La séance est ouverte à seize heures.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
J’ai reçu le 11 juillet de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire sur le projet de loi de modernisation de l’économie.
Conformément à l’article 12 du règlement, les nominations de membres de cette commission mixte paritaire effectuées lors de notre séance du 10 juillet ont donc pris effet.
Monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, chers amis, alors que nous arrivons dans les dernières encablures de cette soixante-dixième session extraordinaire de la Ve République, il m’est particulièrement agréable de sacrifier une nouvelle fois à l’heureuse tradition républicaine que constitue cette allocution annonçant la fin prochaine de nos travaux parlementaires et l’approche d’une brève interruption estivale, que nous aurons – je le crois – les uns et les autres bien méritée.
Au terme de cette année parlementaire 2007-2008, marquée par d’importantes réformes, qui se sont traduites par autant de discussions législatives, mais aussi – je ne saurais l’oublier aujourd'hui – constitutionnelles, je tiens d’abord à exprimer toute ma gratitude à toutes celles et à tous ceux qui ont permis à notre assemblée de tenir pleinement son rôle, en toutes circonstances, au cœur des institutions de la Ve République.
Permettez-moi d’abord, monsieur le Premier ministre, de vous remercier tout particulièrement de l’attention constante que vous-même et les membres de votre gouvernement avez portée aux travaux du Sénat, dont la qualité même résulte pour une large part d’un dialogue fécond entre notre institution et le Gouvernement.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UC-UDF.
Permettez-moi également de rendre un hommage singulier à notre infatigable secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement
Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’UC-UDF
Mais c’est bien sûr aussi à tous les acteurs de l’institution sénatoriale que je me dois, à cet instant, d’exprimer ma reconnaissance.
Elle s’adresse d’abord naturellement à chacune et à chacun d’entre vous, mes chers collègues, quelle que soit votre place dans cet hémicycle. C’est aussi – je le sais – en votre nom que j’exprime ma plus vive gratitude à chacun des présidents de nos groupes politiques, parce qu’ils jouent le rôle déterminant qui doit être le leur dans une assemblée parlementaire et qu’ils assurent l’expression politique de toutes les sensibilités au sein de notre hémicycle.
Je pense également, bien sûr, aux vice-présidents du Sénat, qui impriment à nos débats un style impartial, ferme mais conciliant, et contribuent ainsi pour beaucoup à l’image de marque de notre assemblée, à laquelle – vous le savez – nos concitoyens sont très attachés.
Je tiens encore à exprimer notre reconnaissance à nos six présidents de commissions permanentes pour le travail considérable qu’ils accomplissent et le rôle essentiel qu’ils jouent aussi bien dans nos travaux législatifs, dont ils sont les « orfèvres » incontestés, que dans nos travaux de contrôle, devenus, comme chacun sait, la « seconde nature » de notre Haute Assemblée et donnant tout leur sens aux travaux du Sénat.
Je me dois enfin d’associer à ces remerciements l’ensemble des membres du bureau du Sénat pour le remarquable travail qu’ils accomplissent sous l’égide de nos questeurs, auxquels j’exprime ma singulière gratitude, pour améliorer sans cesse le fonctionnement de l’institution que nous avons reçue en partage du suffrage universel.
Mes sincères félicitations iront aussi – et je sais à cet instant pouvoir m’exprimer au nom de chacune et de chacun d’entre vous – aux fonctionnaires du Sénat, dont chacun connaît ici la compétence, le dévouement et l’efficacité
Applaudissements sur l’ensemble des travées
Mes chers collègues, l’année parlementaire qui s’achève l’illustre : le Sénat a une nouvelle fois pleinement tenu son rôle au cœur de nos institutions.
Quelles qu’aient pu être les circonstances, parfois difficiles, et les pressions du moment, parfois lourdes, notre assemblée a – je crois – pleinement conforté sa réputation de législateur attentif, scrupuleux et garant des principes fondamentaux, mais également de contrôleur quotidien, vigilant et rigoureux de l’action gouvernementale.
Pour s’en tenir à la seule période de la session ordinaire qui vient de s’achever, donc sans prendre en compte l’activité plus qu’intense – j’allais dire « endiablée » – qui est la nôtre depuis le 1er juillet, je constate avec satisfaction que le taux de reprise des amendements du Sénat par l’Assemblée nationale s’est élevé cette année à 92 %.
Marques d’approbation et applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Sourires.
Et je me félicite de la multiplication des débats organisés dans cet hémicycle, sur l’initiative du Gouvernement ou du Sénat lui-même, favorisant ainsi, sous l’impulsion de nos commissions, un contrôle plus régulier et plus intense, notamment en matière budgétaire et financière, mais également dans le domaine de la politique étrangère et de la défense de notre pays.
À l’heure où va s’achever notre importante réflexion sur la modernisation de nos institutions, le Sénat a – c’est ma conviction – apporté une nouvelle illustration de son rôle essentiel dans leur équilibre et, finalement, dans leur bon fonctionnement, pour peu que nous restions fidèles à notre identité sénatoriale, qui est elle-même le gage de la qualité de nos travaux. Car, nous le savons bien, la valeur du bicamérisme a pour condition indispensable que le Sénat ne soit pas le « clone » de l’Assemblée nationale.
Le bicamérisme à la française a, me semble-t-il, fait ses preuves. L’un des enseignements les plus précieux de nos débats de qualité sur la rénovation de nos institutions réside sans doute, quelles que soient les modalités qui peuvent, bien sûr, avoir la préférence des uns et des autres, y compris dans cet hémicycle, dans la reconnaissance désormais généralisée de la nécessité de ce bicamérisme équilibré et de son apport au bon fonctionnement de nos institutions.
Et j’ai la faiblesse de croire que l’action que nous avons menée, ensemble, au cours des dernières années n’y est pas, loin de là, étrangère ! Je pense à l’« auto-réforme » de 2003, mais plus encore à la qualité reconnue de nos travaux législatifs et à l’approfondissement de notre activité de contrôle. J’insiste en particulier sur la clarification de nos règles budgétaires dans un souci constant de vérité et de transparence financière, dans le cadre de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, la LOLF, qui porte – vous le savez – une forte empreinte sénatoriale. Je mentionne également l’ouverture croissante de notre maison, ainsi que notre attention constante aux préoccupations de nos concitoyens et aux évolutions de notre société.
Bien du chemin reste naturellement à accomplir pour permettre à notre assemblée d’occuper demain tout l’espace politique, économique et social qui s’offre à elle. Au-delà même de la révision de notre Constitution, qui doit nous permettre de franchir une nouvelle étape très importante en ce sens, cela dépend d’abord de notre volonté commune de parlementaires d’exercer pleinement et collégialement les prérogatives qui sont les nôtres.
Au moment où vient de s’ouvrir la présidence française de l’Union européenne, je veux redire ici combien il est essentiel d’engager dans les meilleurs délais la mise en œuvre des dispositions qui permettront aux parlements nationaux de mieux remplir leur rôle en matière européenne et, en particulier, de rendre plus efficace le contrôle de subsidiarité.
Je veux aussi rappeler à cet instant l’importance d’une meilleure valorisation de notre travail de contrôle et d’évaluation des politiques publiques. Notre assemblée doit aussi assumer pleinement sa fonction de communication pour porter encore davantage à la connaissance des Françaises et des Français la réalité du travail accompli par le Sénat, qui est trop souvent ignorée.
Mais, en tout état de cause, c’est assurément dans la rénovation du travail parlementaire et dans de nouvelles améliorations du fonctionnement interne de notre assemblée que nous trouverons – je n’en doute pas – les bases concrètes les plus solides du rééquilibrage souhaité de nos institutions. Une prochaine adaptation de notre règlement en sera nécessairement un des instruments privilégiés.
C’est par cette nouvelle auto-réforme et par cette amélioration constante de ses méthodes de travail que le Sénat continuera à jouer demain l’intégralité de son rôle au cœur de nos institutions.
Je ne demanderai alors qu’une chose : que le Sénat soit apprécié pour la réalité de sa contribution constante à la qualité de la loi et pour la pertinence de ses recommandations.
Monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne voudrais pas conclure ce propos sans exprimer mon émotion en saluant aujourd’hui ceux de nos collègues qui ne se représenteront pas le 21 septembre prochain.
Sourires.
M. le président. Ils ont consacré de longues années à notre maison, où ils ont participé à de multiples combats politiques. Mais, quelle que soit la partie de l’hémicycle où ils siègent, je sais qu’ils ont eu pour seuls objectifs de défendre leurs convictions, l’intérêt général et de promouvoir l’action de notre assemblée. Qu’ils trouvent ici l’expression publique de notre chaleureuse reconnaissance !
Applaudissements sur les travées de l ’ UC-UDF et de l ’ UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur quelques travées du groupe socialiste.
Quant à ceux d’entre vous qui affronteront de nouveau dans quelques semaines le suffrage de leurs grands électeurs, ils savent qu’ils peuvent se présenter devant eux la tête haute. Le Sénat est une assemblée sage et efficace qui sait se grandir, parce que l’intérêt général l’impose, par une réflexion sereine et des décisions justes et équilibrées, sachant que l’intérêt général n’est pas la somme des petits intérêts particuliers des uns et des autres.
Je suis persuadé que vos électeurs en sont conscients et je souhaite qu’ils vous donnent les moyens de poursuivre cette œuvre au service de la République et de notre pays.
Je conclurai d’un seul mot, en souhaitant aux uns une fructueuse campagne, aux autres un repos estival bien mérité, et en vous donnant rendez-vous à toutes et à tous, à chacune et à chacun, à la fin du mois de septembre !
Bravo ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur quelques travées du groupe socialiste.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et sur plusieurs travées de l ’ UC-UDF.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous remercier du travail accompli au cours des douze derniers mois. La session ordinaire a été extraordinairement chargée, et la session extraordinaire ne l’est pas moins.
Pourquoi le Gouvernement vous fait-il travailler à un tel rythme ? Parce que, avec le Président de la République, nous n’avons pas voulu laisser sans réponse les problèmes que notre pays connaît depuis si longtemps. Nous avons voulu répondre rapidement aux besoins d’adaptation de la France. Laisser du temps au temps, cela aurait été un risque d’accentuer le fossé qui existe entre nos concitoyens et les pouvoirs publics.
Il fallait agir vite, mais aussi agir de façon globale, car la plupart des sujets économiques et sociaux se tiennent. Agir de façon parcellisée, c’est agir à la marge. Or nous avions et nous avons l’ambition de renouveler l’ensemble du modèle français.
Voilà pourquoi votre assemblée n’a connu aucun répit ; voilà pourquoi vous avez été si sollicités.
Le Sénat s’est montré digne de ses responsabilités, et il l’a fait sans renoncer à ses qualités propres : l’examen attentif des textes, la culture du débat, le respect mutuel. Ces vertus vous doivent beaucoup, monsieur le président.
Ces sessions ont montré, une nouvelle fois, combien le bicaméralisme apporte à la qualité du travail législatif.
Alors que nous allons débattre dans quelques instants de la réforme des institutions, je veux vous faire part d’une conviction personnelle et ancienne : je n’ai jamais pensé que la force du pouvoir exécutif se jugeait à la faiblesse du pouvoir législatif. Pour moi, un parlement revalorisé, c’est le gage d’un gouvernement respecté. Pour tout dire, l’équilibre des pouvoirs est un accélérateur d’efficacité.
Et au cœur de cet équilibre, il y a la complémentarité des deux chambres : à côté de l’Assemblée nationale, il y a le Sénat, doté d’une mission spécifique, d’un mode d’élection spécifique, d’une culture spécifique.
Je vous parle à un moment qui est particulier pour le Sénat, puisque votre assemblée va être partiellement renouvelée dans quelques semaines.
Ainsi, certains des sénateurs qui siègent aujourd’hui le font presque pour la dernière fois. Je voudrais m’adresser à eux en particulier. Au moment où ils vont quitter leur mandat, je veux leur exprimer solennellement, au nom du Gouvernement, ma reconnaissance. Ils ont consacré une partie de leur vie à servir la nation : qu’ils en soient remerciés !
Aux autres, je leur dis que le Gouvernement n’entend pas relâcher le rythme des réformes une fois passés les derniers jours de la session et qu’il s’appuiera sur le Sénat, en toute confiance, pour assurer la modernisation de notre pays.
L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, de modernisation des institutions de la Ve République (nos 459 et 463).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le Premier ministre.
M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes à moins d’une semaine de la convocation du Congrès. Pour parvenir à un vote conforme du Sénat sur le texte de l’Assemblée nationale, un travail très important de concertation a été engagé en amont.
M. Jean-Claude Peyronnet s’exclame.
Je veux rendre un hommage particulier à votre rapporteur, Jean-Jacques Hyest
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP et sur quelques travées de l ’ UC-UDF
Au nom de ce nécessaire consensus, nous devions et nous devons faire un pas les uns vers les autres. Sur bien des points, un vote conforme avait été acquis en première lecture ; je n’y reviens pas. D’autres sujets faisaient l’objet d’une approche divergente entre vos deux assemblées, et nous nous sommes efforcés de les aplanir.
C’était le cas, notamment, du droit pour les assemblées de voter des résolutions. Les députés l’avaient supprimé en première lecture, et vous l’aviez restauré. Il y a ceux qui redoutent qu’un tel outil, mal encadré, ne fragilise les mécanismes de mise en cause de la responsabilité du Gouvernement tels qu’ils sont prévus à l’article 49 de la Constitution. Et il y a ceux qui ne voient pas pourquoi le parlement français ne serait pas doté d’un instrument que la plupart des pays européens connaissent.
Un amendement du Gouvernement prévoyant une formule de compromis a été voté au Sénat. Celui-ci laisse clairement au Parlement la faculté d’exercer son droit de résolution, mais en confiant au Gouvernement l’appréciation du risque de mise en cause de sa responsabilité politique.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
À ceux qui estimeraient qu’il s’agit d’une solution qui n’est pas conforme à l’esprit de la Ve République, je veux indiquer que c’est la reprise du système qui avait été envisagé en 1959 dans le règlement de l’Assemblée nationale mais annulé par le Conseil constitutionnel faute d’accroche constitutionnelle.
Sur la question de la composition de la commission chargée de donner un avis sur certaines nominations du Président de la République, une formule susceptible de constituer un consensus a été élaborée par les deux rapporteurs. Elle conserve la réunion des deux commissions permanentes souhaitée par l’Assemblée nationale, tout en ménageant la spécificité de chacune des assemblées, à laquelle, je le sais, vous êtes attachés.
Les modalités de ratification des traités d’élargissement de l’Union européenne constituaient également une divergence importante. Les députés avaient manifesté en première lecture leur attachement au référendum pour les élargissements les plus importants, en avançant l’idée d’un seuil de population.
Vous aviez presque unanimement, pour votre part, exprimé la crainte que l’introduction de ce critère ne constitue une forme de stigmatisation. Les députés ont voté un dispositif plus équilibré qui tient compte de vos critiques : le référendum resterait de droit pour tout élargissement, mais une majorité qualifiée de parlementaires pourrait autoriser le Président de la République, s’il le juge fondé, à emprunter la voie du Congrès pour lui demander de ratifier, à la majorité qualifiée, le traité d’adhésion.
Sur la question des langues régionales, l’Assemblée nationale a été sensible au débat qui a eu lieu dans cet hémicycle, lequel portait notamment sur la place de la disposition votée par les députés.
Le choix du titre XII de la Constitution, plutôt que l’article 1er, pour mentionner les langues régionales me paraît judicieux et répondra à la plupart des objections que vous aviez formulées.
Sur la question du droit de grâce, il a également été tenu compte de votre vote en première lecture, puisque l’Assemblée nationale a accepté de supprimer la commission qui devait encadrer le droit de grâce individuel du Président de la République.
L’Assemblée nationale a également précisé votre amendement selon lequel les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat de leur gestion, de leur patrimoine et de leur situation financière.
Pour dissiper toute ambiguïté s’il pouvait y en avoir, je tiens à préciser ici très nettement que la disposition introduite ne saurait avoir pour objet ou pour effet de modifier les attributions de la Cour des comptes, en particulier celles qu’elle tient des lois organiques relatives aux lois de finances de 2001 ou aux lois de financement de la sécurité sociale de 2005 en matière de certification des comptes de l’État et de la sécurité sociale.
Au contraire, tout en confirmant l’importance de ces principes de régularité, de sincérité et de fidélité comptables, cette disposition rappelle, par son insertion à l’article 47 de la Constitution, la vocation de la Cour des comptes à en vérifier l’application.
Les députés ont accepté de ne pas revenir sur plusieurs dispositions qu’ils avaient votées en première lecture mais que vous aviez supprimées.
Sur la question controversée de la répartition des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif, tout d’abord, le rapporteur à l’Assemblée nationale a eu l’élégance de retirer son amendement, notamment en raison de l’hostilité qui avait été manifestée à la quasi-unanimité par le Sénat en première lecture.
