D’abord, sommes-nous d’accord sur le rôle de la Constitution ? Pour moi, la Constitution détermine la forme de gouvernement d’un pays. Cependant, cela ne doit pas seulement se limiter à l’organisation de la Nation comprise comme l’ensemble des personnes vivantes, il faut voir au-delà et comprendre aussi les relations entre les vivants et les générations qui suivront, y compris dans le domaine financier.
Or j’ai eu le sentiment, en écoutant les avis qui ont été données sur mes différents amendements, qu’il était quasi indécent d’oser proposer de parler de finances dans la Constitution, ce monument si précieux, si sacré qu’il est tenu fermé à nos humbles calculs d’épiciers et ne saurait s’ouvrir que pour l’art des juristes ! J’ai d’ailleurs beaucoup de respect pour eux, mais, pour que les juristes vivent, il faut tout de même que la Nation puisse produire des fruits, et que les fruits du travail de la Nation puissent être prélevés et qu’ensuite ils puissent être dépensés !
Voilà pourquoi, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, parler de finances publiques dans la Constitution n’est pas incongru du tout !
Le préambule de la Constitution de 1958 lui-même ne le rappelle-t-il pas, en se référant à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ?Vous connaissez tous son article XIV, et pour cause, dans un pays qui prélève autant…Il convient de le rappeler maintenant : « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. ».
On me répond que mes amendements sont sympathiques, mais qu’ils trouveraient mieux leur place dans un autre texte, notamment organique… Qu’à cela ne tienne, je défendrai des amendements qui renvoient à la loi organique pour l’application des dispositions de principe que je propose.
Madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la démocratie est en péril non pas seulement quand les représentants se comportent mal, mais aussi lorsque les représentants ont les yeux rivés sur l’immédiat et qu’ils sont aveugles au moyen terme et, surtout, au long terme.
Je veux parler ce soir au nom de ceux qui viennent de naître et qui n’ont pas à ce jour le droit de vote. Je veux parler, en cet instant, au nom de ceux qui vont naître, dont les intérêts doivent être préservés et dont les conditions de vie dépendent directement des décisions que nous prenons en leur nom, parfois en les oubliant !
Il faut que leur parole soit entendue ! Finalement, là encore, la solidarité entre les générations vous est rappelée en permanence. Ne lit-on pas, dans le préambule de la Constitution de 1946, lui aussi repris par le préambule de la Constitution de 1958, que la Nation « assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » ? Et cela va bien au-delà des seuls votants !
Si je continue de lire ce préambule, je vois, dans le même ordre d’idée, que la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant […], la sécurité matérielle », qu’elle proclame « la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales. ». Vous voyez bien que figurent déjà dans notre texte constitutionnel ces conditions matérielles sur lesquelles vous semblez hésiter.