Pourtant, en première lecture, plusieurs députés UMP et centristes avaient dénoncé en la matière une remise en cause de l’équilibre de la Ve République et un basculement vers un régime présidentiel. Certes, d’aucuns dépensent beaucoup d’énergie pour expliquer qu’il n’en est rien, notamment Mme le garde des sceaux et M. Accoyer.
Quelques constitutionnalistes – des « repentis », peut-être –, n’évoquent plus, eux non plus, cette venue du Président de la République devant le Parlement. Je les croyais pourtant indéfectiblement attachés à la séparation des pouvoirs et au régime parlementaire, qui est, semble-t-il, le plus démocratique et d’ailleurs – puisque vous vous référez toujours au modèle européen – le plus répandu en Europe.
Mais, madame le garde des sceaux, ce n’est pas avec le texte lui-même que vous pourrez nous convaincre ! En effet, ce discours de tribun ou de monarque, qui assène la parole présidentielle aux parlementaires sans que ceux-ci puissent s’adresser ensuite directement à lui, ni même exprimer leur opinion par un vote, renforce plus que jamais le Président de la République.
L’article du projet de loi traduit donc l’affaiblissement du Premier ministre en même temps que celui du Parlement. Le Président devient inexorablement le chef de l’exécutif, sans toutefois en endosser la responsabilité politique.
Il est le chef de la majorité et du parti majoritaire, sans que soient remis en cause son droit de dissolution ou encore les pleins pouvoirs que lui octroie l’article 16 de la Constitution ; les aménagements à la marge dudit article ne confèrent pas plus de légitimité à ces pleins pouvoirs.
Donc, nous accepterions, de fait, une confusion des pouvoirs comme il n’en existe dans aucune démocratie : un Président de la République avec des pouvoirs propres très importants, chef de l’exécutif, chef de la majorité et chef de parti.
C’est la disparition de la fonction d’arbitrage que conférait, en tout cas juridiquement, la Constitution de 1958 au Président de la République. Certes, le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral portaient en germe cette évolution. C’est bien pourquoi nous n’avions pas voté ces mesures. Mais, même pour leurs partisans, celles-ci nécessitaient une réorganisation réelle des pouvoirs, qui passait notamment par la suppression du droit de dissolution et l’attribution de véritables pouvoirs autonomes au Parlement. Or tel n’est pas le cas ! Le Parlement a un pouvoir réel quand il vote et pas simplement quand on lui permet de s’exprimer !
Je signale que le problème de la disparition du rôle d’arbitre du Président de la République a été soulevé plusieurs fois lors des auditions organisées par la commission des lois du Sénat, notamment par Mme Zoller et M. Colliard, ancien membre du Conseil constitutionnel. Mais, apparemment, cela ne vous émeut guère !
Le deuxième motif d’inconstitutionnalité concerne l’article 35 du projet de loi, qui prévoit la modification du titre XV de la Constitution à compter de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Malgré le non à ce traité exprimé par le peuple irlandais la veille de l’examen en première lecture par notre assemblée du projet de loi constitutionnelle, le Gouvernement et la majorité se sont résolument accrochés à cet article 35. Il faut reconnaître que le discours du Président de la République devant le Parlement européen, dans lequel il a promis de tout faire pour forcer celui-ci à se dédire, a évidemment de quoi vous encourager à camper sur vos positions. En témoignent les mises en garde agressives adressées aux électeurs irlandais pour qu’ils reviennent sur leur vote : « Il ne s’agit pas de forcer la main aux Irlandais […] Mais il faut avoir le courage de leur dire qu’il faut respecter ceux qui ont ratifié, et que l’Europe ne peut pas s’arrêter à cause d’eux. »
Pourtant, pas plus que le Président de la République, vous ne pouvez nier l’expression du peuple irlandais, même si vous avez osé le faire pour le peuple français en méprisant le non qu’il a exprimé au référendum de 2005. Le vote des Irlandais remet en cause le processus de ratification du traité de Lisbonne. Dès lors, inscrire celui-ci dans notre Constitution relève presque de la provocation, l’article 35 du projet de loi se trouvant dépourvu de tout fondement.
Par ailleurs, vous ne pouvez pas subordonner l’entrée en vigueur d’une révision constitutionnelle à l’entrée en vigueur d’un traité, qui est, de fait, liée à la décision d’autorités étrangères. Cela reviendrait à associer ces dernières à l’exercice du pouvoir constituant dérivé, ce qui est incompatible avec la fonction exclusive de révision constitutionnelle mise en place par l’article 89 de la Constitution.
En réalité, en conditionnant la révision constitutionnelle à la ratification du traité de Lisbonne, vous procédez à une délégation inconstitutionnelle du pouvoir constituant.
Ces deux motifs sont, à eux seuls, de nature à justifier l’adoption de cette motion d’irrecevabilité. J’ajouterais toutefois quelques mots sur l’exercice des droits des parlementaires.
On insiste sur le fait que cette révision constitutionnelle renforce les droits du Parlement et que, par conséquent, les parlementaires seraient ingrats de ne pas l’approuver. Or l’article 18 du projet de loi crée une grave remise en cause du droit d’amendement, puisque celui-ci ne pourra désormais s’appliquer qu’en séance ou en commission, …