Je tiens à le remercier de cette marque de bonne volonté dans la recherche du consensus entre les deux chambres.
L’Assemblée nationale a également accepté de ne pas reprendre son amendement sur la non-rétroactivité des lois.
Comme vous, elle a souhaité s’en tenir au droit existant pour le scrutin sénatorial. Cette voie me paraît sage, s’agissant d’un point sur lequel une réforme du texte constitutionnel n’était pas susceptible de faire l’objet d’un consensus. Une telle réforme n’était du reste pas nécessaire pour que le mode d’élection du Sénat puisse continuer à évoluer, comme il l’a fait récemment.
M. Jean-Marc Todeschini s’exclame.
Les députés ont également pris acte des importantes améliorations que vous aviez apportées au texte lors de son examen en première lecture.
Je pense tout d’abord au Conseil supérieur de la magistrature. Vous avez proposé une formule permettant de concilier le renforcement de l’indépendance de l’institution et la volonté d’éviter l’écueil du corporatisme, qui viderait de son sens le principe selon lequel la justice est « rendue au nom du peuple français ».
Votre souci de restaurer la parité en matière disciplinaire a, dans cet esprit, contribué à améliorer l’équilibre du texte.
Je veux également saluer votre approche ambitieuse du Défenseur des droits, qui a prévalu. Le Gouvernement s’en réjouit car il s’agit d’une mesure importante qui va contribuer à renforcer notre état de droit aux yeux de nos concitoyens.
Votre contribution au texte sur des questions aussi essentielles que la référence à la notion de pluralisme ou le respect des groupes politiques minoritaires a été saluée.
L’Assemblée nationale a également maintenu, en modifiant quelque peu sa rédaction, la référence à la francophonie dans notre Constitution, ainsi que l’assouplissement du droit de l’outre-mer que le Sénat proposait.
Vous nous avez également donné l’occasion d’avoir un débat important sur l’enrichissement de l’article 34 de la Constitution : y figureront désormais des principes comme l’indépendance des médias, la référence aux étrangers établis hors de France ou les conditions d’exercice des mandats locaux. Même si ce n’était pas indispensable sur le plan juridique, cette référence traduira notre volonté de mettre ces éléments en valeur.
Sur d’autres points, c’est le texte de l’Assemblée nationale qui vous est proposé.
En ce qui concerne l’article 49-3 de la Constitution, j’ai déjà eu l’occasion à plusieurs reprises de m’exprimer devant vous et de vous dire mon attachement à cet outil du parlementarisme rationalisé.
Je sais que ce point continue de soulever des réticences chez certains d’entre vous. Je comprends vos arguments. Mais je voudrais redire que l’article 49-3 de la Constitution doit rester un instrument préventif, dont il faut faire usage avec parcimonie. La lutte contre l’obstruction parlementaire ne devrait pas relever de l’article 49-3. Limiter son usage à un seul texte par session et aux seuls projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale me paraît répondre à cet objectif, en tenant compte des nouveaux équilibres institutionnels générés par le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral.
Sur la répartition de l’ordre du jour, c’est également la formule de l’Assemblée nationale qui a été votée. Votre dispositif avait sa cohérence et le mérite de la simplicité, mais une répartition de l’ordre du jour de deux tiers pour le Gouvernement et d’un tiers pour le Parlement n’aurait pas manqué d’être perçue comme un recul par l’opinion publique.
S’agissant de la question essentielle des exonérations fiscales ou sociales, un débat très approfondi a eu lieu, au Sénat puis à l’Assemblée nationale, sur la question de savoir si leur création devait nécessairement intervenir en loi de finances ou en loi de financement de la sécurité sociale, ou, alternativement, si ces niches devaient être confirmées dans ces deux lois.
Cette proposition visait à répondre à un problème réel : la prolifération des dispositifs d’exonérations, …
…ces dernières années, a eu pour double effet de rendre de plus en plus complexe notre droit fiscal et social, et de peser sur nos finances publiques.
Pour autant, les solutions envisagées dans les deux assemblées n’ont pas paru devoir être retenues pour différentes raisons, la principale étant qu’il n’a pas semblé opportun de priver le législateur ordinaire d’une compétence qu’il a toujours eue et qui peut se révéler indispensable à tout moment, par exemple pour répondre à une évolution imprévue de la conjoncture économique.
Je m’engage en contrepartie à être extrêmement attentif à cette question des niches fiscales et sociales, s’agissant à la fois des nouvelles propositions, qui devront être rigoureusement justifiées, et de celles qui existent et que je m’engage à rationaliser, en étroite liaison avec la représentation nationale, en particulier avec les commissions compétentes des deux assemblées.
Permettez-moi, enfin, de dire un mot en direction des parlementaires alsaciens et mosellans, …
…que je sais vigilants à cet égard. L’exception d’inconstitutionnalité ne saurait déboucher sur une remise en cause du droit local, dont l’existence fait partie de notre histoire juridique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au cours des débats, nous avons pris la mesure de ce qui nous rapproche, mais aussi de ce qui nous distingue.
Je le redis avec force : toutes les opinions, quelles que soient les travées dont elles émanent, sont respectables. Nous avions chacun notre vision de la réforme constitutionnelle. Nous avons chacun notre modèle et des mesures auxquelles nous tenons le plus.
Mais aujourd’hui, il faut avoir le courage de se rassembler autour de l’essentiel. Et l’essentiel, c’est la revalorisation du Parlement que consacre ce projet.
On peut vouloir voter contre cette révision constitutionnelle au motif qu’elle n’apporte pas toutes les satisfactions que les uns ou les autres souhaiteraient. Je pense que ce serait regrettable, mais je le comprends.
En revanche, il n’est pas acceptable de dire que ce texte ne renforce pas les pouvoirs du Parlement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt s’exclame.
On peut dire qu’il ne les renforce pas assez, mais il n’y a, dans ce texte, que des dispositions qui renforcent les pouvoirs du Parlement.
Le Gouvernement a été, je le rappelle, constamment à l’écoute de vos propositions. Il ne vous aura pas échappé que le texte que nous vous proposons de soumettre au Congrès est parfois assez éloigné de notre projet de loi initial !
(Marques de dénégation sur plusieurs travées du groupe socialiste) : sa suggestion d’introduire dans la Constitution un mécanisme aussi novateur que le référendum d’initiative populaire a notamment été retenu.
Mme Catherine Tasca s’exclame.
L’opposition a, elle aussi, été entendue §
M. François Fillon, Premier ministre. L’Assemblée nationale a enrichi le texte avec deux dispositions qui lui tenaient à cœur : la référence aux commissions d’enquête parlementaire
M. Jean-Marc Todeschini s’esclaffe
Il nous faut aller au bout de cette démarche constructive.
L’objectif que nous poursuivons est limpide : donner des droits nouveaux au Parlement afin de moderniser notre démocratie.
Au regard de cet objectif, il vous revient de répondre à des questions simples : vais-je me saisir de ces droits ou vais-je y renoncer ? Vais-je contribuer à un compromis historique ou vais-je me réfugier dans des objections politiques ?
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Chacun est maître de sa réponse, mais chacun doit bien en mesurer les conséquences. Dire « non » à ce projet, ce sera dire « oui » au statu quo, et cela sans doute pour de longues années, parce que les révisions constitutionnelles d’une telle ampleur sont rares.
Dire « non », ce sera en définitive choisir l’immobilisme institutionnel plutôt que le renouveau politique.
M. François Fillon, Premier ministre. J’ai la conviction que la majorité se sent en mesure d’assumer ce renouveau qui revivifie les équilibres de la Ve République. Et je souhaite que l’opposition puisse trouver la force de se rallier à ce mouvement de modernité qui transcende les clivages.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
La gauche réclame depuis si longtemps une rénovation de nos institutions, et la voilà maintenant hésitante et circonspecte.
Pas du tout ! sur plusieurs travées du groupe socialistes.
Rejeter ce projet parce que telle ou telle clause n’y figure pas, refuser ce projet au nom d’un autre projet, c’est en réalité renoncer à un progrès immédiat et réel de notre démocratie.
En vérité, l’opposition est face à ses responsabilités, et il lui revient d’échapper à la contradiction.
On ne peut pas, d’un côté, réclamer un meilleur équilibre des pouvoirs et, de l’autre, renoncer à cette réforme ! On ne peut pas, d’un côté, dénoncer la prétendue « hyperprésidence » et, de l’autre, repousser cette réforme qui tempère les pouvoirs de l’exécutif et renforce ceux du Parlement et des citoyens !
A pplaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. Pierre Laffitte applaudit également. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.
Il faut, mesdames, messieurs les sénateurs, être cohérents et ne pas perdre de vue l’essentiel.
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
L’essentiel, c’est qu’avec le Président de la République nous vous proposons de donner plus de souffle à notre démocratie.
Nous le faisons de façon pragmatique, audacieuse et sincère.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’enjeu est suffisamment élevé pour se rassembler et pour aller de l’avant !
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à lire certains commentaires, le Sénat, à l’occasion de l’examen du projet de révision constitutionnelle que nous examinons en deuxième lecture, aurait « détricoté » le travail de l’Assemblée nationale.
Certes, le « passage » au Sénat, qui nous a cependant occupés plus de cinquante-six heures en séance publique…
…– et tous les observateurs de bonne foi ont reconnu la qualité des débats –, a apporté un certain nombre de modifications substantielles au texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture.
Le Sénat s’est efforcé de conduire un travail équilibré. Ayant approuvé pour une large part le texte résultant des travaux de l’Assemblée nationale, il a cherché à conforter les droits du Parlement dans le respect des principes du bicamérisme et à renforcer les droits et les libertés.
Notons d’ailleurs que, sur certains points, il est revenu à une rédaction plus proche du texte initial du projet de révision – sur sept articles supprimés, cinq étaient des articles additionnels introduits par l’Assemblée nationale – et que, pour l’essentiel, il a complété et modifié les articles du projet de loi constitutionnelle, en n’y introduisant que peu de dispositions nouvelles.
L’Assemblée nationale a, en deuxième lecture, largement tenu compte des apports du Sénat, sur trois points importants : les dispositions relatives au Sénat auxquelles, vous le savez, nous sommes très attachés, l’organisation du Conseil supérieur de la magistrature et l’institution du Défenseur des droits des citoyens.
Les divergences apparues en première lecture entre les deux assemblées ont permis aux députés, en deuxième lecture, de trouver des formules équilibrées pour conforter les droits du Parlement, en intégrant les préoccupations exprimées par le Sénat.
C’est le cas des avis du Parlement sur les nominations effectuées par le chef de l’État, de la possibilité de voter des résolutions, des délais entre le dépôt et la transmission d’un texte et son examen en séance publique, ou du droit de grâce.
C’est pourquoi, votre commission des lois estime que le Sénat a eu satisfaction sur les sujets auxquels il attachait une importance particulière et que nous avions longuement débattus dans cet hémicycle.
En deuxième lecture, il faut faire le bilan de cette réforme ambitieuse. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le Premier ministre, l’objectif principal est de renforcer les droits du Parlement et d’offrir une meilleure garantie des droits et des libertés à nos concitoyens.
On peut se réjouir que soient confortées l’expression du pluralisme et la participation des partis et des groupements politiques à la vie démocratique de la nation, comme l’avait d’ailleurs amorcé le Sénat.
Il nous semble aussi que la place des langues régionales dans le patrimoine de la France au sein d’un nouvel article 75-1 laisse intacts les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français, et permet d’apporter une reconnaissance à l’exceptionnelle richesse du patrimoine linguistique de la France métropolitaine et d’outre-mer
M. Gaston Flosse applaudit
L’Assemblée nationale a aussi suivi le Sénat en confirmant la participation de la République au développement de la francophonie, et nous en sommes heureux.
Pour ce qui est de l’extension du domaine de la loi, qui a suscité beaucoup de débats, voire de polémiques, l’Assemblée nationale a approuvé globalement la démarche du Sénat, s'agissant tant de la définition des règles concernant la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias, que de la représentation des Français établis hors de France.
L’Assemblée nationale a également approuvé la fixation par la loi des conditions d’exercice des mandats locaux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales – notre collègue le président Puech le souhaitait ardemment.
À l’inverse, l’Assemblée nationale, et c’est heureux, n’a pas repris les dispositions sur la non-rétroactivité de la loi, pas plus que celles qui ont trait à la répartition du contentieux entre les ordres juridictionnels, que nous avions écartées.
Quant aux pouvoirs et à l’organisation des travaux du Parlement, il a fallu rester ferme pour que soit reconnu le bicamérisme…
Eh oui !
…notamment en ce qui concerne l’avis sur les nominations effectuées par le Président de la République. Cela n’a pas été facile ; certains pensent que le suffrage universel indirect ne vaut pas le suffrage universel direct. Eh bien, il faut qu’ils relisent leur droit constitutionnel !
Si nous n’étions pas particulièrement favorables à la possibilité pour les présidents des assemblées d’opposer l’irrecevabilité fondée sur la méconnaissance du domaine de la loi – article 41 de la Constitution -, cela demeure une simple faculté et il appartiendra à chaque assemblée de définir elle-même les modalités de mise en œuvre de cette disposition. Je suis curieux de voir si cette mesure prospère vraiment, … d’autant plus que le Gouvernement, qui a cette prérogative, l’utilise extrêmement peu.
Comme je l’ai rappelé en première lecture, une des plus importantes modifications des règles de fonctionnement des assemblées est la discussion en séance publique sur le texte de la commission. Cette proposition du comité de réflexion présidé par Édouard Balladur a été retenue, et c’est extrêmement important.
Si je puis regretter que le dispositif proposé par l’Assemblée nationale ne présente pas les mêmes garanties que celles qui avaient été retenues par le Sénat en première lecture, souhaitons que ces délais minimaux puissent être aménagés selon la taille et la nature des textes dans le dialogue entre le Gouvernement et les assemblées lors de l’établissement de l’ordre du jour. S’il est normal de devoir procéder selon une procédure accélérée dans certains cas, il faut disposer de plus de temps pour la seule lecture organisée dans chaque assemblée.
S’agissant des modalités de répartition de l’ordre du jour, le partage par moitié entre le Gouvernement et les assemblées nous avait paru sans doute plus « médiatiquement » vendable, à tel point d’ailleurs que certains députés nous ont reproché d’avoir prévu une répartition deux tiers-un tiers. Ce n’est sans doute pas la préoccupation majeure de l’opinion publique.
L’opposition du Gouvernement à l’amendement du Sénat, ainsi que le reconnaît le rapporteur de l’Assemblée nationale – je suis heureux de citer mon collègue Warsmann –, « ne faisait apparaître qu’avec plus de force la crainte de la commission des lois que le partage optiquement égalitaire proposé par l’article dans sa rédaction initiale soit dans les faits très défavorable au Parlement ». On ne peut pas dire mieux ! C’est pourquoi, dans ces conditions, puisqu’on ne veut pas de notre système, il vaut mieux accepter qu’une semaine par mois soit réservée au contrôle - ainsi qu’aux initiatives législatives, ce n’est pas exclusif.
Il est un peu dommage qu’en définitive, en dehors de la séance mensuelle réservée aux groupes de l’opposition et minoritaires, on se soit arrêté à mi-chemin, et surtout que la Constitution ne prévoie pas un programme législatif pour donner une grande lisibilité au travail parlementaire.
Le Sénat avait fait part de son inquiétude devant la limitation de la possibilité d’engager la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un texte. C’est une question compliquée. J’espère que la limitation – qui doit être préventive, comme vous l’avez souligné, monsieur le Premier ministre - ne conduira pas un jour à l’inefficacité du Gouvernement.
Cependant, l’Assemblée nationale et le Gouvernement tiennent à cette disposition. On nous a même dit que cela ne concernait pas le Sénat.
Or il s’agit tout de même de l’équilibre des institutions. Quoi qu’il en soit, je pense que nous pouvons nous rallier à la position de l’Assemblée nationale, puisque la Constitution recèle par ailleurs beaucoup d’armes qui sont à la disposition du Gouvernement.
Je passerai rapidement sur la consécration des commissions d’enquête dans la Constitution, le règlement des assemblées permettant de préciser les droits qui, dans ce domaine, reviendront aux groupes parlementaires.
Si la mission de la Cour des comptes, monsieur le Premier ministre, est notamment « d’exprimer son opinion sur la sincérité des comptes de l’État et de la sécurité sociale », on peut regretter que nos collègues Jean Arthuis et Philippe Marini n’aient pas été suivis par les députés…
…et la suppression de cette mention mérite, comme vous l’avez fait, que le Gouvernement confirme cette mission de la Cour des comptes. Ce point me semble important. Cette précision n’apparaissait pas, elle était évidente. On l’inscrit dans la Constitution, c’est encore plus évident. On la retire : ne devrait-on pas se poser des questions ? Il convient de rappeler que la mission de certification des comptes est essentielle pour la Cour des comptes.
