Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 7 juillet 2005 à 9h30
Mesures d'urgence pour l'emploi — Discussion d'un projet de loi d'habilitation déclaré d'urgence

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

alors que chacun connaît les difficultés que cela engendre dans les hôpitaux, les tribunaux, les écoles ! Dès lors, quelle crédibilité accorder à votre plan ?

Aux millions de salariés précaires qui existent déjà, vous en ajoutez quatre autres millions qui ne pourront plus ni contracter de prêt ni accéder au logement. Comment, dans ces conditions, imaginer l'avenir ? Comment avoir confiance dans la société de demain ? C'est évidemment impossible !

Ces mesures pour l'emploi seront inefficaces contre le chômage. Elles créeront surtout des effets d'aubaine et de substitution, tout comme les nouvelles exonérations de cotisations sociales patronales que devra supporter le contribuable. En dix ans, ces exonérations ont déjà décuplé. Alors qu'elles atteignent 17 milliards d'euros en 2005, elles ne produisent, on le sait, aucun résultat sur la croissance et sur l'emploi.

Par ailleurs, exploiter la population à n'importe quel prix et dans n'importe quelles conditions a un coût social et entraîne des souffrances que ne reflètent pas les courbes du chômage. L'immense majorité de la population accumule difficultés et désillusions. Plus d'un Français sur deux éprouve quotidiennement un profond sentiment d'insécurité sociale et redoute de sombrer dans l'exclusion.

On subventionne indirectement les employeurs, on réduit la rémunération du travail, on favorise le développement des bas salaires, on précarise davantage encore les personnes en situation précaire.

Reconnaissez que le contrat « nouvelles embauches », dispositif phare du plan gouvernemental, constitue un véritable cadeau pour les patrons ! De plus, c'est un cadeau à moindre coût puisque, à la fin du circuit, c'est le contribuable qui paie. La boucle est ainsi bouclée !

Et que dire du fait que les jeunes de moins de vingt-six ans pourraient ne plus être pris en compte dans le calcul des effectifs de l'entreprise ? Nous assistons là à un véritable torpillage des structures représentatives du personnel dans l'entreprise et de certains droits sociaux qui ne peuvent exister qu'au-delà du seuil de vingt ou de cinquante salariés. Je pense en particulier à la mise en place d'un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSCT, ou d'un comité d'entreprise, à la participation aux résultats, à la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

Comme l'a fait observer le directeur adjoint de l'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE, comme il y a les jeunes et les autres, il y aura demain les entreprises de moins de dix salariés et les autres. Les salariés des petites entreprises n'auront désormais plus les mêmes droits sociaux que les autres ! Est-ce ainsi que vous comptez rendre les petites entreprises attractives aux yeux des salariés, alors que les avantages sociaux qu'elles offrent, comme les tickets-restaurants et les mutuelles, sont déjà moindres par rapport à ceux des grandes entreprises ?

Vous nous dites que les seuils sociaux eux-mêmes constituent un obstacle à l'emploi. Vous proposez donc de ne pas inclure les jeunes de moins de vingt-six ans dans les effectifs de l'entreprise afin qu'ils ne soient pas comptabilisés pour les seuils à partir desquels l'élection de délégués du personnel et la mise en place des instances représentatives sont obligatoires. En fait, on « clandestine » légalement les plus jeunes et on fragilise la démocratie sociale au sein de l'entreprise.

Le lissage des seuils d'effectifs dans l'entreprise permettra à l'employeur de s'affranchir de ses responsabilités en matière de droit social. La notion de très petite entreprise devient, quant à elle, de plus en plus fluctuante. A combien de salariés sera fixé le seuil ? A dix, vingt, cinquante salariés ? Lorsque le seuil de vingt salariés sera acquis, vous expliquerez qu'il constitue un frein à l'embauche, qu'il convient donc de le relever, car passer à plus de vingt salariés coûte cher. Et le contrat à durée indéterminée disparaîtra !

Comment justifier l'exclusion des jeunes salariés aujourd'hui, et probablement des seniors demain, des effectifs de l'entreprise ? A quand le tour des étrangers ? Et à quand celui des femmes ? A ce rythme, seuls les hommes français âgés de vingt-six à cinquante ans seront comptabilisés dans les effectifs !

De quelle démocratie sociale parle-t-on ? Ne risque-t-on pas d'assister à une discrimination à l'embauche fondée sur l'âge, selon que l'on aura vingt-quatre ou vingt-six ans ? C'est une classe d'âge dans son entier qui est ainsi stigmatisée. Ces salariés sont considérés comme des salariés au rabais, mis à l'écart du monde du travail et précarisés !

