Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 7 juillet 2005 à 15h00
Mesures d'urgence pour l'emploi — Question préalable

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec un chômage qui frappe plus de 10 % de sa population active, la France se classe au vingt et unième rang de l'Union européenne en matière d'emploi. Triste bilan pour un Président de la République qui avait fait de la réduction de la fracture sociale son slogan de campagne !

Depuis trois ans, de réforme en réforme, la situation ne cesse de se dégrader : croissance en berne, salaires en panne, précarité en hausse. La potion libérale, faite d'atteintes au droit du travail, d'allégement de charges pour les entreprises et de flexibilité pour les salariés, ne fait qu'empirer la situation.

Cela importe peu à un gouvernement qui préfère l'acharnement thérapeutique à la prise en compte réelle des difficultés du pays et du désespoir des Français.

Et ce n'est pas ce « plan emploi », qu'on leur assène à grands coups d'ordonnances, qui rendra aux Français foi en l'avenir et confiance en leurs dirigeants !

Sans envergure sociale, sans ambition économique, sans perspectives industrielles et sans portée politique, il s'appuie sur la peur du chômage pour saper les protections du salarié et faire de la précarité l'ultime mode de gestion des ressources humaines.

L'instauration de la période d'essai de deux ans en est l'illustration la plus caricaturale, la plus grinçante, à vrai dire la plus scandaleuse.

Mais, avant de se plonger dans l'examen de ces mesures, il est bon de s'attarder sur la méthode choisie.

Fort de sa toute nouvelle conscience des enjeux, le Gouvernement veut frapper vite et fort. Il n'a pas de vision d'avenir, pas de stratégie politique, pas de soutien dans la population. Qu'à cela ne tienne ! Son empressement lui tiendra lieu de détermination, sa vacuité, d'ouverture d'esprit, et son désordre, d'absence de préjugés. Tout cela peut éventuellement constituer un plan de communication. Quant à fonder une politique pour l'emploi, ce n'est vraiment pas sérieux !

C'est même plus que désinvolte à l'égard des Français : depuis trois ans, de désaveu en sanctions électorales, ils vous font part de leur malaise et de leur détresse, mais vous ne leur renvoyez que votre indifférence... Or, subitement, en l'espace de quelques semaines, vous proposez un plan pour l'emploi clefs en main, un plan dont vous êtes apparemment si sûr que vous choisissez de le passer en force, au mépris des organisations syndicales et des parlementaires.

Vos seuls arguments pour justifier une telle méthode : l'urgence et l'obligation de résultats. Vos moyens d'actions : la destruction du code du travail, la mise sous pression des salariés, la précarisation des contrats et la culpabilisation des chômeurs.

Pourtant, dans un pays où la croissance peine à atteindre 1, 5 %, où 1, 2 million de personnes sont au RMI, où 70 % des embauches se font en CDD, où la dette publique dépasse 65 % de la richesse nationale, où les mêmes disposent de tous les pouvoirs depuis trois ans, il nous semble qu'il conviendrait de s'interroger sur le bien-fondé des propositions qui nous sont faites avant de s'empresser de les mettre en oeuvre.

Dans la précipitation, monsieur le ministre, auriez-vous oublié que l'efficacité d'une réforme tient moins à la célérité de sa mise en oeuvre qu'à l'adhésion qu'elle rencontre, que la rapidité s'exerce au détriment de la confiance, qu'à trop mépriser le Parlement on porte atteinte à la démocratie représentative, et qu'à systématiquement contourner les syndicats c'est le dialogue social que l'on méprise, en instituant l'affrontement comme seul mode de communication ?

En faisant le choix de procéder par ordonnance et en refusant au Parlement et aux partenaires sociaux de jouer leur rôle, ce sont les citoyens que l'on ignore et les salariés que l'on exclut.

Sur un sujet comme l'emploi, préoccupation première des Français, la procédure des ordonnances n'est pas seulement maladroite, elle est contre-productive. On ne refonde pas un contrat social en disant aux citoyens : « Restez chez vous, je m'occupe de tout », surtout avec un tel bilan !

De quoi avez-vous donc peur pour procéder ainsi par ordonnances ? Si vos mesures sont crédibles, alors convaincre l'opinion de leur bien-fondé, c'est leur procurer cette adhésion populaire qui est le levier du changement, le gage de sa réussite et la garantie de sa pérennisation.

En revanche, si vos mesures sont discutables, si derrière les beaux discours se trament de basses manoeuvres, il s'agit moins de répondre à la problématique de l'emploi que de l'utiliser pour achever la déréglementation du marché et dépouiller les salariés de la plupart de leurs droits. Le passage en force est alors la solution.

C'est cette dernière que vous avez choisie, qui ne peut que jeter la suspicion sur vos intentions et le doute sur vos véritables objectifs.

L'échec du référendum vous a permis de prendre la mesure de la colère des Français, mais il ne semble pas que vous ayez perçu la réalité de leur demande. Vous vivez dans le même pays, mais manifestement pas dans le même monde.

Les difficultés qu'ils affrontent s'étendent bien au-delà du problème du chômage, elles concernent autant l'état de leur fiche de paie que leurs conditions de travail et les atteintes portées aux droits et au statut des salariés.

Vous choisissez de ne prendre en compte qu'un seul de ces éléments, le chômage. Certes, le problème est d'importance. Mais croyez-vous vraiment que, en proposant des contrats plus précaires, en décomptant des effectifs les salariés de moins de vingt-six ans, vous favoriserez l'augmentation de la consommation ?

En réalité, le marché du travail dépend davantage de l'état des carnets de commandes que de la mise en place d'un énième type de contrat de travail, d'un énième cadeau aux entreprises. Cela, les Français le savent parfaitement et, ce qui est plus grave, vous le savez parfaitement vous aussi !

Ce que nos concitoyens ont dit le 29 mai dernier est simple : « On n'en peut plus de vivre comme cela, ... »

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