Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais évoquer en quelques mots la filière automobile, le contrôle parlementaire des fonds publics, la voiture propre et, surtout, l’appel à un nouveau pacte entre équipementiers et constructeurs.
Je suis très heureux, ainsi que mes collègues, que Jean-Pierre Sueur nous invite à débattre – je dirais enfin ! – sur la question spécifique de la situation des équipementiers et sous-traitants de l’automobile.
Il est vrai que nous avons la chance d’avoir deux constructeurs qui comptent parmi les meilleurs du monde. Pour autant, on a trop tendance à réduire l’industrie automobile à leurs activités. C’est oublier bien vite que le tissu industriel comprend un grand nombre d’entreprises, dont certaines ont un destin international, tandis que d’autres sont des championnes de l’innovation, mais qu’il y a aussi beaucoup d’entreprises familiales qui irriguent l’ensemble de l’hexagone et qui sont très importantes pour la vie des territoires.
Il s’agit d’une vraie filière, au sens plein du terme. Nous avons de la chance de l’avoir et nous devons la garder !
En 2007, il faut le rappeler, les équipementiers et sous-traitants, que j’appellerai l’« armée de l’ombre » de la filière automobile, employaient 114 446 salariés. Ce n’est pas rien ! Aujourd’hui, d’après les fédérations professionnelles, dont les prévisions sont funestes, les effectifs passeraient très bientôt au-dessous des 110 000 salariés.
Nous devons éviter que les équipementiers et les sous-traitants ne deviennent – excusez la métaphore – la chair à canon de la crise du secteur automobile.
Or, les équipementiers et les sous-traitants ne disposent pas, nous le savons tous, des mêmes armes que les constructeurs pour faire face à la violence de la crise. Ils ne disposent pas de la même trésorerie pour attendre des jours meilleurs. Il serait même déconseillé aux banques d’aider le secteur automobile, parce qu’il s’agit de placements qui ne sont pas assurés.
Les sous-traitants et équipementiers n’ont évidemment pas la même capacité de négociation vis-à-vis des banques ! De la même manière, les salariés et les chefs d’entreprise ne bénéficient de protections sociales suffisantes pour affronter de longues périodes de chômage partiel.
Équipementiers et sous-traitants ont été, dans un passé assez récent, victimes de délais de paiement sans cesse allongés par leurs donneurs d’ordre. Ils n’ont pas eu d’autre choix que de se soumettre à des rentrées de trésorerie fluctuantes. Au fil des années, leurs marges se sont réduites face aux exigences de productivité des constructeurs.
Les équipementiers et les sous-traitants, et a fortiori leurs salariés, combinent malheureusement beaucoup de handicaps. Devons-nous pour autant laisser le marché, le bon-vouloir des banques et l’absence de législation sociale suffisante signer la condamnation à terme de beaucoup de ces entreprises ? Nous ne le pensons pas.
Laisser des équipementiers et des sous-traitants disparaître, je le réaffirme, c’est cautionner à terme la disparition progressive de la filière automobile. C’est fragiliser nos deux constructeurs, qui, faute de partenaires industriels, seront obligés de chercher ailleurs des structures de production que nous avons ici. C’est faire le nid des délocalisations futures et d’une politique d’achat dématérialisée. C’est abandonner des salariés, des cadres et des chefs d’entreprise qui disposent d’un savoir-faire extraordinaire – certes perfectible par la formation – et qui ne pourront que très diversement se reconvertir sur le marché du travail.
Il s’agit surtout d’un blanc-seing donné à une marche forcée vers la désindustrialisation de notre pays, ainsi qu’à l’abandon de certains bassins industriels qui, aujourd’hui, vivent de l’automobile.
Depuis les premiers signes annonciateurs d’une baisse très sensible et durable du marché de l’automobile, il y a maintenant cinq mois, je n’ai pas cessé de plaider pour la prise en compte de la totalité de la filière automobile.
J’ai réagi, dès les premières annonces qui concernaient notamment la création du fonds stratégique d’investissement, en novembre, et, bien sûr, à l’occasion des états généraux de l’automobile, le 20 janvier. Je vous ai remis à cette occasion, monsieur le secrétaire d’État, une contribution sur l’avenir de l’industrie automobile, rédigée avec mon collègue Pierre Moscovici.
Vous comprendrez bien, monsieur le secrétaire d’État, que, même si la prise de conscience du Gouvernement est réelle – encore que, à mon sens, trop lente –, j’ai accueilli plutôt favorablement, et avec un certain soulagement, l’annonce du pacte automobile le 9 février. J’y ai même placé quelques espoirs et beaucoup d’attentes !
