Intervention de Gélita Hoarau

Réunion du 7 juillet 2005 à 9h30
Mesures d'urgence pour l'emploi — Discussion d'un projet de loi d'habilitation déclaré d'urgence

Photo de Gélita HoarauGélita Hoarau :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, comme mes collègues parlementaires de la Réunion, tant sénateurs que députés, et quelle que soit leur étiquette politique, vous le diront, la situation sociale de notre région est extrêmement préoccupante, principalement dans le domaine de l'emploi.

Or cette situation ne date pas d'aujourd'hui. Elle dure depuis des décennies, et cela fait aussi des décennies que nous tirons la sonnette d'alarme.

Tous les gouvernements qui se sont succédé ont élaboré et appliqué des solutions qui se sont avérées inefficaces. La première loi de programme pour les départements d'outre-mer date des années soixante. La dernière est celle du 21 juillet 2003. Un bilan d'étape est prévu cette année. Selon la presse réunionnaise, les résultats de cette dernière loi se révéleraient moins prometteurs que prévu. Depuis près de quarante ans, nous avons mis en oeuvre toutes sortes de solutions : la mobilité, la défiscalisation, les exonérations de charges ainsi que des formes spécifiques de traitement social du chômage.

Je l'ai déjà dit ici et je le répète : tout n'est pas négatif. Compte tenu des résultats économiques de la Réunion, notre taux de croissance et notre taux de création nette d'emplois dans le secteur marchand sont les plus élevés des départements d'outre-mer. A moyen et long termes, les perspectives tracées par la région, à laquelle il incombe d'orienter le développement économique de l'île, sont intéressantes.

Mais tout cela ne suffit pas à faire baisser le chômage, dont le taux reste de loin le plus élevé de tous les départements français de métropole et d'outre-mer.

Nous ne voyons pas dans les mesures que vous proposez aujourd'hui ce qui pourrait chez nous changer fondamentalement la situation.

L'expérience l'a prouvé, l'application mécanique à la Réunion de dispositions prises en fonction du contexte métropolitain débouche sur des difficultés de mise en oeuvre ou des dérives graves.

L'efficacité de certaines de vos propositions, monsieur le ministre, est contestée ici même en métropole. Appliquer mécaniquement chez nous de mauvaises solutions serait sans résultat. L'actualité, avec les contrats d'avenir, nous fournit un exemple de la difficulté à mettre en oeuvre des solutions qui ont été décidées pour la métropole et étendues chez nous. Les communes et les associations, potentiellement les plus grosses utilisatrices de ces contrats, chacune pour des raisons propres, rechignent à y recourir.

Mais à supposer que la Réunion réussisse le pari des contrats d'avenir, nous n'aurions pas pour autant réglé le problème du chômage.

Dans le domaine du traitement social du chômage, nous sommes passés de 55 980 contrats aidés en 2001 à 38 570 en 2004, secteurs marchand et non marchand confondus, soit 17 410 contrats de moins ! Cette année, leur nombre diminuera encore tandis que, le 1er janvier 2006, les contrats emploi-solidarité, ou CES, et les contrats emploi consolidé, ou CEC, n'auront plus cours. En réalité, les 45 000 contrats d'avenir sur trois ans qu'avait promis à la Réunion M. Borloo, lors de son passage sur l'île, ne seront au mieux que du rattrapage. En réalité, nous bénéficierons en 2006 de moins d'emplois aidés qu'en 2001, alors même que notre population aura augmenté de 30 000 à 40 000 personnes ! Cependant, même si les contrats aidés ne sont que du « travail soldé », ainsi qu'on les appelle chez nous, ils permettent pour le moment à des dizaines de milliers de familles de survivre. Il faut les maintenir, en les modifiant, pour les inscrire dans un parcours professionnel et une perspective de développement durable et de développement des besoins sociaux et humains de notre société, à l'abri du clientélisme.

Monsieur le ministre, je renouvelle ici ma proposition : je propose au Gouvernement de faire une pause dans les réformes, de maintenir à la Réunion le statu quo, s'agissant notamment des CES et des CEC. Nous devons prendre le temps nécessaire, d'une part, pour dresser un bilan de tout ce qui a été fait jusqu'à présent et pour mieux analyser la situation de l'emploi et les spécificités réunionnaises de celui-ci, d'autre part, pour élaborer, dans le cadre d'une large concertation, un plan d'urgence pour l'emploi.

Les solutions ne manquent pas à la Réunion. Qu'il s'agisse de la défense et de la diversification de la filière de la canne à sucre, de la création de pôles de recherche, de la définition d'une économie solidaire ou de la réalisation de grands travaux, nous avons de réelles possibilités.

Dans la fonction publique, pour répondre aux besoins en effectifs, l'expression de la solidarité à l'égard d'un département véritablement sinistré par le chômage devrait conduire le Gouvernement à privilégier un recrutement spécifique de nos jeunes diplômés avec une obligation de formation, à l'instar de ce qui a déjà été fait pour les agents de catégorie C mais en l'entendant également aux agents des catégories A et B. Ce mode de recrutement local, en prévoyant une formation adéquate, doit être aussi privilégié dans les secteurs parapublic et privé.

Une vaste concertation permettrait de dégager ces solutions et d'établir une hiérarchie des priorités. Nous vous proposons, monsieur le ministre, de fixer des objectifs précis. Le Gouvernement vient de faire savoir qu'il se donne pour but de ramener en 2010 le taux de chômage métropolitain à 6 %. Quelle est votre ambition pour la Réunion ?

Enfin, monsieur le ministre, dès lors qu'aura été définie une politique pour la Réunion, vous pourrez la contractualiser avec vos partenaires réunionnais pour la mener à bien.

La Réunion doit affronter des défis majeurs : la progression démographique, la mondialisation - et, dans ce cadre, l'éloignement des marchés solvables - et, enfin, les effets du réchauffement climatique.

Le Gouvernement vient de reprendre à l'échelle nationale l'exemple du régiment du service militaire adapté, le RSMA, solution développée dans l'outre-mer. Le « national » a repris à son compte des solutions développées chez nous. Je ne les citerai pas toutes.

En tenant compte des paramètres que j'ai cités plus haut, nous pouvons construire pour l'île un modèle de développement durable qui pourrait inspirer des réflexions dans d'autres pays du Sud. En effet, à notre échelle, notre situation rappelle celles d'autres territoires. Nos problématiques sont souvent les mêmes. La France s'honorerait en contribuant à l'ébauche de solutions qui pourraient être reprises ou imitées.

Le Gouvernement est-il prêt à s'engager dans cette voie ? Telle est la question que je vous pose, monsieur le ministre.

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