Intervention de Aymeri de Montesquiou

Réunion du 7 juillet 2005 à 9h30
Mesures d'urgence pour l'emploi — Discussion d'un projet de loi d'habilitation déclaré d'urgence

Photo de Aymeri de MontesquiouAymeri de Montesquiou :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le champ de l'habilitation que vous nous soumettez est large. Il revêt une cohérence d'ensemble qui cible certains dysfonctionnements de notre économie et de notre législation. La nécessité de faire durablement baisser le chômage commande des mesures drastiques : elles n'ont que trop longtemps tardé à être prises. Acte vous sera donné d'agir avec la promptitude et l'efficacité qu'appelle la situation.

Néanmoins, vous comprendrez, monsieur le ministre, que les ordonnances que le Gouvernement veut prendre peuvent a priori laisser perplexe. Pourquoi et comment les mesures que vous préparez seraient-elles plus efficaces, sur un temps très réduit, que toutes les politiques menées depuis des décennies ?

Ne voyez pas dans l'habilitation du Parlement un blanc-seing : la stérilité du traitement économique et social du chômage depuis trente ans n'autorise pas de vaines incantations de bonne volonté pour l'avenir ! Arrêtons les constats et agissons ! Le philosophe Alain écrivait : « Réfléchissez à ceci que la pensée ne peut nullement diriger une action qui n'est pas commencée ».

Monsieur le ministre, le Gouvernement a rappelé lundi soir devant le Sénat, lors de la discussion générale sur le projet de loi pour la confiance et la modernisation de l'économie, que la plupart des PME françaises comptent moins de dix salariés. Là se situe l'un des principaux gisements d'emplois. D'ailleurs, chacun le souligne.

L'activité de ces entreprises, susceptibles de créer des emplois, ne parvient cependant pas à se relancer durablement. Le troisième trimestre 2004 apparaît historiquement faible, avec un indicateur de chiffre d'affaires en retrait de neuf points par rapport à la moyenne du premier semestre. En Ile-de-France par exemple, 32 % des PME ont subi, au dernier trimestre 2004, une baisse de leur rentabilité.

Selon une enquête récente, réalisée sur notre pays à l'échelon européen, 30 % de ces entreprises mettent en cause les réglementations et les contraintes administratives pesant sur elles. Pourquoi, depuis plus de trente ans, les politiques menées n'ont-elles pas abouti à réduire durablement le chômage, ce qu'ont réussi la plupart de nos voisins ?

Pourquoi, en l'espace de dix ans seulement, des pays comme le Royaume-Uni, l'Irlande ou le Danemark ont-ils pu faire baisser leur taux de chômage de dix points ? Pourquoi l'Espagne est-elle en mesure de présenter un taux de chômage inférieur à celui de la France, laissant cette dernière au vingt-deuxième rang de l'Union européenne ? Pourquoi les coûts salariaux horaires français, et non les salaires, ont-ils augmenté de 25 % entre 1996 et 2004 ? Pourquoi les indicateurs de compétitivité de l'économie française sont-ils inférieurs à ceux du Royaume-Uni, des Etats-Unis, du Japon, de l'Europe orientale ou des pays émergents d'Asie ?

L'indicateur de confiance des ménages a perdu vingt-neuf points entre mai 2004 et mai 2005. Les perspectives de commandes des PME sont médiocres. Le taux de chômage des jeunes âgés de quinze à vingt-quatre ans - 23, 3 % en avril 2005 - est à un niveau inacceptable lorsque l'on songe, de surcroît, que 49 % des jeunes actifs occupant un emploi étaient, en 2004, en situation précaire.

La lourdeur des prélèvements obligatoires et l'ampleur des déficits publics sont autant de handicaps structurels qui grèvent irrémédiablement notre économie et le niveau de l'emploi. L'honnêteté intellectuelle me conduit à affirmer que l'impôt moderne doit être désolidarisé des coûts de production. La détérioration des termes de l'échange, certes en partie imputable à la hausse du prix des hydrocarbures, montre que nous ne pouvons plus compter sur la seule consommation pour affermir nos performances économiques.

La réduction significative du chômage chez nos partenaires s'est toujours accompagnée d'un effort drastique de réduction de la dépense publique et des déficits. Or, selon la direction du Trésor, notre pays ne prend pas le chemin de cet assainissement des comptes publics. Bien au contraire ! Nous ne pouvons plus reporter sine die ni l'assainissement réel des finances de l'Etat ni même une très significative réduction de ses dépenses de personnel.

La pression fiscale - 43, 8 % de prélèvements obligatoires en 2005 - étouffe les initiatives aussi bien des personnes physiques que des entreprises. Tant que l'Etat n'aura pas restructuré sa dépense, nous ne pourrons que déplorer les phénomènes de nomadisme fiscal, de délocalisations et de non-localisations. Je regrette la trop faible réduction des postes de fonctionnaires programmée pour 2006 : 5 000 au lieu des 10 000 initialement prévus. Le Gouvernement manque là d'un courage dont l'absence lui sera reprochée par tous les réalistes.

