Cet amendement vise à inscrire dans la Constitution les principes devant guider le législateur pour assurer le maintien du pluralisme dans les médias.
En première lecture, le Gouvernement s’est opposé à l’adoption d’un amendement similaire en se référant à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui, selon lui, garantirait suffisamment l’indépendance des médias et le maintien du pluralisme.
Certes, le Conseil constitutionnel s’est prononcé plusieurs fois sur cette question. Le 11 octobre 1984, il a consacré « le pluralisme des quotidiens d’information politique et générale » comme « objectif de valeur constitutionnelle ». Puis, dans sa décision du 18 septembre 1986 sur la loi relative à la liberté de communication, il a étendu cette exigence aux services de télévision et de radio, estimant que le respect du pluralisme de l’expression des différents courants politiques et socioculturels sur les supports de communication audiovisuelle constituait l’« une des conditions de la démocratie ».
À présent, madame le garde des sceaux, vous ajoutez un nouvel argument – vous l’aviez déjà fait lors de la discussion générale – pour rejeter une telle proposition. L’amendement que je défendais tendant à affirmer le principe général d’indépendance, de pluralisme et de liberté des médias a été adopté par le Sénat en première lecture et cette disposition figure toujours dans le texte que nous examinons en deuxième lecture.
Or ce n’est pas par hasard que vous vous opposez à l’amendement que je propose. Le dispositif qu’il vise à instituer est la concrétisation du principe que je viens de rappeler.
En effet, depuis l’entrée en vigueur de la Constitution du 4 octobre 1958 et les décisions du Conseil constitutionnel que j’ai mentionnées, le secteur des médias a profondément évolué.
Depuis vingt ans, l’évolution des technologies a permis la multiplication des supports et des modes d’accès à l’information. Elle a donc conduit à une diffusion largement accrue, démultipliée et en temps réel, des informations et des contenus les plus divers. Et là, le pluralisme et l’indépendance sont des réponses à des questions très concrètes.
Les nombreuses modifications de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication ont successivement revu à la baisse le régime anti-concentration applicable aux services de télévision et de radio et à leurs actionnaires.
Je rappellerai la dernière en date. Elle a été effectuée au détour d’un amendement déposé par un ancien conseiller du Président de la République, notre collègue député Frédéric Lefebvre, sur le projet de loi de modernisation de l’économie.
Cette disposition va permettre à certains opérateurs de chaînes diffusées en télévision numérique terrestre, ou TNT, tels Bolloré, avec Direct 8, ou le groupe M6, avec W9, de rester sous le seuil d’audience de 2, 5 % et de continuer de détenir à 100 % les parts de leur société, ou encore à Bouygues d’acquérir 100 % du capital de TMC.
La plupart de ces chaînes étaient sur le point d’atteindre le seuil fatidique de 2, 5 % ou l’avaient même dépassé. Sans cet amendement providentiel, leurs dirigeants auraient dû se contenter de 49 % des « parts du gâteau » !
Par ailleurs, la multiplication des acteurs de l’audiovisuel et de la presse dont l’une des sources essentielles de revenus a pour origine la commande publique – je pense, entre autres, à Bouygues, à Lagardère, à Bolloré ou à Dassault – est une modification structurelle qui met en cause l’indépendance et le pluralisme des médias. C’est pourquoi cet amendement vise à lutter contre une telle concentration et à empêcher que l’on puisse à la fois vivre de la commande publique et détenir des médias importants.
Dans la mesure où je me suis déjà exprimé sur le sujet à l’occasion de la discussion générale, je passe rapidement sur les rapports entre le pouvoir politique et les propriétaires des grands groupes de presse français, mais je note tout de même une évolution assez forte.
Les projets nourris par le chef de l’État pour mieux contrôler le service public de l’audiovisuel – je pense tout particulièrement à la nomination annoncée du président de France Télévisions en conseil des ministres – signifient une mise sous contrôle politique de la télévision publique.
Par conséquent, je me réjouis que, malgré votre opposition, madame le garde des sceaux – en première lecture, vous aviez émis un avis négatif sur cet amendement –, « la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias » soient garantis dans la Constitution, et ce sur l’initiative du groupe socialiste du Sénat.
Cependant, dans le contexte actuel, il convient d’aller jusqu’au bout et d’accepter cet amendement socialiste qui permet de donner un contenu concret à ce principe général.