L’Assemblée nationale a souhaité maintenir le cadre actuel du Conseil constitutionnel, mais je suis sûr que nous reviendrons un jour sur cette question.
Enfin, j’en viens aux questions européennes. Hors ce problème de considérations « lexicales », le fait d’appeler « comité » ou « commission » l’actuelle délégation ne retire rien aux compétences des commissions permanentes visées à l’article 43 de la Constitution.
En revanche, le Sénat était revenu à la quasi-unanimité au texte du Gouvernement en ce qui concerne les modalités de ratification des traités d’adhésion à l’Union européenne, en évitant qu’un pays ami ne soit stigmatisé dans notre Constitution.
La nouvelle rédaction adoptée par l’Assemblée nationale permettra que les nouvelles adhésions ne soient pas automatiquement soumises à référendum, si les deux assemblées souhaitent, chacune à la majorité des trois cinquièmes, donner au Président de la République la possibilité de soumettre la ratification au Congrès. Ainsi, la volonté du Sénat a été respectée, et c’est sans doute un bon exemple de l’utilité du bicamérisme.
À cet instant, nous devons nous poser la question suivante : compte tenu des avancées du dialogue entre l’Assemblée nationale et le Sénat, faut-il poursuivre ce dialogue ou accepter le compromis équilibré auquel nous sommes parvenus, qui tient largement compte des préoccupations de l’Assemblée nationale mais qui correspond aux perspectives dégagées par le Sénat en première lecture ?
Si l’on en reste au texte en son état actuel – j’en suis désolé pour ceux qui souhaiteraient encore améliorer la révision en déposant des amendements –, ce sera la plus importante réforme de notre Constitution depuis cinquante ans.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Sans remettre en cause l’apport fondamental de la Constitution de 1958, à savoir la stabilité institutionnelle permettant de ne pas entraver l’action du Gouvernement, cette réforme corrige le « parlementarisme rationalisé » qui aurait fini par asphyxier le Parlement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.
La volonté du Président de la République et du Gouvernement de renforcer les pouvoirs du Parlement, en raison même des évolutions de notre pratique constitutionnelle telles que l’instauration du quinquennat ou l’inversion du calendrier électoral, ne peut qu’être approuvée. La navette parlementaire a permis de conforter cette volonté, comme de moderniser notre démocratie, en ouvrant de nouveaux droits aux citoyens. Je pense à l’exception d’inconstitutionnalité, dont l’introduction a été tentée par deux fois sans succès, mais qui sera cette fois-ci possible, ...
…ainsi qu’à la création d’un Défenseur des droits ou au référendum d’initiative parlementaire soutenu par les citoyens.
Bien entendu, on peut conditionner le vote de cette réforme à de nombreux préalables pour s’éviter de l’approuver. Et pourtant, cette réforme indispensable est garante de la pérennité de notre Constitution, sans en fausser l’esprit !
Mes chers collègues, ne faut-il pas saisir cette opportunité d’une véritable modernisation de nos institutions ? La réponse que vous propose la commission des lois est, vous l’aurez compris, positive.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UC-UDF. – M. Pierre Laffitte applaudit également.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen en deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.
Ce projet de loi a donné lieu à un long débat et à un travail parlementaire dense.
La navette parlementaire a témoigné de l’esprit d’ouverture et de la volonté de chacun d’aboutir à une révision d’une ampleur inégalée depuis près d’un demi-siècle.
Nous arrivons aujourd’hui au terme du chemin menant au Congrès. Ce chemin, certains voudraient le voir semé d’embûches. Nous n’en croyons rien. Nous pensons, au contraire, que l’intensité de nos débats prouve le caractère historique de ce texte, que nous voulons voir aboutir à Versailles.
Le texte initial du projet de loi constitutionnelle a évolué de façon positive tout en respectant deux postulats de base : chacun s’est en effet accordé sur la nécessité de conserver les acquis de la Ve République ; tous ont souligné la nécessité d’en moderniser le fonctionnement.
Nous sommes appelés aujourd’hui à concrétiser les fruits de nos travaux et de nos réflexions.
Notre assemblée a été au rendez-vous de cette opportunité exceptionnelle. Nous avons permis de véritables avancées démocratiques sur ce projet de loi ambitieux et novateur. Loin de l’avoir « détricoté », nous l’avons enrichi, conformément à l’esprit de construction et de dialogue qui anime le Sénat.
Nous avons affirmé, en première lecture, les convictions qui sont les nôtres. Nous abordons la deuxième lecture avec l’esprit de responsabilité qui nous caractérise.
Toute recherche de consensus implique que chacun puisse faire un pas vers l’autre. C’est ce que nous avons fait, et un équilibre satisfaisant a pu être trouvé. À cet égard, je tiens à féliciter, au nom du groupe UMP, notre président-rapporteur
Bravo ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP
, qui n’a pas ménagé ses efforts pour rassembler toutes les sensibilités autour de ce texte
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC
…en écoutant les préoccupations de chacun.
Dans une mesure très significative, nos collègues députés ont retenu des dispositions majeures que nous avions adoptées en première lecture. Je pense à l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, ou à la définition par la loi du statut de l’élu local.
Je pense également au maintien des dispositions relatives au Sénat dans l’article 24 de la Constitution, notamment celle qui affirme le lien privilégié entre les élus locaux et le collège électoral sénatorial.
Je pense, enfin, à la consécration de la francophonie dans notre loi fondamentale, ou encore au renforcement du Défenseur des droits.
Les députés ont également été convaincus par notre analyse sur l’attribution de droits spécifiques aux groupes minoritaires.
Notre majorité a su faire preuve d’esprit d’ouverture…
…et d’écoute en retenant vingt et une des propositions émises par nos collègues de l’opposition. Cela a évidemment été le cas au Sénat où nous avons décidé de confier au législateur le soin de fixer les règles relatives à la liberté, au pluralisme et à l’indépendance des médias.
Toutes ces dispositions constituent la marque de fabrique de notre assemblée.
Concernant les modalités de ratification des traités relatifs à l’adhésion de nouveaux États à l’Union européenne, l’amendement adopté en deuxième lecture à l’Assemblée nationale est incontestablement la voie de la sagesse. Il évite, comme nous le souhaitions, de retenir une disposition qui, contraire à notre tradition juridique, aurait eu pour effet de viser indirectement dans notre Constitution un pays déterminé. Là aussi, il s’agit d’une belle victoire pour le Sénat, qui montre tout l’intérêt du bicamérisme.
Permettez-moi de vous rappeler la conviction profonde qui est la nôtre : le Sénat est une chance pour nos institutions, car il exerce, de façon constante, un contrôle vigilant de la législation en matière de protection des droits des citoyens et des libertés publiques.
Notre conviction est que le Sénat ne saurait être le clone de l’Assemblée nationale, qu’il doit garder sa spécificité et poursuivre sa tâche de « laboratoire d’idées », apportant par là même à nos institutions la réflexion dont elles ont besoin.
Le texte qui nous est aujourd’hui soumis en deuxième lecture respecte les trois objectifs forts de départ : l’encadrement du pouvoir présidentiel, le renforcement des pouvoirs du Parlement et l’ouverture de nouveaux droits à nos concitoyens.
Cette révision constitutionnelle est une véritable opportunité pour le Parlement et une chance historique pour la Ve République. Elle nous offre la possibilité de dessiner, conformément aux engagements du Président de la République, « une République exemplaire et une démocratie irréprochable ».
Cet enjeu justifie que nous soyons capables, les uns et les autres, de nous retrouver dans l’intérêt du pays.
Mes chers collègues, ayons bien à l’esprit qu’à Versailles, le 21 juillet prochain, nous pourrons donner un nouveau souffle à notre démocratie.
M. Bernard Frimat s’exclame.
L’occasion est suffisamment rare et l’ambition suffisamment élevée pour choisir ensemble de s’engager en faveur de ce texte novateur et porteur de modernité.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. François Zocchetto applaudit également.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de faire quelques observations liminaires sur les conditions d’examen en deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.
Nous sommes donc à moins d’une semaine du Congrès. Cette situation conduit par conséquent le Sénat à devoir adopter conforme les dispositions résultant des discussions qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale, privant ainsi le Parlement d’une troisième lecture. Celle-ci n’aurait pourtant pas été un luxe compte tenu, d’une part, de l’importance de la présente réforme et, d’autre part, des divergences apparues au cours des débats, non seulement entre l’Assemblée nationale et le Sénat, mais également entre parlementaires au sein même de l’UMP.
C’est là une bien curieuse conception du renforcement des droits du Parlement, d’autant que nous avons déjà eu affaire à un examen marathon de ce texte dont la discussion va s’achever en pleine session extraordinaire. Marathon qui continue avec cette deuxième lecture que vous voulez rapide. J’en veux pour preuve les deux petites heures qui seront consacrées aujourd’hui à la discussion générale.
J’ai donc du mal à percevoir un début de renforcement des droits du Parlement. C’est en tout état de cause ce que je vais tenter de démontrer. Mon amie Nicole Borvo Cohen-Seat abordera, quant à elle, les autres aspects du présent texte en défendant tout à l’heure la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Ce projet de loi constitutionnelle que vous essayez de vendre à tout prix comme tendant à restaurer les droits du Parlement et à brider l’exécutif va précisément dans le sens inverse, c’est-à-dire vers une présidentialisation, voire une hyperprésidentialisation de notre régime. En l’occurrence, c’est peu de dire qu’il y a véritablement tromperie sur la marchandise.
Le chef de l’État, votre gouvernement, accompagnés par des parlementaires de l’UMP, n’hésitent pas à communiquer sur le sujet pour convaincre des bienfaits de leur réforme.
Ensemble, vous n’hésitez pas non plus, afin d’atteindre les trois cinquièmes des voix au Congrès – ce qui n’est pas encore totalement acquis –, à manier la carotte et le bâton à l’égard tant de la majorité parlementaire que de l’opposition, menaçant ceux qui s’apprêteraient à voter contre la réforme au Congrès d’un redécoupage électoral défavorable et récompensant ceux qui voteront pour en les exonérant d’un tel redécoupage.
De son côté, M. Accoyer, pour que la réforme soit votée au Congrès, n’hésite pas à faire miroiter aux groupes minoritaires et d’opposition l’octroi de droits spécifiques comme la possibilité d’obtenir la création de commissions d’enquête parlementaire et de missions d’information, d’un temps de parole égal entre majorité et opposition lors des questions au Gouvernement, de postes de présidents et de rapporteurs des commissions et même de moyens proportionnellement plus importants.
Il va sans dire que les élus de mon groupe rejettent ces gesticulations, qui ne prennent pas le chemin de ce que certains appellent un « compromis historique », mais qui illustrent plutôt une certaine fébrilité dans les rangs de la majorité à quelques jours du Congrès.
Pour en venir au texte, je ferai ici trois observations principales.
En premier lieu, comment pouvez-vous affirmer que votre texte restaure les droits du Parlement, alors qu’il prévoit précisément de réduire le droit d’amendement ainsi que la séance publique ? Car derrière la valorisation du travail en commission que vous mettez en exergue dans votre texte se cache une réalité moins avouable !
Loin de moi l’idée de nier l’importance du travail en commission, qui permet – j’en suis consciente – à la fois de préparer la séance publique et d’approfondir les sujets abordés.
Permettez-moi toutefois d’y mettre un bémol. Je considère en effet que le travail en commission ne doit pas se substituer à la séance publique, laquelle doit rester le lieu naturel du débat d’idées, du débat politique, dans la plus grande transparence.
Par conséquent, je suis fermement opposée à ce que, demain, la discussion en séance publique porte sur le texte tel qu’élaboré en commission, et non plus sur le texte tel que déposé par le Gouvernement.
Cette disposition ne constitue pas une avancée démocratique. Bien au contraire, elle tend même à renforcer le bipartisme et le fait majoritaire, puisque les petits groupes pèsent peu en commission par rapport aux groupes importants qui peuvent assurer une présence importante et constante dans ces réunions. Le pluralisme ne sera donc plus garanti.
De plus, la transparence du débat parlementaire sera quant à elle mise en cause, puisque les débats en commission ne sont pas publics : point de journalistes, point de citoyens à l’écoute. C’est la porte grande ouverte au lobbying, à l’instar de ce qui se passe dans les commissions au Parlement européen.
Enfin, c’est une atteinte au droit d’amendement, car le fait majoritaire sera de mise dès la commission. Cette attaque en règle contre le droit d’amendement ne s’arrête pas là ! On la retrouve également à l’article 18 du projet de loi constitutionnelle qui dispose : « Ce droit s’exerce en séance ou en commission ». Une telle rédaction vous permet de contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnelle qui date de 1990 et qui garantit à chaque parlementaire le droit d’amender un texte en séance publique.
Pour être claire, vous voulez ériger la procédure simplifiée qui s’applique actuellement, notamment aux conventions internationales, en règle générale applicable à tous les textes, supprimant de fait le droit d’amendement des parlementaires en séance publique.
L’article 19, que les députés ont souhaité rétablir en deuxième lecture, constitue, lui aussi, une remise en cause du droit d’amendement des parlementaires. En effet, en inscrivant directement dans la Constitution les conditions de recevabilité des amendements en première lecture, cette disposition va au-delà de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui exige actuellement que les amendements ne soient « pas dépourvus de tout lien » avec l’objet du texte.
Le droit d’amendement est par ailleurs également malmené avec l’instauration d’un véritable « 49-3 parlementaire ». En effet, il est prévu – cela a été détaillé par le Comité Balladur et confirmé par le Gouvernement et sa majorité parlementaire – que la conférence des présidents, donc la majorité soumise au chef de l’État, fixera une durée maximale pour les débats comprenant et la discussion générale et l’examen des articles.
Ce dispositif va agir comme un couperet sur le mode de l’article 49-3 tel que nous le connaissons : dès que la durée globale du débat qui aura été décidée par la conférence des présidents aura été atteinte, la discussion s’arrêtera, et ce quel que soit l’état d’avancement de l’examen des articles, donc des amendements. Cela revient, de fait, à limiter l’exercice par les parlementaires de leur droit d’amendement.
En deuxième lieu, comment pouvez-vous dire que votre réforme va rehausser les droits du Parlement alors que les nouvelles modalités de fixation de l’ordre du jour prévoient de placer la conférence des présidents à la botte du pouvoir exécutif ? Là encore, il s’agit de réduire la séance publique réservée au travail législatif, toujours dans l’optique de favoriser le travail en commission.
Alors que faire la loi constitue la prérogative essentielle des parlementaires, on assiste aujourd’hui, avec votre projet de loi, à la mise à mort de ce principe qui existe depuis la Révolution française. Votre texte prévoit ainsi que quinze jours seraient dédiés à l’examen des projets de loi et à des débats thématiques. Une semaine serait consacrée au contrôle. L’opposition disposerait d’une journée de séance par mois pour s’exprimer.
Nous considérons, pour notre part, que le Parlement doit être complètement maître de son ordre du jour et qu’il doit pouvoir décider du nombre de séances qu’il souhaite consacrer au travail législatif.
En dernier lieu, comment pouvez-vous prétendre que les droits du Parlement vont être renforcés alors que l’usage du 49-3, contrairement à ce que vous prétendez, ne sera pas limité ?
Votre texte, en inscrivant dans la Constitution que le 49-3 ne sera jamais utilisé plus de trois fois dans l’année, n’a rien d’innovant ni de révolutionnaire : il ne fait qu’entériner ce qui se passe déjà dans la pratique, c’est-à-dire une fois pour le projet de loi de finances, une fois pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale et une fois sur un autre texte. Le 49-3 est donc toujours là !
Les critiques que je viens de formuler ne sont bien évidemment pas exhaustives ; elles ont pour objet de démontrer que ce que vous prétendez être des avancées ne le sont pas, en réalité.
Il y aurait bien d’autres choses à dire sur ce texte, mais le temps me manque. En tout état de cause, ce qui est sûr, c’est que les conséquences de cette réforme seront catastrophiques à bien des égards : bipartisme renforcé, démocratie bafouée, hyper présidentialisation du régime...
Cette réforme a été faite – et cela a été dit dans l’hémicycle par un membre non pas de l’opposition, mais de la majorité – sur mesure pour un seul homme, le Président de la République, qui ne se contente pas d’être omniprésent dans les médias : il veut absolument pouvoir prendre la parole devant les parlementaires.
On se dirige tout droit vers un régime présidentialiste à la française. Cette évolution de nos institutions depuis l’élection du Président de la République au suffrage universel a été renforcée avec le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral.
La présente réforme tend à mettre en place un super-président, appuyé par une majorité parlementaire qui lui est toute dévouée.