On donne sans cesse des leçons de citoyenneté aux jeunes. Dans le même temps, on les exclut de l'exercice de cette citoyenneté. Mais on n'en est plus à une contradiction près, n'est-ce pas ?

Sachez, monsieur le ministre, que ni l'emploi ni la démocratie dans l'entreprise n'en sortiront gagnants !

Ces seuils ont également un autre effet pervers : il est en effet prévu que les obligations financières supplémentaires résultant de leur dépassement soient allégées, s'agissant de la formation professionnelle, du 1% logement et du versement aux sociétés de transports.

Ces pertes de recettes pour les organismes concernés devront être compensées. De quelle façon ? Il n'y a pas trente-six solutions : elles seront compensées soit par des hausses des tarifs ou des loyers, soit par une prise en charge par l'Etat, ce qui reviendra, en fait, à faire supporter ces nouvelles charges aux contribuables. Et la boucle sera de nouveau bouclée !

A cette régression démocratique s'ajoute donc également une régression sociale.

Ces mesures remettent en cause le code du travail, voire les conventions collectives, notamment en ce qui concerne la période d'essai, qui n'en finit pas, même si elle n'en est pas véritablement une. On lui cherche en effet toujours un nom. Une « période d'essai » de deux ans, c'était vraiment trop gros !

Le contrat « nouvelles embauches » offre en somme la possibilité à l'employeur de licencier à tout moment, sans préavis et sans motif particulier. Il n'aura à invoquer ni une cause propre au salarié ni une raison économique, les deux seuls motifs de licenciement reconnus à ce jour.

A ces deux motifs de licenciement viendrait donc s'ajouter la décision unilatérale de l'employeur. Mais si ce principe était inscrit dans la loi, le contrôle du juge deviendrait alors impossible, puisque aucun motif de licenciement ne serait plus nécessaire ! Or un licenciement ne peut en principe intervenir sans cause réelle et sérieuse.

De plus, les salariés ne pourront plus s'appuyer sur aucun fondement pour ester en justice. C'est donc le principe d'égalité des citoyens devant la loi qui est bafoué ! Et tant pis si cela contrevient au pilier de l'ordre public social introduit par la loi de 1973.

Même abusif, le licenciement ne pourra être contesté. De plus, il ne donnera droit à aucune indemnité. Simplifier, voire faciliter le licenciement serait-il un remède au chômage ?

Le titre spécial de paiement, semblable au chèque emploi-service, destiné à l'embauche de salariés dans les très petites entreprises, est de la même veine : c'est le retour du travail journalier, du travail à la tâche, sans contrat de travail ni bulletin de salaire.

Par ailleurs, comment procéder aux contrôles nécessaires à la lutte contre le travail illégal alors qu'aucune déclaration d'embauche, aucun contrat de travail ne permet de connaître le nombre d'heures, les horaires, les conditions de travail ? En outre, aucun document ne pourra servir de référence en cas de litige avec l'employeur. A croire que les droits des salariés sont incompatibles avec le droit à l'emploi !

De la même manière, dans la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, on nous a fait croire que le droit de travailler, donc le droit de rechercher un travail, était la même chose que le droit au travail effectif.

Pour les Verts, ces pratiques sont inacceptables !

Vous prétendez que l'assouplissement du marché du travail est nécessaire, mais, en vérité, la précarité n'a déjà que trop augmenté. Le nombre d'intérimaires est passé de 113 000 en 1983 à 471 000 en 2003 et, sur la même période, les emplois aidés ont augmenté de 128 %. Le nombre de contrats à durée déterminée a été multiplié par six en dix ans.

Le chômage s'en est-il trouvé réduit ? Assurément non !

Le Gouvernement poursuit son entreprise de casse sociale, passant même aujourd'hui à une vitesse supérieure avec la casse du code du travail.

Un autre point prévu par les futures ordonnances concerne la prime de 1 000 euros allouée, à l'embauche, au chômeur retrouvant un emploi.

Je souhaite aborder en cet instant une question sensible, notamment pour les femmes qui sont déjà les premières victimes de la flexibilité imposée et donc de la précarité : il s'agit de la garde des enfants. Il est nécessaire de prévoir une aide plus continue. Ainsi, une femme seule élevant des enfants et retrouvant un emploi en cours d'année ne peut pas trouver rapidement une place en crèche. Elle devrait donc bénéficier d'une assistante maternelle, au moins jusqu'à ce qu'elle obtienne une place en crèche.

Arrêtons-nous un instant sur les incohérences de ce plan qui nous font douter de sa réussite. M. le rapporteur a expliqué que l'aménagement des règles de décompte dans l'entreprise existe déjà pour certaines catégories de personnes : apprentis, titulaires de contrats en alternance ou aidés, travailleurs handicapés.

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