Le pacte automobile prenait à mon sens la mesure de la gravité de la crise de l’ensemble de la filière, en prévoyant notamment un prêt de 6, 5 milliards d’euros aux deux principaux constructeurs, ainsi que le principe d’un prêt pouvant être abondé à hauteur de un milliard d’euros aux équipementiers, via OSEO.
J’avais également retenu le principe d’aides conditionnées, qui est fondateur pour le pacte automobile et, à ce titre, particulièrement important.
J’étais en accord avec vous lorsque vous écriviez : « L’État vient en aide à son industrie automobile en échange de contreparties fortes. La France ne laisse pas tomber son industrie automobile, mais l’industrie ne laisse pas tomber la France ! »
Le Président de la République m’avait plutôt convaincu lorsqu’il avait prévu, dans une intervention télévisée, d’adosser ces aides à des contreparties en termes d’emplois ou de maintien de sites dans l’hexagone et de défendre cette position auprès de la présidence de l’Union européenne.
J’y voyais les bases d’un véritable contrat industriel, social et environnemental. J’y voyais aussi les bases d’un possible changement du mode de gouvernance. Où en est-on après tout cela ? Comme on dit, il y a les effets d’annonces et il y a les actes.
Or, le plus grand flou règne sur la réalité de ces fonds, sur leur réel niveau d’abondement, sur les critères choisis pour aider telle ou telle entreprise. Il semble donc qu’il y ait une distorsion entre les déclarations et la réalité, et, parfois, le fossé est incompréhensible ; il sème le plus grand trouble.
Je sais, monsieur le secrétaire d’État, que vos services et vous-même, comme ceux de Mme Lagarde, êtes au fait des situations des entreprises. Vous négociez avec elles depuis des mois.
Dans ces conditions – et c’est ma première question –pouvez-vous nous expliquer pourquoi si peu de dossiers sont aujourd’hui entre vos mains, alors que l’on connaît l’ampleur, rappelée tout à l’heure par mes collègues, des difficultés des équipementiers ?
Les engagements financiers du pacte automobile évoquent un abondement à hauteur de un milliard d’euros. Que se passera-t-il si, à la fin de l’année, on constate une dramatique sous-consommation des crédits, si le fonds de modernisation des équipementiers est à peine entamé alors que, dans le même temps, des milliers d’emplois sont supprimés et des dizaines d’entreprises disparaissent ?
Telle est la crainte que nous avons. Nous nous demandons également si nous disposons, oui ou non, de la capacité de prêts à hauteur de un milliard d’euros. OSEO aura-t-il, oui ou non, les moyens humains et logistiques pour examiner tous les dossiers, mais également pour les susciter ? Disposez-vous d’objectifs chiffrés dont vous pourriez nous faire part aujourd’hui ?
Mes interrogations concernent non seulement le niveau d’abondement de ces fonds, mais également la réalité des contreparties adossées à l’octroi des prêts.
Vous connaissez la polémique qui grandit actuellement. Pouvez-vous donc nous garantir aussi, monsieur le secrétaire d’État, que le dossier de présentation du pacte automobile aux institutions européennes comportait bien des contreparties sociales et de maintien des sites ? Pouvez-vous nous communiquer ce document aujourd’hui ?
Je vous pose également, monsieur le secrétaire d’État, la question suivante, parce que l’exemple de Valeo fait froid dans le dos : comptez-vous assortir ces prêts de conditions liées à la gouvernance d’entreprise ? Il n’est pas pensable que des entreprises bénéficiant, et à juste titre, d’aides considérables de l’État continuent à agir comme si de rien n’était et à distribuer des indemnités colossales, des primes et des stock-options.
Ces temps-là sont révolus. Nous devons passer d’un modèle fondé sur l’argent facile à un modèle prévoyant une juste et convenable rémunération du travail, y compris pour les dirigeants d’entreprise. D’autres pays ayant une culture libérale en ont donné l’exemple, comme le Japon et les Pays-Bas, qui ont suivi ce cheminement. Nous devons en faire autant !
Il faut savoir qu’en ce moment, alors même qu’on annonce ces stock-options, des intérimaires sont licenciés par milliers ; des salariés de plus de cinquante ans se retrouvent aujourd’hui au chômage, décrétés licenciés volontaires ; des postes sont supprimés. Ces agissements sont intolérables et indignes. On voit les centres communaux d’action sociale, les CCAS, submergés par des demandes d’aides de plus en plus nombreuses. Il en est de même pour les départements.
Je suis ravi, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement soit finalement intervenu pour demander au conseil d’administration de Valeo de ne pas octroyer de telles indemnités. Pour autant, ne croyez-vous pas que, si scandale il y a eu, c’est parce que les conditions n’ont pas été clairement posées dans le contrat. Il ne doit pas y avoir d’aides si de tels agissements sont commis.