On comprend mieux ici pourquoi le pouvoir en place s’obstine à refuser tout changement du mode d’élection des sénateurs : cela lui permet de conserver la maîtrise du Sénat, quelle que soit la réalité politique du pays, pour faire passer ses réformes les plus antisociales, notamment. On comprend aussi pourquoi vous avez refusé d’introduire une dose de proportionnelle dans le mode d’élection des députés.
L’objectif est d’aller vite, très vite, en abrégeant les débats parlementaires, en réduisant le droit d’amendement, en bafouant le rôle des parlementaires, en s’asseyant sur la démocratie, en quelque sorte. Comment, dans ces conditions, espérer rétablir le lien entre les institutions et les citoyens ? La démocratie participative est au point mort !
La procédure d’urgence, que vous déclarez quasiment sur tous les textes, ne vous suffit plus : vous voulez maintenant, outre diminuer le nombre de lectures dans les assemblées, réduire également la durée des débats parlementaires en séance publique. Ce faisant, c’est surtout la minorité qui est ainsi réduite au silence.
Faut-il rappeler que le bâillon que vous voulez imposer aux parlementaires avec cette réforme se surajoute aux procédures existantes comme, notamment, l’article 38 sur les ordonnances, le fameux article 40, ou encore le vote bloqué, procédures qui contribuent déjà à faire taire les parlementaires ?
Car vous avez conscience que le temps du débat parlementaire, en séance publique et lors des différentes lectures, peut être mis à profit pour faire connaître à l’opinion publique les méfaits de tel ou tel projet de loi, opinion publique qui peut alors se mobiliser contre des réformes qu’elle juge néfaste.
Ce n’est pas un hasard, par exemple, si depuis 2002 tous les mauvais coups que vous portez sont inscrits à l’ordre du jour du Parlement en session extraordinaire, au cœur de l’été, au moment où les Français sont en congés.
La démocratie, qui aurait dû être au centre de la modernisation de nos institutions, n’a rien à gagner avec cette réforme ; elle ne sort pas renforcée de nos débats. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous avez soumis le texte non pas au référendum, mais au Parlement réuni en Congrès.
Vous l’aurez compris, nous nous opposons fermement à votre réforme et voterons contre, ici et à Versailles.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voici donc en présence du projet de loi constitutionnelle tel qu’il a été amendé par l’Assemblée nationale. Comme l’a dit notre excellent rapporteur, il nous appartient maintenant de savoir si nous souhaitons continuer le dialogue avec l’Assemblée nationale ou si nous considérons que ce texte peut être soumis en l’état au Parlement réuni en Congrès, afin que celui-ci exerce son pouvoir constituant délégué.
Les positions du Sénat ont été confirmées sur un certain nombre de points. Je m’attacherai, pour ma part, aux dispositions qui vont dans le sens du rééquilibrage des institutions, c’est-à-dire à celles qui confèrent davantage de droits et de pouvoirs au Parlement et, surtout, à celles qui donnent plus de droits aux citoyens ; c’est en effet à cet égard que je me pose les principales questions.
Nous sommes heureux de constater que les députés ont réintroduit, à la demande du Sénat, le droit de résolution. Le Gouvernement a fait adopter un amendement qui, très honnêtement, n’apporte pas grand-chose, les résolutions n’ayant jamais été, dans notre droit constitutionnel, un moyen de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement. Mais le Parlement est depuis si longtemps muselé dans notre pays que l’on a confondu le droit d’interpellation et le droit de résolution.
Il est normal qu’un Parlement majeur puisse s’exprimer sur tous les thèmes. Le droit de résolution le lui permettra, sans pour autant le conduire à adresser des injonctions au Gouvernement ou à mettre en cause la responsabilité de celui-ci, cette dernière possibilité étant déjà prévue dans la Constitution selon une procédure connue de tous. Cette mise au point nous apparaît essentielle.
Nous sommes également sensibles à la rationalisation de l’article 49-3, même si cela ne correspond pas à la position initiale du Sénat. Il est normal que son utilisation soit réservée aux textes essentiels présentés par la majorité. En revanche, si l’on veut rééquilibrer les institutions s’agissant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, cet article ne doit absolument pas être utilisé comme un moyen de régler les relations entre le Parlement et le Gouvernement.
Nous sommes satisfaits que les droits des groupes parlementaires aient été confirmés dans le projet de loi constitutionnelle. L’inscription, dans la Constitution, de la notion même de groupe parlementaire constitue en effet une avancée importante, d’autant qu’elle est assortie de droits spécifiques pour les groupes qui n’appartiennent pas à la majorité ou qui sont minoritaires.
Nous nous félicitons aussi de la suppression de l’obligation de se déclarer membre de la majorité ou de l’opposition, qui existait dans le texte initial du Gouvernement.
Nous apprécions également, au regard de la situation budgétaire de notre pays, les dispositions relatives à la discipline budgétaire et financière : elles permettront de donner plus de lisibilité et plus de rigueur aux mesures prises en la matière
En revanche, nous regrettons que la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel pour les groupes politiques n’ait pas été acceptée par l’Assemblée nationale. J’avoue ne pas trouver de fondement à la suppression, par les députés, de cette mesure adoptée par le Sénat à l’unanimité en première lecture, sur l’initiative de notre collègue Mme Borvo Cohen-Seat. Si le texte est adopté en l’état, tout le monde, dans ce pays, va pouvoir saisir le Conseil constitutionnel, sauf les groupes parlementaires ! La voie de l’action est toujours préférable à celle de l’exception : ne pas donner tout son champ à la voie de l’action, c’est se priver d’un élément de bon ordre juridique.
Nous sommes toutefois très satisfaits sur deux points.
Tout d’abord, nous nous réjouissons de voir que l’exception d’inconstitutionnalité figure désormais dans notre droit constitutionnel. Le Congrès peut refuser au Parlement le droit de fixer lui-même son ordre du jour ; il peut également lui refuser le droit de discuter sur un texte émanant d’une commission ; il peut encore refuser un rééquilibrage des pouvoirs entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Mais il y a une chose, mes chers collègues, que le Congrès ne peut pas faire, c’est priver les citoyens français du recours en exception d’inconstitutionnalité. C’est ce qui manque dans notre système juridique pour assurer la primauté du droit. Nous sommes le seul pays démocratique où les citoyens ne peuvent pas invoquer l’inconstitutionnalité d’un texte devant une juridiction. Désormais, si cette réforme est votée, les citoyens français seront traités comme tous les autres citoyens des pays démocratiques.
L’unique question que j’ai envie de me poser pour lundi prochain est la suivante : allons-nous priver nos concitoyens de ce droit ? Je réponds non ! Nous attendons depuis si longtemps que chaque Français puisse invoquer l’inconstitutionnalité d’un texte devant le juge, que cette disposition est pour moi, et probablement pour les membres de mon groupe, la mesure essentielle de la réforme constitutionnelle.
Par ailleurs, je souhaite dire un mot du pluralisme et des modifications apportées par l’Assemblée nationale. Je veux notamment expliquer pourquoi l’amendement qui a été adopté à l’article 1er du projet de loi constitutionnelle nous semble important. Il s’agit d’un texte que j’ai moi-même rédigé un soir, un peu tard, sur la vitrine qui expose la loi constitutionnelle de 1958.
Sourires
Je n’en suis pas sûr, mais l’anecdote est véridique !
Quoi qu’il en soit, la formulation proposée pourrait parfois nécessiter des éclaircissements. Machiavel ne me semble pas avoir raison lorsqu’il dit que l’on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses propres dépens. Je crois qu’il faut sortir de l’ambiguïté s’agissant de cet amendement.
Je reconnais que sa rédaction aurait pu être meilleure ; c’était le cas de la première version. J’ai cherché à exprimer exactement la même idée, mais en utilisant une formulation différente, puisque l’art du compromis est de trouver un accord.
(M. .le secrétaire d’État fait un signe de dénégation.) Cela viendra quand vous serez en formation permanente à la région d’Île-de-France, ce qui ne manquera pas de vous arriver !
Sourires
Je vous rappelle la phrase figurant dans l’amendement qui a été retenu par l’Assemblée nationale : « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. » Dans un premier temps, on peut se demander s’il ne s’agit pas simplement d’une pétition de principe. La réponse est non ! Il faut retenir dans ce domaine les principes habituels d’interprétation des textes juridiques, notamment des textes constitutionnels, qui ont été rappelés par François Luchaire dans un article connu de tous les juristes, notamment de M. secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. §
Il faut toujours interpréter les textes juridiques potius ut valeant quam ut pereant, c'est-à-dire de telle façon qu’ils aient un sens plutôt qu’ils n’en aient point. C’est la règle de l’effet utile des textes juridiques.
Si le pluriel « les expressions » est utilisé dans la phrase « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions », c’est simplement parce que, au singulier, « l’expression » peut signifier monter sur une chaise et parler dans le jardin du Luxembourg. Le pluriel implique nécessairement un vote : c’est la façon de s’exprimer en démocratie ; sinon, cela ne fonctionne pas.
Voilà pourquoi j’ai insisté pour que l’on inscrive dans le texte « les expressions ». Le Gouvernement a refusé mon amendement au Sénat. Mais le Président de la République a bien voulu l’accepter par la suite.
C’est exactement celui que j’avais proposé, et je suis heureux qu’on l’ait en fin de compte accepté !
Peu importe, messieurs Sueur et Assouline ! Une fois que la réforme de la Constitution est votée, …
Ce n’est pas le Président de la République qui décide, c’est le Parlement, qui vote !
… que ce soit celle-ci ou une autre, elle n’appartient pas à ses auteurs : elle appartient à celles et ceux qui la mettent en œuvre ! Il suffit pour s’en convaincre de regarder la Constitution de 1958, qui a été admirablement mise en œuvre par François Mitterrand et les gouvernements qu’il a nommés. Personne n’a jamais dit le contraire, et heureusement !
En tout état de cause, la première partie de la phrase « La loi garantit les expressions pluralistes des opinions » signifie, tout simplement, que nous restons fidèles à la tradition française de ne pas inscrire dans la Constitution de régime électoral.
Il est très important d’écrire que la loi « garantit » et non pas « favorise », …
… car cela veut dire qu’il ne peut pas y avoir désormais de loi électorale qui ne mette pas en œuvre l’expression du pluralisme des opinions. Je le répète, nous sommes favorables non pas à la proportionnelle intégrale, mais à une dose de proportionnelle dans toutes les élections.
Sachant que j’ai raison, il faut bien que vous m’interrompiez !
Quant à l’autre partie de la phrase, à savoir « et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la nation », ce qui est important c’est, bien sûr, le mot « équitable ».
Il s’agit de faire en sorte que tous les partis puissent participer à la vie politique de la nation en fonction non pas de leur importance numérique, mais des idées qu’ils représentent. Tous doivent être traités de façon équitable. Cela vaut pour le Sénat, bien sûr, mais avant tout pour les membres du Conseil constitutionnel, …
… qui auront naturellement à connaître dans l’avenir de textes qui pourront contrevenir aux dispositions que je vous présente.
Je sais bien que, s’agissant de l’interprétation des textes constitutionnels, le juge constitutionnel se reconnaît très peu de pouvoir lorsque la réforme est soumise à un référendum et un peu plus de pouvoir lorsqu’elle est adoptée par le Congrès. Mais en aucun cas le juge constitutionnel ne se reconnaît une plénitude de compétence : il le dit dans chacune de ses décisions ; il n’a pas la même compétence que le Parlement.
Il nous appartient, à nous, parlementaires, de préciser le contenu des amendements que nous déposons et à vous de le confirmer – ce que nous vous demandons aujourd’hui – afin que les choses soient claires entre nous et dans le pays.
Parce que cet amendement représente la quintessence de notre philosophie politique, parce que désormais les citoyens pourront exciper devant tout juge du caractère inconstitutionnel du texte qui leur est opposé, il me semble que nous devons suivre la recommandation du président de la commission des lois et voter le texte qui nous est soumis.
Applaudissements sur les travées de l ’ UC-UDF et de l ’ UMP.- Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, lundi prochain, nous connaîtrons à Versailles l’épilogue du feuilleton de la révision constitutionnelle commencée il y a un an par le discours d’Épinal. Quelle qu’en soit l’issue, ce Congrès sera celui d’une occasion gâchée.
Si le Gouvernement en avait eu la volonté, il aurait pu en être autrement, mais il a refusé le dialogue constructif avec toute l’opposition pour privilégier un monologue interne à l’UMP et la quête inlassable, par tous les moyens dont le pouvoir dispose, des voix qui lui sont nécessaires.
Depuis la nuit du mardi 24 au mercredi 25 juin où le Sénat a achevé sa première lecture jusqu’à notre séance plénière d’aujourd’hui, que s’est-il passé ?
Si l’on tente de le reconstituer, le film de ces trois semaines apparaît assez édifiant pour illustrer votre conception de la modernisation des institutions.
Tout d’abord, pour régler les problèmes en suspens à l’issue de la première lecture, vous inventez une nouvelle forme de commission mixte paritaire …
Il s’agit d’élaborer, sous la houlette du Premier ministre et sous le regard vigilant de l’Élysée et de ses conseillers, un compromis interne à l’UMP, dès lors forcément historique.
Les députés et les sénateurs de l’UMP seront invités fermement à lui manifester, à défaut de leur enthousiasme, au moins leur accord.
Il vous faudra un peu plus de temps et plusieurs tentatives pour enlever le caillou « adhésion de la Turquie » des godillots de la majorité et trouver un habillage compliqué qui, sous une apparence de neutralité géographique, reste, mais sans le dire, uniquement dirigé contre la Turquie.
Cette première étape franchie, il reviendra au président de la commission des lois de l’Assemblée nationale d’amender le texte issu du Sénat et de le rendre conforme à l’accord inter-UMP.
C’est, à quelques détails près, l’état dans lequel nous revient le projet de loi constitutionnelle après son adoption en deuxième lecture par l’Assemblée nationale, et nous sommes invités par le président de la commission des lois du Sénat, …
… à l’adopter conforme.
Le refus de tous les amendements que nous pourrons proposer, quel qu’en soit le contenu, illustrera à la perfection ce que signifie pour vous revaloriser les travaux du Parlement.
Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Deux détails ont attiré notre attention.
Il s’agit, d’abord, de la nouvelle rédaction de l’article 1er du projet de loi constitutionnelle, rédaction a priori sympathique puisque, nous disent les dépêches, elle a rendu notre excellent collègue Michel Mercier heureux à sa sortie de l’Élysée. Malgré vos explications un peu compliquées, mon cher collègue, j’attends toujours de découvrir les progrès que cette nouvelle rédaction apporte sur le plan de la démocratie pour juger si nous sommes en présence d’un bonheur individuel ou collectif !
Exclamations sur les travées du groupe socialiste.
Il s’agit, ensuite, de la constitutionnalisation des commissions d’enquête. Il semblerait que ce point précis soit, pour la réussite de la révision, d’une importance capitale, qu’il constitue l’un des apports décisifs de votre vision de la modernisation des institutions. Nous ne doutons pas que vous aurez à cœur, lors du débat, de nous expliquer tous les tenants et aboutissants de cette évolution récente et radicale.
En prévision du Congrès, les joueurs de tambour médiatiques de l’UMP pourront donc continuer leur ritournelle : comment les socialistes peuvent-ils voter non à ce monument constitutionnel sarkozien édifié avec une telle ouverture d’esprit ?
C’est pourtant, mes chers collègues, ce que les députés et les sénateurs socialistes feront lundi prochain.
Les raisons qui nous conduisent à refuser votre projet de loi constitutionnelle sont nombreuses. Quelques avancées secondaires ne peuvent servir à recueillir notre accord alors que, dans le même temps, il y a recul, j’y insiste, sur des points essentiels.
Le recul le plus symbolique que le Gouvernement a avalisé concerne le Sénat.
Lors de notre entrevue à Matignon, nous avions clairement indiqué au Premier ministre l’importance que les parlementaires socialistes attachaient à la nécessité démocratique de supprimer le verrou qui bloquait toute évolution du collège électoral du Sénat.
Les conclusions du comité Balladur étaient sur ce point sans équivoque et se résumaient en une proposition simple libellée ainsi : « Le Sénat […] assure la représentation des collectivités territoriales de la République en fonction de leur population », ce pour mettre fin à une situation qui « favorise à l’excès la représentation des zones faiblement peuplées, au détriment des zones urbaines ».
Même en préférant la formulation plus simple « en tenant compte », le Gouvernement acceptait néanmoins cet impératif démocratique et expliquait dans l’exposé des motifs sa volonté de surmonter les contraintes de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui « a eu pour effet d’interdire toute évolution de la composition du collège électoral sénatorial dans le sens d’un équilibre plus juste, en termes démographiques, entre petites, moyennes et grandes communes ».
Vous aviez même tenu – vous devez vous en souvenir, monsieur Karoutchi - à attirer particulièrement notre attention sur l’article 34 qui obligeait à mettre en place un nouveau collège électoral dès 2011.