La recherche d'un nouveau souffle pour notre économie passe évidemment par le développement des emplois non aidés ou inhérents à la sphère publique.

Il faut une véritable mobilisation du Gouvernement et du législateur pour libérer des énergies créatrices. C'est bien du côté de la qualité de la vie économique de nos entreprises que nous devons porter nos efforts, sans ambages ni demi-mesure.

Entreprise et emploi sont indissociables. Je prends acte de votre volonté, au travers du dispositif des contrats « nouvelles embauches », de « débloquer le plus d'emplois possibles, là où ils sont ».

Je souhaite que la création de dispositifs simplifiés au profit des très petites entreprises pour les déclarations d'embauche et de paiement des cotisations sociales soit un premier pas vers un processus général d'allègement des contraintes administratives et financières affectant les PME.

Les rapports Virville, Marimbert et Camdessus ont clairement montré que notre système privilégie les emplois existants au détriment des embauches nouvelles. Précisément, ce système corsète les entreprises dans un imbroglio réglementaire rigide au lieu de favoriser leur adaptation rapide à un contexte économique en perpétuel mouvement. Pourquoi n'a-t-on pas tenu compte, à ce jour, des préconisations révélées par ces rapports ?

Au surplus, deux exemples peuvent illustrer le paradigme du mal économique français.

Je citerai tout d'abord le cas des artisans qui travaillent seuls et qui souhaiteraient embaucher. La plupart d'entre eux sont trop excédés par les charges sociales et les complexités administratives pour être dans l'état d'esprit de créer un emploi, alors même que leur activité le leur permettrait. De plus, ils ont souvent la conviction, justifiée ou non, que, s'ils embauchaient un salarié, leur revenu baisserait.

Le second exemple, toujours aussi probant, que j'évoquerai concerne les effets de seuil. Nombre de PME préfèrent éviter l'embauche d'un dixième salarié, alors que leur activité le justifierait. Cette embauche est synonyme d'une hausse de charges de 13 %, soit l'équivalent d'un salaire sacrifié. Une entreprise sur deux a ainsi renoncé à embaucher un dixième salarié, alors que le gain net en emplois est estimé, selon des sources concordantes, à 50 000 postes. Cette même dynamique négative se retrouve dans les entreprises approchant le seuil de cinquante salariés.

Incontestablement, les pouvoirs publics ne peuvent plus faire supporter à ces PME l'archaïsme de seuils dont la définition n'apparaît absolument pas justifiée au regard de la structure économique de la France. Le moment est venu de les modifier, et de passer d'un seuil de dix à un seuil de vingt, et de celui de cinquante salariés à celui de deux cent cinquante salariés. Je soutiendrai donc ces mesures indispensables pour placer nos PME dans un contexte microéconomique moins contraignant.

Que l'on comprenne bien que l'amélioration des résultats économiques n'est en rien synonyme, comme d'aucuns voudraient le faire croire, de régression sociale ! Il ne s'agit pas ici de verser dans un schématisme idéologique qui sacrifierait irrémédiablement la performance économique.

Il est autrement plus cohérent et de bon sens de repousser le seuil de déclenchement que de faciliter le passage des seuils critiqués en le subventionnant, ce qui serait un signal négatif et inutile.

Les courbes relatives au nombre de salariés par entreprise nous démontrent que cette réforme se passerait sans rupture sociale. Opposons-nous à toute nouvelle aggravation des dépenses publiques alors que l'aménagement de l'environnement législatif et réglementaire parviendrait aux mêmes fins, sans porter atteinte à l'environnement social des entreprises.

La consolidation de notre économie passe bien évidemment en premier lieu par la création de richesses et aussi par la consommation. Le traitement social du chômage est non pas une fin en soi, mais plutôt la manifestation de l'indispensable solidarité de la nation à l'égard des personnes les plus démunies. Mais gardons à l'esprit le fait qu'il n'est plus possible de faire supporter aux futures générations les conséquences des errements des politiques !

On ne peut encourager la croissance, et donc la sauvegarde de l'économie nationale, en raisonnant dans le seul cadre national : en cela, les partenaires sociaux et la classe politique sont coupables. La loi française persévère dans la méconnaissance de la réalité de la mondialisation et favorise la lente destruction du tissu économique français.

Les contraintes accumulées sont toutes non seulement facteurs de délocalisations, mais - plus grave encore - de non-localisations. Le marché mondial est ainsi fait que ce que nous empêchons d'être produit en France est néanmoins vendu sur le marché français. En accumulant ces contraintes, nous délocalisons notre savoir-faire et nos profits, le tout financé par le consommateur français.

Monsieur le ministre, le groupe du RDSE, dans sa diversité, prend acte de votre volonté d'enrayer de façon pérenne la courbe erratique du chômage. La formulation du projet de loi d'habilitation reste suffisamment large pour que vous possédiez les marges de manoeuvre nécessaires à la mise en oeuvre d'un électrochoc macroéconomique pour notre pays. Nous attendrons de voir les résultats de ces mesures. Aujourd'hui, une majorité d'entre nous placent sa confiance en vous et approuveront l'habilitation.

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