Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis quelques jours, la fébrilité a saisi les principaux leaders de la majorité, lesquels reprennent tous en chœur le couplet du président de l’Assemblée nationale dans la presse de ce matin, affirmant que si le rejet du projet de loi constitutionnelle par le Congrès « ne serait pas bon pour l’exécutif », il serait « encore plus calamiteux pour l’opposition, qui irait totalement en sens contraire de ce que veut l’opinion ».
Au-delà des manœuvres politiciennes en cours pour essayer de débaucher tel ou tel parlementaire de l’opposition afin de sauver la révision constitutionnelle, ce qui serait réellement calamiteux pour nos institutions serait de laisser croire que, s’il entrait en vigueur, ce projet de loi marquerait un réel progrès démocratique.
Loin des débats juridiques qui nous agitent, les Français attendent d’abord de la réforme des institutions qu’elle interdise au chef de l’État d’abuser sans cesse du pouvoir, comme il l’a fait depuis son élection au profit de son clan. Or rien dans le texte actuel du projet de loi constitutionnelle ne permettrait d’encadrer la pratique du pouvoir présidentiel quand elle dérive vers la monocratie, comme c’est le cas aujourd’hui. Au contraire !
Nous n’avons pas ici de débat désincarné. Nous sommes en droit – c’est même un devoir –, pour clarifier l’enjeu, de nous poser des questions tout à fait pratiques et concrètes.
Le projet de loi voté, les pouvoirs seront-ils rééquilibrés ?
Empêchera-t-il alors le Président de la République, garant, en vertu de l’article 5 de la Constitution, du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, un jour de décrédibiliser l’armée, un autre de dévaluer le droit de grève, un troisième d’annoncer le contrôle direct du pouvoir exécutif sur la télévision publique ? Non !
Incitera-t-il le chef de l’État à ne plus nier le rôle du Premier ministre dans la conduite du gouvernement de la nation et à ne plus réunir régulièrement un Gouvernement bis à l’Élysée ? Non !
On nous promet que le projet de révision donnera au Parlement une place qu’il n’a jamais eue sous la Ve République. Après l’adoption du texte en l’état, la Constitution interdira-t-elle au pouvoir exécutif d’abuser de la procédure d’urgence, rebaptisée « procédure accélérée », comme il l’a fait depuis juin 2007 ? Non !
On nous dit que la parole des citoyens sera plus directement prise en compte. La démocratie participative sera-t-elle installée ? Non !
Les millions d’étrangers extracommunautaires qui vivent régulièrement en France et payent des impôts pourront-ils enfin voter aux élections locales ? Non !
On nous jure, comme l’a fait Mme le garde des sceaux la semaine dernière à l’Assemblée nationale, que l’article 34 de la Constitution tel que complété par l’amendement que j’avais défendu au nom des socialistes – contre son avis, d’ailleurs – garantira pleinement « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ». Cette disposition suffira-t-elle, à elle seule, à dissuader un ministre d’État, ministre de l’intérieur, candidat à l’élection présidentielle, d’obtenir la révocation du directeur de la rédaction d’un des principaux newsmagazine du pays ou de donner son avis sur le recrutement d’un journaliste politique chargé de suivre son propre parti ? Non !
Permettra-t-elle d’interdire à des conglomérats industriels de détenir des intérêts dans les médias tout en étant par ailleurs clients ou fournisseurs de l’État, comme c’est le cas des groupes Dassault et Lagardère, marchands d’armes et propriétaires de titres de presse, ou de Bouygues, géant du BTP et principal actionnaire de la chaîne de télévision dominant le marché publicitaire français ? Non !
Interdira-t-elle à un grand groupe économique comme LVMH de contrôler directement le principal journal d’information économique ? Non !
Incitera-t-elle le chef de l’État à ne plus accepter de partir en vacances aux frais d’un riche homme d’affaires, en l’occurrence Vincent Bolloré, qui vient de prendre le contrôle de la totalité du capital de la société d’études d’opinion CSA, tout en étant propriétaire de la chaîne de télévision Direct 8 et de plusieurs « gratuits », et l’actionnaire principal de la Société française de production, la SFP, prestataire de France Télévisions ? Non !