Toutes ces bonnes intentions gouvernementales qu’au demeurant l’Assemblée nationale avait adoptées se sont envolées. Toute référence à une prise en compte de la population dans la composition du collège électoral sénatorial a disparu.
Les verrous sont plus que jamais en place et leur bon fonctionnement a été soigneusement vérifié. Peu importe que les citoyens accordent, dans toutes les catégories de collectivités locales, une large majorité aux formations politiques de gauche, l’assemblée qui est censée les représenter doit, en tout état de cause, rester de droite même au mépris du suffrage universel.
Il faut beaucoup d’aveuglement pour voir une avancée démocratique là où il n’y a qu’un déni de démocratie.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur plusieurs travées du groupe CRC.
Le Gouvernement a renoncé à renforcer la légitimité et la représentativité du Sénat, il a cédé aux injonctions des sénateurs UMP. On comprend que, dans ces conditions, monsieur le rapporteur, vous estimiez que « le Sénat a eu satisfaction sur les sujets auxquels il attachait une particulière importance ».
L’essentiel est atteint pour la majorité du Sénat : elle a sauvé son mode de représentation et ses pouvoirs de blocage.
Certes, il vous demeure impossible, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, d’inscrire noir sur blanc dans la Constitution l’obligation que les assemblées parlementaires soient de droite, mais, par cette révision, vous tentez d’en créer les conditions.
Au Sénat, le statu quo suffit ; à l’Assemblée nationale, le suffrage universel direct rend l’exercice plus délicat.
Toutefois, en adoptant deux mesures constitutionnelles, la limitation du nombre de députés au niveau actuel et la création de sièges pour représenter les Français établis hors de France, et en y ajoutant - mesure non constitutionnelle - un nombre minimum de deux députés par département, vous cherchez à minorer la représentation des départements les plus urbains, souvent favorables aux formations de gauche.
Le talent incontesté de M. Marleix dans le découpage des circonscriptions fera le reste.
Une alternance quasi impossible au Sénat, une alternance de plus en plus difficile à l’Assemblée nationale, une révision constitutionnelle par la voie du Congrès interdite à la gauche par le maintien du droit de véto du Sénat : à qui ferez-vous croire que ce paysage institutionnel soit le décor d’une démocratie irréprochable ?
Celle-ci ne peut se limiter à quelques améliorations techniques des travaux parlementaires. Pour certaines d’entre elles, il n’est d’ailleurs nul besoin de réviser la Constitution. Le Gouvernement est seul maître de l’ordre du jour, il lui est donc loisible d’accorder aux parlementaires les délais d’examen nécessaires à des travaux de qualité.
Le Gouvernement est également seul maître de la procédure d’urgence ; il n’a pas davantage besoin d’une révision constitutionnelle pour arrêter d’en faire un usage abusif.
Le partage de l’ordre du jour et la limitation de l’urgence, même rebaptisée « procédure accélérée », sont des avancées plus apparentes que réelles, votre projet prévoyant les moyens nécessaires pour transférer du Parlement au Gouvernement tout le temps d’ordre du jour qu’il souhaite et pour maintenir autant qu’il le désire le recours à l’urgence.
Quant aux droits nouveaux pour l’opposition, qui devaient symboliser la revalorisation du Parlement, ils sont renvoyés ou plutôt relégués, sans aucune garantie, dans le règlement de chaque assemblée ; cela signifie qu’ils dépendront exclusivement du bon plaisir de la majorité. Nous savons au Sénat ce que cela nous réserve.
Même la journée dont l’ordre du jour devait être concédé à l’opposition n’a pas survécu dans son intégralité. C’était sans doute trop pour vous ! Le temps sera partagé avec les groupes minoritaires qui, certes, ne se revendiquent pas de la majorité, mais la soutiennent néanmoins la plupart du temps. La portion congrue que vous réserviez à l’opposition était encore trop importante. Vous l’avez diminuée et, si j’ai bien compris votre sens de l’humour, au nom de « l’amélioration du pluralisme ».
Pour couronner le tout, vous mettez en cause le droit d’amendement, dont les conditions d’exercice seront fixées par le règlement des assemblées. Quelles garanties pour l’opposition ? Aucune ! Rien, dans le projet de révision, ne peut assurer à un parlementaire qu’il conservera, en séance publique, cette liberté d’expression individuelle qui est la caractéristique fondamentale d’un régime démocratique. Là encore, un droit qui devrait être imprescriptible dépendra du bon plaisir de la majorité de chaque assemblée.
Si c’est avec ces différentes mesures que vous pensez entraîner notre adhésion, vous faites fausse route !
De plus, des mesures que vous présentez comme des avancées démocratiques ne sont souvent que des trompe-l’œil. Il en est ainsi du droit de véto négatif accordé pour les nominations relevant du chef de l’État. Réunir une majorité des trois cinquièmes pour s’opposer à une nomination, c’est une illusion, un droit formel sans réalité.
Ce faux-semblant ne contribue pas à favoriser une démocratie respectueuse du pluralisme d’opinion ; il laisse au contraire de beaux jours au clientélisme politique.
Même s’ils ne sont plus en discussion, car votés conformes, deux autres articles confortent encore notre refus de votre révision : ils concernent respectivement les ministres et le Président de la République.
Il n’est pas normal que les membres du Gouvernement anciens parlementaires profitent d’une révision constitutionnelle pour s’accorder le privilège d’assurer leur retour dans leur assemblée d’origine. Il est encore plus difficile d’admettre la rétroactivité de cette mesure ; le minimum de décence aurait été de ne l’appliquer qu’aux futurs ministres, mais vous avez sans doute voulu donner corps au proverbe « charité bien ordonnée commence par soi-même ».
La recherche de nouveaux droits pour le Parlement emprunte pour vous curieusement la voie d’une extension des pouvoirs du Président. Cela semblait inutile au regard de l’« omniprésidence » actuelle, mais le Président de la République voulait tellement pouvoir s’adresser directement au Parlement. J’ai la conviction que cette obsession est la raison essentielle pour laquelle a été engagée la révision constitutionnelle. Cela fait beaucoup d’efforts, peut-être vains d’ailleurs, pour que ce que Robert Badinter qualifie de « monocratie » puisse s’exprimer dans le lieu le plus illustre de la monarchie.
Cette révision constitutionnelle aurait, enfin, pu être l’occasion de montrer le visage d’une France généreuse, accueillante, ouverte aux étrangers installés depuis plusieurs années dans notre pays.
Une nouvelle fois, alors que l’idée est maintenant acceptée par un nombre important de Français, vous avez refusé de leur accorder le droit de vote aux élections locales. Or vous savez que seule une révision constitutionnelle peut lever l’obstacle juridique qui l’interdit. Là encore, c’est une occasion gâchée.
Vous avez refusé le dialogue sur nos propositions essentielles. Il n’a pas été possible pour nous d’obtenir ne serait-ce que le début du commencement d’une réponse positive sur aucune d’entre elles. Vous avez délibérément choisi la voie de l’affrontement, recherché la victoire d’un camp sur un autre. Là où nous attendions des progrès pour la démocratie, nous trouvons des reculs et le développement de la monocratie.
En conséquence, tous les sénateurs socialistes rejetteront, lundi, votre projet de révision.
Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion de cette deuxième lecture du projet de loi constitutionnelle, j’ai souhaité intervenir uniquement pour dire mon attachement à la reconnaissance des langues régionales et pour expliquer brièvement qu’à côté des enjeux culturels il peut y avoir des enjeux économiques consécutifs à cette reconnaissance.
Étant Alsacien non pas de naissance, mais d’adoption depuis plus de quarante ans, …
… j’ai appris à parler cette langue. C’est au travers de son usage que j’ai pu appréhender l’histoire, la culture et la richesse de cette région dont je suis devenu sénateur par la suite. Je fais référence d’abord à l’histoire, parce qu’on ne peut comprendre la culture et la richesse de cette région que si l’on connaît bien son histoire.
L’alsacien est issu de langues anciennes : l’alémanique et le francique. Malheureusement, la pratique du dialecte diminue d’année en année. Actuellement, un adulte sur quatre parle encore le dialecte, mais les enfants le pratiquent de moins en moins, ce qui fait que, progressivement, l’alsacien devient la langue des anciens.
Nous faisons bien des efforts pour augmenter son usage dès le plus jeune âge, mais il nous fallait un texte fondateur pour aller plus loin.
C’est la raison pour laquelle je me réjouis de la disposition sur l’appartenance des langues régionales au patrimoine de la France introduite au titre XII de la Constitution relatif aux collectivités territoriales.
En effet, au-delà des ouvertures culturelles évidentes que ce texte permet, cela devrait, dans notre cas particulier, nous inciter à mettre définitivement en place les moyens permettant à nos jeunes d’être bilingues français-allemand dès l’école primaire. Je dis « français-allemand », car je suis bien évidemment persuadé que, dans notre cas, c’est au travers de l’allemand qu’il faut aborder la question pour avoir une chance de sauver notre dialecte.
D'ailleurs, à partir de diverses expériences en primaire, on a pu constater que nos jeunes sont devenus facilement trilingues au collège. Dans un monde en pleine globalisation des échanges et des cultures, il est certain que l’on sera plus performant en comprenant l’autre plutôt qu’en l’ignorant.
D’une façon plus générale, à partir des langues régionales, il faut habituer nos enfants à ces gymnastiques de l’esprit qui leur permettront, j’en suis persuadé, d’aborder plus vite d’autres langues.
Vous voyez donc, mes chers collègues, que l’on est bien loin de porter atteinte à la place que le français occupe dans la sphère publique depuis 1539 avec l’ordonnance de Villers-Cotterêts, tout comme on est bien loin d’éclipser en région la langue de Molière, source inépuisable de créativité et de richesse culturelle.
Notre assemblée, qui représente les territoires, ne peut que se réjouir de l’adoption par l’Assemblée nationale de cet amendement.
Enfin, cette solution de compromis permet d’éviter, j’en conviens, que les langues régionales ne soient mentionnées dans notre Constitution avant le français, qui reste à sa juste place. Elle permet aussi que soient prises en compte notre richesse et notre diversité, que nous devons considérer comme des atouts et non comme des handicaps pour nos enfants : ils pourront ainsi mieux évoluer sur leur futur terrain de jeu économique et culturel, qui sera pour le moins européen, voire mondial ou planétaire.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et sur diverses travées de l ’ UC-UDF.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voici aujourd’hui parvenus à l’épilogue de la réforme des institutions de la Ve République. Il y a plusieurs mois, une telle perspective était séduisante. Les conclusions du comité Balladur pouvaient présager un débat serein, constructif, marqué par un réel souci de laisser plus de place au Parlement, et, ce faisant, à l’opposition.
La prise en compte de la population des collectivités territoriales dans l’élection des sénateurs, le non-cumul des fonctions de membre du Gouvernement et d’un mandat d’élu local, la publicité des débats des commissions, autant de propositions qui auraient pu concourir à l’objectif que nous nous étions fixé : donner plus de pouvoirs au Parlement, plus de droits aux citoyens et encadrer le pouvoir exécutif.
Par ailleurs, plusieurs propositions, comme le droit de vote des résidents étrangers, absente des conclusions du comité Balladur, méritaient également une discussion à la hauteur d’une révision constitutionnelle annoncée comme la plus importante depuis 1958.
Depuis, nous avons traversé une série de péripéties qui ont transformé cette révision en non-événement. Dans un esprit totalement contraire à l’objet de cette réforme, nous avons dû subir l’irrédentisme de la majorité sénatoriale, incapable de démontrer sur ce texte une once d’ouverture. Mes chers collègues, permettez-moi de vous le dire, le Sénat fut une caricature de lui-même !
Tous les citoyens que je rencontre depuis le début de l’examen de ce projet de loi sont déçus : déçus de l’inertie dont nous avons fait preuve, déçus du manque d’audace des parlementaires, notamment du Sénat, égal à lui-même, comme ils disent. Chambre conservatrice devant l’Éternel, la Haute Assemblée a marqué de son immobilisme la réforme engagée.
En lieu et place d’un débat serein, la majorité a réduit cette révision à une mascarade politique. Comment accepter que, dans un débat où doivent s’exprimer toutes les oppositions, où toutes les audaces peuvent trouver leur place, vous n’ayez eu de cesse de réduire l’effet utile de cette réforme en la transformant en exercice cosmétique ?
Dans cette réforme, tout ce qui faisait sens est aujourd’hui absent. Toutes les propositions que nous avons présentées ont été balayées d’un revers de main, comme si l’opposition devait se contenter d’observer la majorité négocier entre ses membres les points qui méritaient de survivre.
Comble de cette méthode, votre majorité se réunit avant la deuxième lecture, afin que l’Assemblée nationale et le Sénat se mettent d’accord sur un texte commun. Vous inventez une sorte de « CMP de la majorité parlementaire », débarrassée de l’opposition, vidant ainsi le débat de toute son utilité. Mes chers collègues, il me semblait que la notion de démocratie parlementaire signifiait que la loi était débattue et votée dans l’hémicycle du Parlement et non pas dans les bureaux de I’UMP ou de Matignon.
Nous voici donc muselés, sommés d’adopter ce texte conforme, sans pouvoir le modifier ni l’amender, sans pouvoir ni ajouter ni retrancher le moindre mot. En somme, le débat que nous allons avoir ces prochains jours ne sert à rien : les dés sont jetés depuis l’adoption du texte, modifié en deuxième lecture, par l’Assemblée nationale.
Nous voici transformés en chambre d’enregistrement : nous sommes les figurants d’une histoire que nous n’avons pas souhaité écrire et que, pourtant, nous devons aujourd’hui avaliser sans coup férir. Il me semblait que la souveraineté parlementaire permettait à l’opposition de participer au débat démocratique. Comment ne pas être scandalisé de savoir, avant même que le débat ait lieu, que cette histoire est déjà écrite ?
En première lecture, le Sénat a fait preuve d’une timidité qui ne l’honore pas. La suppression de toute référence aux langues régionales dans la Constitution en est un exemple : comme nous l’avions d’ailleurs proposé, lors de la première lecture, l’Assemblée nationale a décidé de les réintégrer dans un autre article que l’article 1er. Tant mieux !
Malheureusement, le droit de vote des étrangers, qui avait reçu dans cette assemblée aussi un écho assez favorable, notamment auprès d’éminents collègues de la majorité, a été repoussé à moins de vingt voix. Une nouvelle fois, nous avons raté l’occasion de donner un nouvel élan à notre démocratie !
Nous aurions souhaité aujourd’hui obtenir une seconde chance sur ce point, mais les choses sont ainsi faites : nous allons assister à un simulacre de débat, dont l’issue sera sans surprise.
Après avoir assumé en première lecture son rôle de chambre conservatrice, le Sénat se retrouve, en deuxième lecture, dans la situation de devoir adopter le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale sans pouvoir réagir sur de nombreux points, texte contraire aux positions adoptées ici même par la commission des lois.
À ce stade, une question me vient à l’esprit : pourquoi le Gouvernement ne demande-t-il pas l’application de l’article 44, alinéa 3, à savoir le vote bloqué ? Pourquoi ne pas utiliser cette procédure inique, mais prévue par la Constitution, au lieu de laisser croire que le texte qui sortira de cette chambre sera le fruit d’un débat honorable et d’un échange fructueux ? Quelle hypocrisie ! Autant assumer ce qui va advenir de ce texte au Sénat dans les deux jours que nous lui consacrerons et en tirer les conséquences sur le plan de la procédure parlementaire car, sans que cela soit dit, nous allons procéder à un vote bloqué ! Aucun amendement ne sera retenu. D’ailleurs, aucun amendement n’a été déposé par la commission des lois en deuxième lecture.
Pourquoi avoir autant peur d’une troisième lecture ? Pourquoi refuser toute possibilité d’évolution à ce texte ?
Madame la ministre, messieurs du Gouvernement, les Français doivent savoir pourquoi vous ne souhaitez pas que ce texte soit à nouveau amendé : le Congrès doit se réunir le 21 juillet, ainsi en a décidé le prince et, quel que soit le prix à payer, pas question de changer la date !
Sans recul ni temps pour la réflexion, nous ne pourrons pas donner à cette réforme l’envergure qu’elle mérite. Les Français devront se contenter de quelques mesures sans grande conséquence, sauf quelques avancées timides qui tiennent en cinq articles, tout au plus.
Pour le reste, il s’agit d’une réforme de convenance : le désir de briller de notre Président qui aime à faire dans l’affichage médiatique ; la soumission du Gouvernement et de sa majorité parlementaire, complaisants avec un Sénat qui reste jaloux de ses privilèges et refuse de se réformer.
