Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 7 juillet 2005 à 15h00
Mesures d'urgence pour l'emploi — Question préalable

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier :

Ce plan pour l'emploi constitue un pas supplémentaire dans le processus de démantèlement du droit du travail. Les lois Fillon, la loi de modernisation sociale, les mesures d'aménagement du temps de travail ont déjà largement taillé dans les garanties collectives liées au paritarisme et mis à mal les garanties individuelles liées au contrat de travail. Les ordonnances poursuivent cette offensive.

J'aborderai maintenant le cas des secteurs qui connaissent des difficultés de recrutement. Il illustre parfaitement les incohérences de ce système et l'inadaptation du plan pour l'emploi à la réalité.

Le secteur de la restauration-hôtellerie en est l'exemple parfait. Voilà une branche où, comme c'est le cas du BTP, un nombre significatif d'offres d'emploi ne trouve pas preneur. Or, quand un pays compte plus de 10 % de sa population active au chômage, la situation paraît pour le moins paradoxale.

Mais, lorsque l'on se penche de plus près sur les rémunérations et les conditions de travail, on s'étonne plutôt que les difficultés de recrutement ne soient pas plus accentuées encore.

Selon le syndicaliste Rémy Jouan, dans ces secteurs, « même les cadres ont les premiers échelons de salaire au-dessous du SMIC ! Et les patrons viennent pleurer parce qu'ils ne trouvent pas de jeunes à embaucher ».

Au lieu d'affronter les causes mêmes de ces difficultés et de rendre ainsi ces métiers plus respectueux des salariés et plus attractifs, vous vous bornez, monsieur le ministre, à proposer aux jeunes un crédit d'impôt.

Or, comme les exonérations sociales patronales sous plafond de salaire, le crédit d'impôt accordé aux salariés sous-payés constitue une prime aux bas salaires, une subvention aux employeurs, dont l'effet essentiel est de les inciter à continuer de pratiquer des rémunérations faibles. Cela revient à faire subventionner le maintien des bas salaires par la collectivité. Bref, c'est une mesure qui induit plus d'effets pervers qu'elle n'apporte de réponses.

Enfin, à travers la politique d'allégement de cotisations sociales comme de versement d'aides directes, on demande à la collectivité de prendre en charge ce qui relève de la responsabilité de l'entrepreneur.

Outre les effets pervers déjà dénoncés - trappe à bas salaire, manque à gagner pour la sécurité sociale et le budget de l'Etat, effets d'aubaine -, l'absence de contreparties dans certains secteurs d'activité rend la pilule difficile à avaler pour l'ensemble des Français. Ces allégements s'élèvent à 18 milliards d'euros dans le budget de 2005 ! Au vu des résultats obtenus sur le marché de l'emploi, on pourrait remettre en cause cette vache sacrée du patronat, au nom de l'absence de rentabilité de la mesure.

A titre d'exemple, le secteur de la restauration a obtenu du Gouvernement des avantages substantiels en attendant que l'Union européenne accepte que l'on applique un taux de TVA réduit à 5, 5 %.

Alors que cette branche a touché des aides à l'emploi à hauteur de 1, 5 milliard d'euros, ses engagements, qu'ils soient en matière d'embauche ou d'amélioration des salaires, n'ont pas été tenus. Vous vous en êtes d'ailleurs officiellement indigné, monsieur le ministre, en affirmant : « les hôtels-cafés-restaurants ont bénéficié d'un soutien exceptionnel de l'Etat ; il n'est pas acceptable que ces efforts soient préemptés par les entreprises sans contrepartie pour les salariés ».

Quant à moi, je n'en suis pas vraiment étonnée : lors de la discussion du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, j'avais, à cette même tribune, indiqué que cela finirait exactement de cette façon. M. Borloo s'était alors indigné de mon esprit soupçonneux et de mon attitude négative...

Alors, que va faire l'Etat ? Rien ! Le conditionnement des aides publiques au respect des engagements en matière d'emploi et de salaire est évoqué à chaque fois que le scénario se reproduit ; mais, à force d'entendre des paroles qui ne sont pas suivies d'effets, on peut penser que, pour certains, exhiber une indignation exonère de prendre une réelle décision.

Un autre symbole choquant est le fait de ne pas prendre en compte certaines catégories de personnels dans le décompte des effectifs.

Dans le cas des jeunes âgés de moins de vingt-six ans, le message sous-jacent est explicite : « Tu ne comptes pas ! » Belle déclaration à une jeunesse qui doute !

La question se pose alors : après vingt-six ans, quand ils deviennent comptabilisables, est-il intéressant pour l'entreprise de les garder ? Nous connaissons déjà tous la réponse, et vous la connaissez aussi bien que nous, monsieur le ministre ! Non, ils ne seront pas gardés puisque l'un des intérêts de cette mesure est de dispenser les employeurs de respecter la législation en matière de représentation du personnel.

Décidément, à défaut de répondre aux aspirations des citoyens, ce gouvernement ne sait plus que faire pour combler le MEDEF.

Quand on rapproche cette question de celle des seniors que l'on renvoie chez eux passé cinquante-cinq ans, on se demande qui, dans cette société, est considéré comme un travailleur à part entière.

Que le travail soit une valeur, on vient à en douter tant l'évolution de la législation en fait un produit jetable à consommation immédiate et à faible valeur ajoutée.

Même des personnes aussi peu soupçonnables de gauchisme que MM. Camdessus, Cahuc et Kramarz ont compris qu'on ne pouvait réclamer la flexibilité de l'emploi sans proposer, en échange, le renforcement de certaines garanties sociales.

Nous n'avons sans doute pas la même définition de ce que devrait être une sécurité sociale professionnelle, mais au moins le concept leur est connu.

Dans le plan d'urgence du Gouvernement, si la flexibilité se taille la part du lion, la référence au concept de sécurité a complètement disparu. Ainsi, non seulement les mesures annoncées apparaissent inadaptées face aux enjeux, mais surtout les réponses apportées ne sont que dogmatiques : c'est la bible de l'ultralibéralisme qui les sous-tend.

C'est pourquoi ces propositions suscitent plus l'angoisse qu'elles n'y répondent. Or, sans confiance populaire, toute réforme échoue et tout projet s'enlise.

De plus, en précarisant encore les classes moyennes, monsieur le ministre, vous porterez la responsabilité de l'éclatement de la société salariale dans la crise de régime à laquelle vous êtes confronté.

Pour notre part, la seule question qui se pose vraiment aujourd'hui est la suivante : comment arrêter de fabriquer de la pauvreté ? Mais, pour vous, le seul enjeu qui vaille se résume à gommer encore la frontière entre travail et exploitation.

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