons assister à un simulacre de débat, dont l’issue sera sans surprise.

Après avoir assumé en première lecture son rôle de chambre conservatrice, le Sénat se retrouve, en deuxième lecture, dans la situation de devoir adopter le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale sans pouvoir réagir sur de nombreux points, texte contraire aux positions adoptées ici même par la commission des lois.

À ce stade, une question me vient à l’esprit : pourquoi le Gouvernement ne demande-t-il pas l’application de l’article 44, alinéa 3, à savoir le vote bloqué ? Pourquoi ne pas utiliser cette procédure inique, mais prévue par la Constitution, au lieu de laisser croire que le texte qui sortira de cette chambre sera le fruit d’un débat honorable et d’un échange fructueux ? Quelle hypocrisie ! Autant assumer ce qui va advenir de ce texte au Sénat dans les deux jours que nous lui consacrerons et en tirer les conséquences sur le plan de la procédure parlementaire car, sans que cela soit dit, nous allons procéder à un vote bloqué ! Aucun amendement ne sera retenu. D’ailleurs, aucun amendement n’a été déposé par la commission des lois en deuxième lecture.

Pourquoi avoir autant peur d’une troisième lecture ? Pourquoi refuser toute possibilité d’évolution à ce texte ?

Madame la ministre, messieurs du Gouvernement, les Français doivent savoir pourquoi vous ne souhaitez pas que ce texte soit à nouveau amendé : le Congrès doit se réunir le 21 juillet, ainsi en a décidé le prince et, quel que soit le prix à payer, pas question de changer la date !

Sans recul ni temps pour la réflexion, nous ne pourrons pas donner à cette réforme l’envergure qu’elle mérite. Les Français devront se contenter de quelques mesures sans grande conséquence, sauf quelques avancées timides qui tiennent en cinq articles, tout au plus.

Pour le reste, il s’agit d’une réforme de convenance : le désir de briller de notre Président qui aime à faire dans l’affichage médiatique ; la soumission du Gouvernement et de sa majorité parlementaire, complaisants avec un Sénat qui reste jaloux de ses privilèges et refuse de se réformer.

Comment appeler autrement une réforme qui permet aux ministres actuellement en place de retrouver leur siège de parlementaire, dans le mépris le plus total du principe de non-rétroactivité ? Vous avez supprimé l’affirmation de ce principe à l’article 11 du projet de loi mais, en vérité, la rétroactivité réapparaît dans l’article 34 – d’une manière organisée, il est vrai, mais elle est bien là –, en contradiction totale avec les grands principes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

En première lecture à l’Assemblée nationale, le président Jean-Luc Warsmann, rapporteur du texte, avait souhaité inscrire ce principe de non-rétroactivité dans la Constitution, en précisant que « sauf motif déterminant d’intérêt général, la loi dispose pour l’avenir », conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Pouvez-vous me dire quel motif déterminant d’intérêt général justifie la possibilité pour les ministres actuels de retrouver leur siège ? II n’y en a pas ! Seul un intérêt personnel peut être avancé : créer aux ministres actuels un « parachute doré » au Sénat ou à l’Assemblée nationale.

N’oublions pas que la vocation des parlementaires est de servir la France et l’intérêt général, et non de se servir, en répondant aux intérêts particuliers de ministres soucieux de leur avenir politique. À elle seule, cette disposition est topique de la méthode du Gouvernement : laisser penser qu’il donne, alors qu’il ne fait que se servir !

Sur ce point précis, la commission des lois du Sénat avait adopté une position de sagesse, en refusant toute rétroactivité de l’article 10 du projet de loi. Après avoir déserté les travées de notre assemblée lors du vote de notre amendement demandant la non-rétroactivité, laissant notre rapporteur bien seul à défendre sa position, la commission se retrouve aujourd’hui contrainte de céder aux injonctions du Gouvernement et d’accepter cette règle. Il s’agit là d’un exemple parmi d’autres des raisons qui nous obligent à refuser ce texte.

En toute sincérité, je regrette de vous le dire, nous ne voyons aucune avancée notable qui pourrait justifier notre adhésion.

Aucun geste à l’égard des étrangers qui, autant que les citoyens communautaires, devraient se voir reconnaître le droit de voter aux élections municipales. Sachant que le Gouvernement ne cesse de proclamer qu’il mène une politique d’insertion des étrangers, ne serait-ce pas là le meilleur moyen de les accompagner dans l’intégration politique ?

Aucun geste à l’égard de l’opposition sénatoriale, condamnée à demeurer éternellement dans l’opposition, par le refus de toute modification des modes de scrutin pour l’élection des sénateurs, au mépris des nouvelles majorités politiques de nos régions et de nos départements.

Aucun geste non plus à l’égard des petits partis, en refusant l’injection d’une dose de proportionnelle aux élections législatives. Sur cette dernière question, les groupes minoritaires du centre tenaient entre leurs mains les clés de cette réforme. En effet, ils avaient les moyens d’imposer l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives, car ils étaient en position de bloquer, le 21 juillet, cette réforme de nos institutions.

Mais au lieu de tenir tête à la majorité et d’imposer votre propre conception de la représentation pluraliste des opinions politiques, vous avez préféré abdiquer. Vous portez une responsabilité historique et les Français s’en souviendront !

Quant à nous, les sénateurs Verts, vous l’avez compris, nous voterons contre ce texte.

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