Comment appeler autrement une réforme qui permet aux ministres actuellement en place de retrouver leur siège de parlementaire, dans le mépris le plus total du principe de non-rétroactivité ? Vous avez supprimé l’affirmation de ce principe à l’article 11 du projet de loi mais, en vérité, la rétroactivité réapparaît dans l’article 34 – d’une manière organisée, il est vrai, mais elle est bien là –, en contradiction totale avec les grands principes de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
En première lecture à l’Assemblée nationale, le président Jean-Luc Warsmann, rapporteur du texte, avait souhaité inscrire ce principe de non-rétroactivité dans la Constitution, en précisant que « sauf motif déterminant d’intérêt général, la loi dispose pour l’avenir », conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Pouvez-vous me dire quel motif déterminant d’intérêt général justifie la possibilité pour les ministres actuels de retrouver leur siège ? II n’y en a pas ! Seul un intérêt personnel peut être avancé : créer aux ministres actuels un « parachute doré » au Sénat ou à l’Assemblée nationale.
N’oublions pas que la vocation des parlementaires est de servir la France et l’intérêt général, et non de se servir, en répondant aux intérêts particuliers de ministres soucieux de leur avenir politique. À elle seule, cette disposition est topique de la méthode du Gouvernement : laisser penser qu’il donne, alors qu’il ne fait que se servir !
Sur ce point précis, la commission des lois du Sénat avait adopté une position de sagesse, en refusant toute rétroactivité de l’article 10 du projet de loi. Après avoir déserté les travées de notre assemblée lors du vote de notre amendement demandant la non-rétroactivité, laissant notre rapporteur bien seul à défendre sa position, la commission se retrouve aujourd’hui contrainte de céder aux injonctions du Gouvernement et d’accepter cette règle. Il s’agit là d’un exemple parmi d’autres des raisons qui nous obligent à refuser ce texte.
En toute sincérité, je regrette de vous le dire, nous ne voyons aucune avancée notable qui pourrait justifier notre adhésion.
Aucun geste à l’égard des étrangers qui, autant que les citoyens communautaires, devraient se voir reconnaître le droit de voter aux élections municipales. Sachant que le Gouvernement ne cesse de proclamer qu’il mène une politique d’insertion des étrangers, ne serait-ce pas là le meilleur moyen de les accompagner dans l’intégration politique ?
Aucun geste à l’égard de l’opposition sénatoriale, condamnée à demeurer éternellement dans l’opposition, par le refus de toute modification des modes de scrutin pour l’élection des sénateurs, au mépris des nouvelles majorités politiques de nos régions et de nos départements.
Aucun geste non plus à l’égard des petits partis, en refusant l’injection d’une dose de proportionnelle aux élections législatives. Sur cette dernière question, les groupes minoritaires du centre tenaient entre leurs mains les clés de cette réforme. En effet, ils avaient les moyens d’imposer l’introduction de la proportionnelle aux élections législatives, car ils étaient en position de bloquer, le 21 juillet, cette réforme de nos institutions.
Mais au lieu de tenir tête à la majorité et d’imposer votre propre conception de la représentation pluraliste des opinions politiques, vous avez préféré abdiquer. Vous portez une responsabilité historique et les Français s’en souviendront !
Quant à nous, les sénateurs Verts, vous l’avez compris, nous voterons contre ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis quelques jours, la fébrilité a saisi les principaux leaders de la majorité, lesquels reprennent tous en chœur le couplet du président de l’Assemblée nationale dans la presse de ce matin, affirmant que si le rejet du projet de loi constitutionnelle par le Congrès « ne serait pas bon pour l’exécutif », il serait « encore plus calamiteux pour l’opposition, qui irait totalement en sens contraire de ce que veut l’opinion ».
Au-delà des manœuvres politiciennes en cours pour essayer de débaucher tel ou tel parlementaire de l’opposition afin de sauver la révision constitutionnelle, ce qui serait réellement calamiteux pour nos institutions serait de laisser croire que, s’il entrait en vigueur, ce projet de loi marquerait un réel progrès démocratique.
Loin des débats juridiques qui nous agitent, les Français attendent d’abord de la réforme des institutions qu’elle interdise au chef de l’État d’abuser sans cesse du pouvoir, comme il l’a fait depuis son élection au profit de son clan. Or rien dans le texte actuel du projet de loi constitutionnelle ne permettrait d’encadrer la pratique du pouvoir présidentiel quand elle dérive vers la monocratie, comme c’est le cas aujourd’hui. Au contraire !
Nous n’avons pas ici de débat désincarné. Nous sommes en droit – c’est même un devoir –, pour clarifier l’enjeu, de nous poser des questions tout à fait pratiques et concrètes.
Le projet de loi voté, les pouvoirs seront-ils rééquilibrés ?
Empêchera-t-il alors le Président de la République, garant, en vertu de l’article 5 de la Constitution, du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, un jour de décrédibiliser l’armée, un autre de dévaluer le droit de grève, un troisième d’annoncer le contrôle direct du pouvoir exécutif sur la télévision publique ? Non !
Incitera-t-il le chef de l’État à ne plus nier le rôle du Premier ministre dans la conduite du gouvernement de la nation et à ne plus réunir régulièrement un Gouvernement bis à l’Élysée ? Non !
On nous promet que le projet de révision donnera au Parlement une place qu’il n’a jamais eue sous la Ve République. Après l’adoption du texte en l’état, la Constitution interdira-t-elle au pouvoir exécutif d’abuser de la procédure d’urgence, rebaptisée « procédure accélérée », comme il l’a fait depuis juin 2007 ? Non !
On nous dit que la parole des citoyens sera plus directement prise en compte. La démocratie participative sera-t-elle installée ? Non !
Les millions d’étrangers extracommunautaires qui vivent régulièrement en France et payent des impôts pourront-ils enfin voter aux élections locales ? Non !
On nous jure, comme l’a fait Mme le garde des sceaux la semaine dernière à l’Assemblée nationale, que l’article 34 de la Constitution tel que complété par l’amendement que j’avais défendu au nom des socialistes – contre son avis, d’ailleurs – garantira pleinement « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ». Cette disposition suffira-t-elle, à elle seule, à dissuader un ministre d’État, ministre de l’intérieur, candidat à l’élection présidentielle, d’obtenir la révocation du directeur de la rédaction d’un des principaux newsmagazine du pays ou de donner son avis sur le recrutement d’un journaliste politique chargé de suivre son propre parti ? Non !
Permettra-t-elle d’interdire à des conglomérats industriels de détenir des intérêts dans les médias tout en étant par ailleurs clients ou fournisseurs de l’État, comme c’est le cas des groupes Dassault et Lagardère, marchands d’armes et propriétaires de titres de presse, ou de Bouygues, géant du BTP et principal actionnaire de la chaîne de télévision dominant le marché publicitaire français ? Non !
Interdira-t-elle à un grand groupe économique comme LVMH de contrôler directement le principal journal d’information économique ? Non !
Incitera-t-elle le chef de l’État à ne plus accepter de partir en vacances aux frais d’un riche homme d’affaires, en l’occurrence Vincent Bolloré, qui vient de prendre le contrôle de la totalité du capital de la société d’études d’opinion CSA, tout en étant propriétaire de la chaîne de télévision Direct 8 et de plusieurs « gratuits », et l’actionnaire principal de la Société française de production, la SFP, prestataire de France Télévisions ? Non !
Obligera-t-elle les parlementaires de l’UMP à veiller à ne pas devenir les simples relais des lobbies proches de l’Élysée à l’occasion des débats parlementaires, comme on l’a vu, lors de la discussion du projet de loi de modernisation de l’économie, avec l’amendement « Lefebvre » relevant à 8 % le seuil d’audience de 2, 5 % permettant de détenir plus de 49 % du capital d’une chaîne de télévision hertzienne terrestre, ce qui permettra, par exemple, au groupe Bouygues de mettre la main sur le capital de Télévision Monte-Carlo, dont l’audience s’élève aujourd’hui à plus de 4 % ? Non !
Garantira-t-elle aux journalistes leur liberté d’enquêter et d’écrire quand un scandaleux amendement sénatorial à la loi de modernisation de l’économie remet en cause leurs droits d’auteurs et qu’un projet de loi en cours de discussion, défendu par Mme Dati, fait de même du principe, jusque-là absolu, du secret de leurs sources ? Non !
Empêchera-t-elle le Président de la République de confondre le service public de l’audiovisuel avec une télévision d’État dont il nommerait les dirigeants et de décider, seul, de remettre en cause le financement de France Télévisions pour assurer aux télévisions privées la captation de la totalité du marché publicitaire ? Non !
Obligera-t-elle le Conseil supérieur de l’audiovisuel à décompter du temps de parole du Gouvernement sur les antennes de radio et de télévision celui du Président de la République, devenu animateur de réunions de la majorité dont il est le véritable chef ? Non !
Autrement dit, mes chers collègues, ce projet de révision n’est qu’un faux-semblant : son entrée en vigueur ne fera qu’élargir le fossé entre les Français et leurs institutions, qu’alimenter la défiance de nos concitoyens envers les responsables politiques, puisque, sous couvert de modernisation des institutions, le texte va accroître la présidentialisation monocratique et l’emprise du fait majoritaire sur notre vie démocratique.
J’appelle donc solennellement le Sénat à revoir la copie qui nous revient de l’Assemblée nationale, notamment en inscrivant dans notre Constitution des dispositions rendant immédiatement opérants les principes de liberté, d’indépendance et de pluralisme des médias, comme nous le proposons avec les amendements que nous défendrons.
Pour terminer, je voudrais citer Victor Hugo à l'Assemblée nationale en 1848, intervenant précisément dans un débat sur la Constitution : « Messieurs, la liberté de la presse est la garantie de la liberté des assemblées.
« Les minorités trouvent dans la presse libre l’appui qui leur est souvent refusé dans les délibérations intérieures. Pour prouver ce que j’avance, les raisonnements abondent, les faits abondent également. […]
« Ne souffrez pas les empiétements du pouvoir ; ne laissez pas se faire autour de vous cette espèce de calme faux qui n’est pas le calme, que vous prenez pour l’ordre et qui n’est pas l’ordre ; faites attention à cette vérité que Cromwell n’ignorait pas, et que Bonaparte savait aussi : le silence autour des assemblées, c’est bientôt le silence dans les assemblées. »
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Applaudissements sur des travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant tout à remercier l’ensemble des orateurs qui viennent d’intervenir.
Vous avez manifesté la volonté d’être au rendez-vous d’une réforme qui peut changer en profondeur le fonctionnement de notre démocratie.
Vous avez conforté, par la qualité de vos interventions, notre conviction commune que la revalorisation du Parlement que nous proposons sera une avancée décisive.
Marques d’étonnement sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Vous avez choisi le langage de la responsabilité, en ayant à l’esprit les enjeux de cette deuxième lecture.
Cette deuxième lecture au Sénat est une étape majeure, car elle prépare la condition exigée par l’article 89 de la Constitution, celle d’un vote conforme des deux chambres sur le projet de révision constitutionnelle avant la convocation du Congrès.
Pour cela, il a été nécessaire que le Sénat soit associé en amont de cette lecture et travaille main dans la main avec l’Assemblée nationale pour que le texte que nous vous proposons aujourd’hui remplisse les exigences que vous aviez définies à l’issue de la première lecture. Cela a été possible grâce à l’excellence du travail effectué par la commission des lois et, en particulier, par votre rapporteur, le président Jean-Jacques Hyest, qui a montré tout à la fois une détermination sans faille, une remarquable capacité de conviction et un grand esprit de responsabilité.
De cela, je veux le remercier. Beaucoup de choses ont été dites. Comme cela est légitime, chacun a abordé la question institutionnelle avec son expérience, ses priorités, mais également ses propositions. Pour ma part, je me contenterai de mettre en exergue les grands principes de cette réforme, les principales avancées et les éléments de compromis qu’ensemble nous avons définis.
Le premier principe de cette réforme, c’est le renforcement de notre Ve République. Je voudrais, après nombre d’entre vous, notamment Mme Troendle, rendre hommage à la vision du général de Gaulle, car il a su concevoir une Constitution qui s’est révélée à la fois durable et forte. Oui, la Constitution de la Ve République a suffisamment fait ses preuves pour ne pas être dénaturée ou démantelée. Ce projet s’inscrit dans le cadre de la Ve République : le Président de la République est et reste élu par le peuple, le Gouvernement est et demeure responsable devant le Parlement, le Sénat a et garde une mission spécifique.
Mais le second principe de cette réforme, c’est l’adaptation de notre loi fondamentale aux évolutions de nos institutions et de la société. En effet, comme M. Mercier l’a souligné à juste titre, l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel en 1962 et l’adoption du quinquennat en 2000 ont accentué la prédominance du pouvoir exécutif dans nos institutions. Il n’est pas question d’accentuer cette prédominance, contrairement à ce que Mme Boumediene-Thiery affirme. En revanche, comme M. Mercier l’a rappelé, il nous faut moderniser notre démocratie, ce qui passe par un pouvoir exécutif davantage contrôlé, par un Parlement renforcé de façon significative, et par des droits nouveaux accordés aux citoyens.
Ce sont de ces avancées que je souhaite parler.
Presque tous les orateurs ont insisté sur la nécessité de moderniser et de revaloriser les pouvoirs du Parlement. Je vous propose de passer des mots aux actes, en tentant d’échapper à la surenchère, parce que la surenchère est souvent l’antichambre de l’immobilisme. Je me permets de rappeler à M. Frimat que ceux qui annoncent vouloir tout changer sont parfois ceux qui, en réalité, se préparent à ne rien changer. §
Mais j’aurais aimé aussi que MM. Frimat et Assouline reconnaissent les aspects de la réforme qu’ils ont eux-mêmes jugés positifs : possibilité de voter des résolutions, partage de l’ordre du jour – nous sommes l’un des seuls pays européens, me semble-t-il, à le prévoir –, référendum d’initiative populaire, inscription dans l’article 34 de la Constitution, grâce à un amendement défendu par M. Assouline, des principes de liberté, de pluralisme et d’indépendance des médias, …
… reconnaissance de droits spécifiques aux partis et aux groupes qui ne sont pas majoritaires, et notamment à l’opposition.
Alors, au-delà des postures, passons ensemble aux actes !
Le président Jean-Jacques Hyest l’a excellemment dit, il s’agit de revaloriser le Parlement non pas pour le plaisir de le revaloriser, mais pour mieux contrôler le Gouvernement, pour améliorer la qualité de la loi et pour renforcer l’efficacité de nos politiques publiques. Or, comme lui-même l’a rappelé, les outils pour atteindre ce grand objectif sont nombreux : discussion en séance publique sur le texte issu de la commission, délais minimaux d’examen des textes, ratification expresse des ordonnances, plus grande maîtrise par le Parlement de son ordre du jour, contrôle des opérations militaires extérieures, principe de sincérité des comptes des administrations publiques, principe cher, à juste titre, à M. Lambert.
Au-delà de la revalorisation du Parlement, ce sont également de nouveaux droits pour les citoyens qui sont instaurés, et je voudrais ici citer l’exception d’inconstitutionnalité, attendue depuis longtemps, comme vous l’avez rappelé à plusieurs reprises. Ce sont aussi l’institution du Défenseur des droits ou encore la saisine du Conseil supérieur de la magistrature par les justiciables.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tel est le projet ambitieux, équilibré et enrichi de vos réflexions que nous vous proposons. Le Parlement en débat depuis deux mois, il y a consacré une centaine d’heures en séance publique. Aujourd’hui, chacun le constate, l’Assemblée nationale puis le Sénat ont apporté des améliorations substantielles au texte initial du Gouvernement.
Je vois dans la qualité des travaux parlementaires, dans la richesse des discussions qui sont les vôtres, une preuve supplémentaire du bien-fondé de notre projet. À cet égard, madame Troendle, monsieur Mercier, je vous remercie d’avoir reconnu que des progrès avaient été accomplis lors de l’examen dans les deux assemblées. Vous avez notamment cité la définition par la loi du statut de l’élu local, ou encore l’inscription dans la Constitution de l’important principe de la garantie des expressions pluralistes. Oui, le Gouvernement s’est montré ouvert au dialogue, et il l’a démontré en acceptant de très nombreux amendements, y compris provenant de l’opposition. §
Cependant, j’invite chacun au bon sens et à la responsabilité. Aller beaucoup plus loin, ce serait ruiner l’équilibre du texte ; aller moins loin, ce serait en ruiner l’ambition. Madame Assassi, il faut en avoir conscience, la surenchère est une posture facile et confortable, mais elle débouche sur une impasse.
Grâce au travail remarquable des deux assemblées, nous sommes arrivés à un compromis, qui, je l’espère et je le crois, satisfait la majorité d’entre vous et est susceptible de recueillir le vote positif du Congrès. Cela ne sera possible que parce que nous avons trouvé les points d’équilibre nécessaires, voire parfois des solutions de compromis. Le compromis n’est pas un chemin honteux, bien au contraire, parce que chacun, Gouvernement, Assemblée nationale et Sénat, a fait un pas vers l’autre : droit pour les assemblées de voter des résolutions ; composition de la commission chargée de donner un avis sur certaines nominations du Président de la République ; langues régionales, sujet cher à M. Grignon.
Nous avons également fait un pas sur les questions du droit de grâce, de la répartition des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif, sur les modalités de ratification des traités d’élargissement de l’Union, sur l’encadrement de l’article 49-3 : sur tous ces sujets, nos positions initiales n’étaient pas les mêmes, mais nous avons su, par le dialogue, nous retrouver sur un texte raisonnable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux, en guise de conclusion, et comme le Premier ministre l’a fait devant vous tout à l’heure, souligner avec solennité le caractère exceptionnel du texte qui nous occupe aujourd’hui.
À présent, chacun est invité à bien peser ses responsabilités : ceux qui diront non aux droits nouveaux accordés au Parlement devront motiver leur refus. §; ceux qui le feront au nom du statu quo devront expliquer pourquoi ils ont si peu confiance en leur assemblée ; ceux qui le feront au nom du changement devront préciser la raison pour laquelle ils n’ont pas saisi l’opportunité de faire un pas en direction de leur objectif.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la Constitution n’est pas la propriété d’un camp politique : elle appartient à la France.
Pour être adoptée, cette réforme a besoin de réunir une majorité de femmes et d’hommes qui seront capables de se rassembler. Car ainsi le succès pourra être revendiqué par chacun, et la réalisation de cette belle avancée sera l’œuvre de tous, dans le seul intérêt de la nation.
Si le Congrès adopte cette révision, notre vie politique sera profondément rénovée, le Parlement jouera pleinement son rôle, les citoyens auront des droits nouveaux, l’état de droit progressera. Nous aurons franchi une étape majeure dans la modernisation de la vie politique de la France.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ UC-UDF.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d’une motion n° 146 tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi constitutionnelle, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, de modernisation des institutions de la Ve République (n° 459, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.
Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la motion que je vais vous présenter n’a pas été examinée en commission. Cette dernière se réunira après que le Sénat se sera prononcé sur les motions.
En première lecture, nous avions déjà présenté une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. M. le rapporteur nous avait répondu, avec ironie, qu’une exception d’irrecevabilité ne pouvait être opposée à une révision constitutionnelle.
Pourtant, en 1992, sur le projet de loi constitutionnelle tendant à réviser la Constitution avant le référendum sur le traité de Maastricht, Philippe Seguin, au nom de ses collègues du RPR, a défendu une exception d’irrecevabilité devant les députés fondée sur le fait – je cite ses propos – que « le projet de loi viole, de façon flagrante, le principe en vertu duquel la souveraineté nationale est inaliénable et imprescriptible, ainsi que le principe de la séparation des pouvoirs, en dehors duquel une société doit être considérée comme dépourvue de Constitution ».
Cette motion, loin d’être critiquée par des députés proches de votre sensibilité, a été votée par l’ensemble de la droite dont François Fillon, Pierre Mazeaud ou encore Jean-Louis Debré.
De même, le Sénat a eu l’occasion, sur ce même texte, de se prononcer sur une exception d’irrecevabilité présentée, toujours au nom du RPR, par Paul Masson. Or il se trouve que l’actuel président du Sénat et d’autres, notamment Adrien Gouteyron, n’ont pas jugé inconcevable de voter pour cette motion.
Monsieur le rapporteur, vous qui avez une certaine longévité parlementaire et des connaissances constitutionnelles, ne nous faites pas croire que vous avez la mémoire courte ! C’est la raison pour laquelle je persiste à défendre cette motion d’irrecevabilité : j’ai des prédécesseurs en la matière !
En première lecture, nous avions évoqué trois motifs d’irrecevabilité : l’atteinte au principe de séparation des pouvoirs, réalisée par la venue du Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès ; l’atteinte au principe de non-rétroactivité de la loi pénale la plus sévère, concrétisée par l’inscription dans notre Constitution que, « sauf motif d’intérêt général déterminant, la loi ne dispose que pour l’avenir » ; l’impossibilité pour le pouvoir constituant dérivé de subordonner le contenu de dispositions de la Constitution à la décision d’États étrangers ; je fais ici référence à l’article 35 du projet de loi, qui prend en compte l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.
S’agissant de l’atteinte portée au principe de non-rétroactivité de la loi pénale, je me suis aperçue que j’avais raison, puisque, finalement, la suppression par le Sénat de l’alinéa de l’article 11 a été maintenue en deuxième lecture par les députés.
Il faut croire que les députés ont quand même perçu que, sous couvert d’apporter davantage de sécurité juridique à notre corpus législatif, cette disposition avait en réalité pour seul objectif de permettre l’adoption de lois pénales qui, hier encore, ne réussissaient pas à franchir la censure constitutionnelle.
Nous avons l’expérience, hélas ! de la loi relative à la rétention de sûreté : vous aviez voulu, madame le garde des sceaux, qu’elle soit rétroactive, ce que le Conseil constitutionnel a censuré.
Les deux autres motifs d’inconstitutionnalité demeurent plus que jamais.
La venue du Président de la République devant le Parlement réuni en Congrès est hautement symbolique de la dérive que connaissent nos institutions depuis l’instauration de la Ve République, et plus particulièrement depuis 1962 et la possibilité d’élire le Président de la République au suffrage universel direct.
Notre République actuelle se caractérise, au motif qu’il fallait mettre un terme à l’instabilité politique de la IVe République – sur laquelle il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire –, par un pouvoir exécutif à la tête hypertrophiée. Or, bien loin d’apporter un remède à cette hypertrophie présidentielle, le présent projet de loi l’aggrave. Le Président de la République serait en effet autorisé à venir s’exprimer devant le Congrès. Cette déclaration « pourra » donner lieu à un débat – ce ne sera donc nullement obligatoire – mais, bien entendu, elle ne fera pas l’objet d’un vote.
Il est d’ailleurs intéressant de constater que vous minimisez cette nouveauté, raison pourtant majeure de la réforme, au dire de notre collègue M. Pasqua. C’est bien simple : vous n’en parlez plus !
Nous l’avons votée conforme ! Nous n’allons pas revenir sans arrêt sur les dispositions adoptées !
Pourtant, en première lecture, plusieurs députés UMP et centristes avaient dénoncé en la matière une remise en cause de l’équilibre de la Ve République et un basculement vers un régime présidentiel. Certes, d’aucuns dépensent beaucoup d’énergie pour expliquer qu’il n’en est rien, notamment Mme le garde des sceaux et M. Accoyer.
Quelques constitutionnalistes – des « repentis », peut-être –, n’évoquent plus, eux non plus, cette venue du Président de la République devant le Parlement. Je les croyais pourtant indéfectiblement attachés à la séparation des pouvoirs et au régime parlementaire, qui est, semble-t-il, le plus démocratique et d’ailleurs – puisque vous vous référez toujours au modèle européen – le plus répandu en Europe.
Mais, madame le garde des sceaux, ce n’est pas avec le texte lui-même que vous pourrez nous convaincre ! En effet, ce discours de tribun ou de monarque, qui assène la parole présidentielle aux parlementaires sans que ceux-ci puissent s’adresser ensuite directement à lui, ni même exprimer leur opinion par un vote, renforce plus que jamais le Président de la République.
L’article du projet de loi traduit donc l’affaiblissement du Premier ministre en même temps que celui du Parlement. Le Président devient inexorablement le chef de l’exécutif, sans toutefois en endosser la responsabilité politique.
Il est le chef de la majorité et du parti majoritaire, sans que soient remis en cause son droit de dissolution ou encore les pleins pouvoirs que lui octroie l’article 16 de la Constitution ; les aménagements à la marge dudit article ne confèrent pas plus de légitimité à ces pleins pouvoirs.
Donc, nous accepterions, de fait, une confusion des pouvoirs comme il n’en existe dans aucune démocratie : un Président de la République avec des pouvoirs propres très importants, chef de l’exécutif, chef de la majorité et chef de parti.
C’est la disparition de la fonction d’arbitrage que conférait, en tout cas juridiquement, la Constitution de 1958 au Président de la République. Certes, le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral portaient en germe cette évolution. C’est bien pourquoi nous n’avions pas voté ces mesures. Mais, même pour leurs partisans, celles-ci nécessitaient une réorganisation réelle des pouvoirs, qui passait notamment par la suppression du droit de dissolution et l’attribution de véritables pouvoirs autonomes au Parlement. Or tel n’est pas le cas ! Le Parlement a un pouvoir réel quand il vote et pas simplement quand on lui permet de s’exprimer !
Je signale que le problème de la disparition du rôle d’arbitre du Président de la République a été soulevé plusieurs fois lors des auditions organisées par la commission des lois du Sénat, notamment par Mme Zoller et M. Colliard, ancien membre du Conseil constitutionnel. Mais, apparemment, cela ne vous émeut guère !
Le deuxième motif d’inconstitutionnalité concerne l’article 35 du projet de loi, qui prévoit la modification du titre XV de la Constitution à compter de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Malgré le non à ce traité exprimé par le peuple irlandais la veille de l’examen en première lecture par notre assemblée du projet de loi constitutionnelle, le Gouvernement et la majorité se sont résolument accrochés à cet article 35. Il faut reconnaître que le discours du Président de la République devant le Parlement européen, dans lequel il a promis de tout faire pour forcer celui-ci à se dédire, a évidemment de quoi vous encourager à camper sur vos positions. En témoignent les mises en garde agressives adressées aux électeurs irlandais pour qu’ils reviennent sur leur vote : « Il ne s’agit pas de forcer la main aux Irlandais […] Mais il faut avoir le courage de leur dire qu’il faut respecter ceux qui ont ratifié, et que l’Europe ne peut pas s’arrêter à cause d’eux. »
Pourtant, pas plus que le Président de la République, vous ne pouvez nier l’expression du peuple irlandais, même si vous avez osé le faire pour le peuple français en méprisant le non qu’il a exprimé au référendum de 2005. Le vote des Irlandais remet en cause le processus de ratification du traité de Lisbonne. Dès lors, inscrire celui-ci dans notre Constitution relève presque de la provocation, l’article 35 du projet de loi se trouvant dépourvu de tout fondement.
Par ailleurs, vous ne pouvez pas subordonner l’entrée en vigueur d’une révision constitutionnelle à l’entrée en vigueur d’un traité, qui est, de fait, liée à la décision d’autorités étrangères. Cela reviendrait à associer ces dernières à l’exercice du pouvoir constituant dérivé, ce qui est incompatible avec la fonction exclusive de révision constitutionnelle mise en place par l’article 89 de la Constitution.
En réalité, en conditionnant la révision constitutionnelle à la ratification du traité de Lisbonne, vous procédez à une délégation inconstitutionnelle du pouvoir constituant.
Ces deux motifs sont, à eux seuls, de nature à justifier l’adoption de cette motion d’irrecevabilité. J’ajouterais toutefois quelques mots sur l’exercice des droits des parlementaires.
On insiste sur le fait que cette révision constitutionnelle renforce les droits du Parlement et que, par conséquent, les parlementaires seraient ingrats de ne pas l’approuver. Or l’article 18 du projet de loi crée une grave remise en cause du droit d’amendement, puisque celui-ci ne pourra désormais s’appliquer qu’en séance ou en commission, …
… selon les conditions et limites fixées par les règlements des assemblées, dans le cadre déterminé par une loi organique.
Pour les parlementaires, le droit d’amendement est fondamental ! Alors que le Sénat avait quelque peu tenté de minimiser l’atteinte portée à ce droit en ne faisant plus référence aux limites fixées dans les règlements et en laissant libres les assemblées d’en fixer les conditions d’exercice, sans faire référence à une loi organique, l’Assemblée nationale a cru bon de revenir sur cette « liberté ». En effet, elle a réintégré la notion de « limites », ainsi que le renvoi à une loi organique destinée à fixer le cadre commun aux deux assemblées du droit d’amendement.
L’Assemblée nationale a également rétabli la disposition prévue à l’article 19 : « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis. »
Vous vous inspirez évidemment de la jurisprudence constitutionnelle. Pourtant, je vous rappelle la précision apportée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 mars 2006 : « Considérant […] que le droit d'amendement, qui appartient aux membres du Parlement et au Gouvernement, doit pouvoir s'exercer pleinement au cours de la première lecture des projets et des propositions de loi par chacune des deux assemblées ; qu'il ne saurait être limité, à ce stade de la procédure et dans le respect des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire, que par les règles de recevabilité ainsi que par la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie ; ».
La rédaction retenue par les députés au cours de la deuxième lecture apparaît moins favorable que la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Cette nuance n’a d’ailleurs pas échappé à M. le rapporteur, qui en fait état dans son rapport. Mais cela ne l’empêche pas de proposer un vote conforme de notre assemblée.
En tout état de cause, il s’agit de la constitutionnalisation d’une limite aux droits des parlementaires, laquelle n’est pas recevable.
Il en va de même de la constitutionnalisation par l’article 11 de ce qui relève des politiques publiques soumises au Parlement, à savoir l’équilibre des comptes. Cette disposition ne fait qu’accentuer le « corsetage » des décisions du Parlement.
L’équilibre budgétaire relève des choix de politique économique et sociale que le Gouvernement soumet périodiquement au Parlement. Il ne peut être gravé dans le marbre, comme on voulait le faire dans le traité constitutionnel européen, que notre peuple a refusé.
C’est pourquoi, s’agissant de cette révision constitutionnelle, il nous paraît impossible de parler, à l’instar de M. Hyest dans son rapport, de « formules équilibrées pour conforter les droits du Parlement ».
Ce texte opère une confusion des pouvoirs sans précédent et remet en cause le pouvoir constituant dérivé sur la question du traité de Lisbonne. Dans ces conditions, il ne renforce pas les droits du Parlement. C’est un véritable miroir aux alouettes sur lequel vous avez fondé toute votre propagande depuis des mois.
Mais nous ne sommes pas dupes ! Il serait regrettable que le Parlement se mette à violer la séparation des pouvoirs. C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à adopter la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
La commission n’a pas pu examiner cette motion, non plus que les amendements extérieurs, mais comme elle préconise le vote conforme de ce projet de loi constitutionnelle, elle ne peut être favorable à l’exception d’irrecevabilité.
Sans aucune ironie à l’égard de Mme Borvo Cohen-Seat, je répéterai qu’il est paradoxal de soulever l’exception d’irrecevabilité à propos d’une révision de la Constitution.
J’ai souvenir d’avoir entendu, alors que j’étais député, un discours de près de quatre heures et demie prononcé par un éminent parlementaire qui s’opposait au traité de Maastricht. Il ne s’agissait nullement d’une exception d’irrecevabilité, madame Borvo Cohen-Seat !
Pas du tout ! C’était un discours d’opposition au traité de Maastricht !
À l’Assemblée nationale, on peut parler trente minutes pour présenter l’exception d’irrecevabilité !
Tout à fait, monsieur Dreyfus-Schmidt : le règlement de l’Assemblée nationale et celui du Sénat sont différents ! Le nôtre comporte d’autres souplesses qui ne figurent pas dans celui de l’Assemblée nationale.
En tout état de cause, madame Borvo Cohen-Seat, vous avez une étrange conception de la séparation des pouvoirs. À vous entendre, en raison de la présence des ministres au banc du Gouvernement dans les assemblées, il n’y aurait pas de séparation des pouvoirs entre le Parlement et le Gouvernement. Ce n’est pas parce que le Président de la République viendra prononcer, une ou deux fois par an, un discours devant le Congrès, que le principe de séparation des pouvoirs se trouvera remis en cause !
Dans tous les régimes parlementaires, il y a la séparation des pouvoirs entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, et cela n’empêche pas le Gouvernement de venir s’exprimer devant le Parlement en permanence. Dans ces régimes, le Premier ministre a des pouvoirs très importants et il est généralement le chef de la majorité.
Pour toutes ces raisons, je demande au Sénat de rejeter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Pour les mêmes raisons que la commission, le Gouvernement est défavorable à cette motion.
Les arguments avancés sont un peu troublants.
M. le Premier ministre nous a exposé sa position ; je regrette qu’il soit parti avant d’entendre ce que nous avions à lui dire. C’est pour nous une raison de plus de voter la motion qui nous est soumise.
Elle a répondu alors qu’elle n’a pas entendu les orateurs. M. le Premier ministre, pour sa part, est parti avant qu’ils ne se soient exprimés ! Est-ce cela, votre nouvelle conception de la démocratie ?
C’est dramatique ! Si vous n’avez que cela à dire !
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 146, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin a lieu.
Il est procédé au comptage des votes.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 136 :
Le Sénat n'a pas adopté.
Je suis saisi, par M. Sueur et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 92, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, de modernisation des institutions de la Ve République (n° 459, 2007-2008). »
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la motion.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a parfois des situations qui confinent à l’absurde, dans lesquelles on produit des actes de langage en contradiction flagrante avec ce que l’on est censé vouloir exprimer : nous en sommes là, comme l’ont montré brillamment nos collègues.
On dit de toutes parts qu’il faut renforcer le rôle du Parlement, et voilà que nous suivons un rituel très formel, puisque nous allons tout à l’heure nous rendre en commission, …
… pour y examiner une liasse d’amendements qui seront imperturbablement refusés, quels qu’ils soient, quel que soit leur objet.
Nous allons ensuite consacrer quelques heures à défendre nos amendements en séance publique, alors que nous savons tous qu’aucun d’entre eux n’a la moindre chance d’être adopté, puisque tout a été décidé à l’avance.
Tandis que l’on nous affirme que ce projet de loi constitutionnelle a pour fonction de revaloriser le rôle du Parlement, nous assistons à un spectacle dont tout le monde connaît l’issue et qui est la négation même de cette vitalité parlementaire que nous pourrions, les uns et les autres, souhaiter.
Mes chers collègues, il faut parler vrai, comme pour notre part nous ne cessons de le faire.
En ce qui concerne la question du Sénat, si importante pour nous tous, vous n’avez fourni aucun argument solide. Vous nous avez dit qu’elle ne relevait pas de la Constitution, mais nous savons bien – M. Frimat l’a souligné tout à l’heure – qu’il était prévu de l’évoquer dans la loi fondamentale et que vous avez bien veillé à tout verrouiller, de telle manière que l’une des chambres du Parlement ait une majorité inamovible.
Et vous vous flattez d’être en train de revaloriser le rôle du Parlement ! Parlons vrai, renonçons à la fausse rhétorique, à la casuistique inopérante : nous savons bien, mes chers collègues, que vous vous accrochez pour que rien ne change sur ce point si important.
Si vous aviez bien voulu accepter la possibilité d’une alternance dans les deux chambres du Parlement, cela aurait valu tous les discours. Mais il n’en a pas été ainsi, parce que vous êtes finalement conservateurs…
Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.
Bien sûr, je n’ai jamais remis cela en cause, mais, en l’espèce, mes chers collègues, vous êtes conservateurs tout court ! Vous voulez conserver le statu quo.
Mais si, monsieur le secrétaire d’État, vous le savez bien ! Vous voulez conserver l’état actuel des choses.
S’agissant de cette autre mesure à laquelle nous sommes très attachés, à savoir la possibilité, pour les étrangers qui vivent en France depuis un certain temps, de s’exprimer lors des scrutins locaux, vous savez bien, madame le garde des sceaux, qu’un certain nombre de membres du Gouvernement s’y sont déclarés favorables. M. le Président de la République lui-même s’est exprimé en ce sens avec force. Or vous avez rejeté l’inscription dans le texte d’une telle disposition…
À la lumière des évolutions constatées chez nos voisins, on s’aperçoit que la France sera bientôt, en la matière, la lanterne rouge de l’Europe, …
Par ailleurs, mes chers collègues, ce projet de loi constitutionnelle comporte un grand nombre de faux-semblants ; cela n’a échappé à personne.
Ainsi, on nous dit que les droits du Parlement vont être magnifiés, mais, pour la première fois, on s’apprête à écrire dans la Constitution de la République que le droit d’amendement est subordonné aux règlements des assemblées, c’est-à-dire à la volonté de la majorité de chaque chambre. Or le droit d’amendement est imprescriptible, et nous pensons qu’il est grave de subordonner ce droit à quoi que ce soit, à quelque configuration majoritaire que ce soit.
Pour ce qui concerne les nominations, on met en exergue le fait que l’avis des commissions compétentes du Parlement sera recueilli, mais il y a une grande différence entre un veto négatif et un avis positif. Cette mesure perd de sa substance dès lors que vous préférez le veto négatif à l’avis positif. Cela se répercute, par exemple, sur le Conseil supérieur de la magistrature, puisque la manière dont ses membres seront nommés n’est pas sans lien avec l’indépendance de cette institution. De même, la parité, que vous persistez à refuser, et le mode de nomination des magistrats du parquet ont à voir avec l’indépendance de la justice. Sur tous ces points, le projet de loi constitutionnelle ne comporte pas les avancées que nous aurions souhaité y voir figurer.
S’agissant de l’institution du Défenseur des droits, qui nous est présentée comme un progrès considérable, je me permettrai, madame le garde des sceaux, de vous reposer une question à laquelle nous n’avons toujours pas obtenu de réponse : vous ne nous avez toujours pas indiqué quelles seraient les attributions de ce Défenseur des droits.
Certes, monsieur Gélard, mais Mme le garde des sceaux a probablement quelques idées sur la question. Nous avons cru comprendre qu’il se substituerait au médiateur de la République…
Pouvez-vous nous dire s’il englobera la HALDE, si la Commission nationale de déontologie de la sécurité, à laquelle nous attachons beaucoup d’importance, sera absorbée ou continuera à exister sous sa forme actuelle ? Nous ne savons pas si les attributions du contrôleur général des lieux de détention lui seront confiées à terme.
Oui, mais, à terme, qu’en sera-t-il ? Et quid du Défenseur des enfants, de la CNIL, etc. ? Nous ne percevons toujours pas la définition ni le contour exacts des prérogatives de la nouvelle institution.
Pour ce qui est de la répartition de l’ordre du jour, quelle plaisanterie ! Un grand nombre de parlements, dans les pays démocratiques, laissent tout de même plus d’espace à l’initiative parlementaire et à l’opposition.
Certes, mais quelle pauvreté, quelle misère ! Un jour par mois pour les groupes de l’opposition et les groupes minoritaires qui soutiennent le Gouvernement, du moins de temps à autre, monsieur Mercier !
Dans cet hémicycle, nous avons l’habitude du dialogue. J’ai bien entendu M. Mercier et le Gouvernement.
Un jour par mois sera donc réservé premièrement à l’opposition, deuxièmement aux groupes minoritaires susceptibles de soutenir le Gouvernement. L’opposition disposera, en définitive, peut-être d’une demi-journée par mois : on nous dit que c’est extraordinaire, et on nous demande pourquoi nous ne nous apprêtons pas à voter en masse cette disposition !
Nous savons très bien quelle réalité, piètre et finalement indéfendable, se cache derrière ces discours ! Comment pouvez-vous défendre l’idée selon laquelle, dans une démocratie, l’initiative parlementaire des différents groupes de l’opposition serait limitée, après réforme des institutions, à une demi-journée ou à deux tiers de journée par mois ?
M. Jean-Pierre Sueur. On nous explique, en outre, qu’il est admirable que les commissions d’enquête parlementaires soient désormais inscrites dans la Constitution.
Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.
Or nous avions demandé plus prosaïquement, pour notre part, que chaque groupe parlementaire puisse avoir l’initiative d’une ou deux commissions d’enquête par an. Bien qu’il soit prévu de consacrer les commissions d’enquête dans la Constitution, aucun droit n’est accordé aux groupes parlementaires, en particulier à ceux de l’opposition.
Notre groupe avait, par exemple, déposé une proposition de résolution tendant à la mise en place d’une commission d’enquête sur les rapports entre le pouvoir exécutif, y compris au plus haut niveau, et les organes de presse ou les entreprises propriétaires d’organes de presse ou de chaînes de télévision qui vivent assez largement de commandes publiques. Il y a là un vrai sujet ! Si vous aviez suivi notre préconisation, nous aurions été assurés d’obtenir la création d’une commission d’enquête sur ce thème, dont nul ne peut méconnaître l’actualité. Mais l’avenir de notre proposition de résolution continuera de dépendre du bon vouloir de la majorité de cette assemblée…
Est-ce normal ? Où est le progrès en termes de droit de contrôle ?
Enfin, s’agissant des résolutions, le texte adopté par l’Assemblée nationale précise que « sont irrecevables et ne peuvent être inscrites à l’ordre du jour les propositions de résolution dont le Gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité […] ».
Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Mesurez-vous bien, mes chers collègues, la portée de cette rédaction ?
Le Gouvernement et sa majorité, dans leur grande générosité, permettent que les assemblées parlementaires votent des propositions de résolution, mais à condition que, au préalable, le Gouvernement ait estimé que cela ne met pas en cause sa responsabilité.
Dans ces conditions, de quoi va-t-on parler ? Un parlement indépendant a le droit, du moins je le suppose, de voter des résolutions sur des sujets qui mettent en cause telle ou telle décision ou appréciation du Gouvernement ! Or, dès lors que le Gouvernement estimera que cela met en cause sa responsabilité, la proposition de résolution ne sera pas inscrite à l’ordre du jour.
Autrement dit, mes chers collègues, cet ensemble de mesures présente beaucoup de faux-semblants et de manques. Ce n’est pas la réforme constitutionnelle que nous pourrions souhaiter, donnant enfin tous ses droits au Parlement. Nous en sommes vraiment très loin !
Le poète Mallarmé écrivait qu’il fallait « donner un sens plus pur aux mots de la tribu ». Pour ce qui est des mots de la cité, nous aurions aimé davantage d’adéquation entre les discours et les actes.
Dans ces conditions, il serait sage, mes chers collègues, de prendre le temps de la réflexion avant de voter un texte aussi ambigu, peu progressiste et conservateur.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du groupe CRC.
La commission émet le même avis défavorable que sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
M. Sueur est certes déçu, mais il ne pouvait s’attendre à autre chose ! Le texte nous semble équilibré et comporte, à notre sens, de véritables avancées en ce qui concerne tant les droits du citoyen que le renforcement des pouvoirs du Parlement. Nous pensons donc qu’il n’y a pas lieu d’adopter cette motion.
Sourires sur les travées du groupe CRC.
Le groupe CRC votera cette motion, bien que nous n’en ayons pas discuté préalablement entre nous.
Mme la garde des sceaux a dit tout à l’heure que la révision de la Constitution et ses conséquences n’appartenaient pas à un camp. Si elle entend par là que les parlementaires, quelle que soit leur orientation politique, respecteront la Constitution, telle qu’elle résultera de cette révision, c’est une évidence !
Cela étant, lors de ses consultations des partis politiques et des groupes parlementaires – j’ai, pour ma part, été reçue deux fois –, M. le Premier ministre n’a cessé d’affirmer que la réforme constitutionnelle n’aurait lieu que s’il y avait consensus. Or cette notion renvoie, à mon sens, à un partage de vues entre la majorité et l’opposition, tout du moins entre des fractions significatives de celles-ci. Ainsi, je n’ai jamais contesté le fait que la Constitution de 1958 ait été adoptée par des groupes d’opinions diverses, même si le groupe communiste de l’époque ne l’avait pas votée.
Or je constate que, en l’occurrence, il n’y a pas de consensus !
En effet, tout en niant le fait que les pouvoirs du Président de la République se trouvaient modifiés, on n’a cessé de répéter, au sein tant du Gouvernement que de la majorité, que les pouvoirs du Parlement étaient renforcés. Or il n’en est rien, et la méthode Coué ne suffit pas !
Je partage tout à fait le point de vue de mon collègue Jean-Pierre Sueur, notamment sur les commissions d’enquête ou le prétendu partage de l’ordre du jour.
Le Sénat a tenté d’éclaircir la question des temps de parole, tandis que l’Assemblée nationale brouille les pistes en mettant en avant que le Gouvernement n’aura la maîtrise de l’ordre du jour que quinze jours par mois, ce qui semble indiquer que le Parlement disposera des quinze jours restants. Il n’en en est rien ! Le Parlement n’aura en fait l’initiative que durant une semaine, l’opposition et les groupes minoritaires ne disposant, pour leur part, que d’un seul jour ! Il est d’ailleurs curieux de parler de groupes minoritaires, puisqu’il n’existe pas, en l’occurrence, de groupe majoritaire dans cette assemblée.
L’opposition disposera donc d’une demi-journée par mois ! Il n’y a pratiquement pas de changement par rapport à la situation actuelle ! Invoquer un partage de l’ordre du jour est donc une pure affabulation.
Pour toutes ces raisons, nous voterons cette motion.
Nous voterons également cette motion tendant à opposer la question préalable, …
… car la réflexion n’est manifestement pas parvenue à son terme, bien que M. le président de la commission des lois tente de nous convaincre du contraire.
Quel est le problème ?
On nous dit qu’il s’agit de rééquilibrer les institutions en faveur du Parlement. Pour atteindre cet objectif, deux voies étaient possibles.
La première consistait à mener une réflexion en vue de modifier la loi électorale.
En effet, si le « parlementarisme rationalisé » a eu les résultats que nous connaissons aujourd’hui, c’est parce qu’a été associée à une loi électorale destinée à fabriquer des majorités « en béton » une Constitution conférant quasiment tous les pouvoirs à l’exécutif, prévue pour conforter des majorités incertaines.
On aurait pu tenter timidement, même sans aller bien loin, de modifier cette situation en commençant par introduire, comme le préconisait le comité Balladur, un peu de proportionnelle.
La seconde voie était d’aller vers un vrai régime présidentiel – le Président de la République étant élu au suffrage universel, il n’y avait pas de difficulté –, comme celui des États-Unis, par exemple, où le Congrès dispose d’un véritable pouvoir législatif et où la séparation des pouvoirs est réelle.
Or, comme l’a expliqué de manière très éclairante Mme le professeur Zoller devant la commission des lois, la possibilité donnée au Président de la République de venir s’exprimer devant le Congrès le consacre comme le chef de la majorité. Nous allons donc non pas vers un régime présidentiel, mais vers un régime « consulaire », pour reprendre le mot employé par Mme Zoller.
Avec ce texte, comme le dit aujourd’hui Dominique Rousseau dans Libération, il s’agit moins de renforcer les pouvoirs du Parlement que d’affaiblir le Premier ministre – qui semble d’ailleurs y trouver plaisir ! – et de renforcer la majorité présidentielle, dont symboliquement le Président de la République se proclamera le chef en venant s’exprimer devant le Parlement.
Ce régime à tendance consulaire que l’on nous propose d’instituer renforcera donc non pas les pouvoirs du Parlement, mais ceux de la majorité présidentielle et du Président de la République.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
M. Michel Mercier. L’une des questions soulevées par M. Sueur me semble importante, même si elle n’est pas préalable
Sourires
Considère-t-on que le travail est terminé ou bien que tout reste à faire ?
Madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, il est écrit, dans l’exposé des motifs visant à justifier ce projet de loi constitutionnelle, que le Gouvernement voulait un Parlement renforcé et davantage représentatif.
Il s’agit là d’une question essentielle : on ne peut pas vouloir accroître les pouvoirs du Parlement sans rendre celui-ci davantage représentatif. J’ai déjà dit, et je n’y reviendrai pas, que dans cette perspective l’introduction d’une dose de proportionnelle pour l’élection des députés était à nos yeux nécessaire.
Nous estimons en outre que le corps électoral du Sénat doit être réformé.
Murmures sur les travées du groupe socialiste.
Vous n’avez pas la parole, monsieur Dreyfus-Schmidt ! Veuillez poursuivre, monsieur Mercier, ne vous laissez pas interrompre !
M. Michel Mercier. Je ne me laisse impressionner par personne, monsieur le président ! M. Dreyfus-Schmidt souhaite prendre la parole parce que son groupe ne la lui donne pas assez !
Rires sur les travées de l ’ UC-UDF et de l ’ UMP.
Nous considérons que prétendre que tout est réglé est contraire à la vérité. Il faut aborder le sujet de la modification du corps électoral du Sénat.
Le Sénat renouvelé, en octobre prochain, aura forcément à se poser cette question. Il n’était en effet pas possible d’adopter une loi visant à réformer le corps électoral sénatorial avant le prochain renouvellement.
En tout état de cause, je tiens à réaffirmer ici que nous, membres du groupe de l’UC-UDF, qui sommes minoritaires aujourd’hui et qui, malheureusement, le serons encore demain – nos collègues du groupe socialiste ont, eux, obtenu de meilleurs résultats lors des récents scrutins locaux –, n’avons pas peur du peuple : comment pourrions-nous vouloir être les représentants des collectivités territoriales et refuser de prendre en compte les conséquences des élections locales ?
Certes, les résultats de ces dernières sont amplifiés par la loi électorale. Nous sommes prêts à en discuter, mais il faudra modifier le corps électoral sénatorial pour que nous soyons plus forts, plus représentatifs et mieux à même d’exercer la totalité de nos prérogatives.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 92, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin a lieu.
Il est procédé au comptage des votes.
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 137 :
Le Sénat n'a pas adopté.
J’ai reçu de M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, en application de l’article 48 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, le rapport préparatoire au débat d'orientation des finances publiques sur l'évolution de l'économie nationale et sur les orientations des finances publiques.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des finances.
Mes chers collègues, je vais suspendre la séance, afin de permettre à la commission des lois de se réunir pour examiner les amendements déposés sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République.
La séance sera reprise à vingt et une heures trente pour l’examen des articles de ce projet de loi.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures cinq, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Roland du Luart.