Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens moi aussi à saluer l’excellente initiative de M. Jean-Pierre Sueur. Elle me donne l’occasion d’évoquer la situation dans ma région, la Franche-Comté, où bat le cœur industriel de Peugeot.
Le marché des voitures particulières en France a marqué une baisse de 13 % en février, comme Mme Gourault l’a rappelé, mais les ventes de PSA chutent plus violemment encore, de 20 %. Les contrats à durée déterminée ne sont plus renouvelés, les intérimaires se retrouvent au chômage. L’usine de Sochaux a connu un chômage technique prolongé, elle a supprimé, pour l’essentiel, la troisième équipe. Les équipementiers tournent au ralenti. Certains sont en liquidation judiciaire, comme Rencast, filiale du groupe de fonderie italien Zen, à Delle, ou attendent un problématique repreneur, comme Sonas Automotive à Beaucourt, Wagon Automotive à Fontaine – ce fut aussi le cas de Key Plastics à Voujeaucourt, mais M. Bourquin vient d’en parler.
Il résulte de cette situation une immense inquiétude et des difficultés sociales grandissantes.
En général, les États ont réagi avec vigueur. Je n’évoquerai pas le plan américain de relance du secteur automobile. En France, le 9 février dernier, le Président de la République a annoncé l’octroi d’un prêt de 6 milliards d’euros à un taux de 6 % sur une durée de cinq ans aux deux constructeurs automobiles PSA et Renault, afin de leur permettre de financer des projets stratégiques en France et de soutenir, notamment à travers les pôles de compétitivité, des programmes de véhicules propres. L’offre de véhicules –chacun le comprend – doit anticiper sur la nécessité de produire des voitures plus économiques ou équipées de moteurs électriques.
En contrepartie de ces aides qui, pour l’essentiel, répondent à l’urgence, les constructeurs auraient dû prendre un engagement sur l’emploi et sur la pérennité des sites d’assemblage en France.
Ces aides considérables ne peuvent en effet être accordées sans contreparties précises, comme plusieurs intervenants l’ont déjà dit, notamment en ce qui concerne le maintien de l’emploi. Mme Anne-Marie Escoffier a posé des questions tout à fait pertinentes à cet égard ; je n’y reviens pas.
Un fonds d’aide aux équipementiers en difficulté a été mis en place : 600 millions d’euros ont été débloqués, dont 200 millions d’euros ont été fournis par l’État par le biais du fonds stratégique d’investissement. C’est une bonne initiative, mais elle est peut-être insuffisante.
En effet, il est absolument nécessaire d’assurer la reprise, au moins provisoire, de ces entreprises menacées et de leurs savoir-faire au travers d’une holding semi-publique où les constructeurs auront évidemment toute leur place. Des équipementiers aujourd’hui en déshérence comme Sonas Automotive, Wagon Automotive ou Rencast ne doivent pas disparaître. Il en va de même pour beaucoup d’autres sites évoqués par les précédents orateurs, par exemple Continental à Amiens ou Heuliez en Poitou-Charentes, qui devrait mettre sur le marché, en 2010, de nouveaux modèles pourvus de moteurs hybrides ou électriques.
Nous prenons aujourd’hui la mesure de l’immense erreur qu’a commise la France, voilà plus de dix ans, quand elle a accepté la perspective de la délocalisation de son industrie automobile dans le cadre d’une mondialisation n’imposant aucune règle à des pays où les coûts salariaux sont dix fois inférieurs aux nôtres ou au travers d’un élargissement non réellement négocié de l’Union européenne aux pays d’Europe centrale et orientale.
En délocalisant leur production et leurs sous-traitants, les constructeurs ont créé eux-mêmes les conditions du naufrage actuel. À Vesoul, le 15 janvier dernier, le Président de la République s’étonnait de ce que notre industrie automobile, qui représentait, il y a peu encore, le premier poste excédentaire dans notre balance commerciale, fût devenue déficitaire. Sa réaction, toute spontanée, témoignait en fait de la cécité collective de nos dirigeants politiques, du moins de la plupart d’entre eux, au cours des années quatre-vingt-dix.
Le 27 novembre dernier, j’ai posé à Mme Lagarde une question relative à la protection de notre industrie automobile. Elle m’a renvoyé au communiqué du G 20 rejetant tout « protectionnisme » ! La seule évocation de ce mot tabou est un moyen de clore par avance toute discussion. Mais n’est-il pas évident qu’entre des pays présentant des conditions salariales et sociales complètement hétérogènes, il n’y a pas de concurrence bénéfique possible, comme l’avait démontré il y a longtemps Maurice Allais ? La concurrence est alors destructrice !
À la suite de la déclaration du Président de la République, la commissaire européenne chargée de la concurrence, Mme Neelie Kroes, avait déjà mis en garde le Gouvernement français contre « un risque de retour au protectionnisme ». Force est de constater que ce dernier ne tient pas le même langage selon qu’il s’exprime à Paris ou à Bruxelles !
La véritable dictature de la pensée libérale qui s’est instaurée est devenue intolérable. Les institutions de Bruxelles ne peuvent pas défendre un libre-échangisme dévoyé alors que croulent des pans entiers de notre industrie. Ce faisant, elles s’exposent à la colère de notre peuple. Osons parler vrai : la logique industrielle libre-échangiste, en l’absence d’une raisonnable protection, conduit à la disparition potentielle de tous les sites de production français. L’ensemble de la production française peut en effet être réalisé dans des pays à très bas coûts salariaux, faute de protection de notre marché.
Il convient de distinguer, d’une part, les pays d’Europe centrale et orientale, les PECO, dont la plupart ont été admis, en 1999, au sein de l’Union européenne à compter de 2004, et, d’autre part, les pays extra-européens à très bas coûts salariaux.
Pour ces derniers, l’instauration d’une taxe anti-dumping social et d’une écotaxe pour égaliser les conditions de concurrence devrait figurer à l’ordre du jour des sommets européens et mondiaux. Face à l’hypocrisie générale, le courage devrait conduire la France à défendre au G 20 la thèse non pas d’un protectionnisme aveugle, bien évidemment, mais d’une protection raisonnable et négociée. Cela permettrait une concurrence équitable entre les différentes régions du monde, en tenant compte des différences de coûts salariaux, mais aussi, j’y insiste, de la nécessité du développement des pays émergents, à condition que leur croissance soit fondée non pas seulement sur les exportations, comme c’est trop souvent le cas, mais aussi sur le développement de leur marché intérieur. Je me réjouis d’ailleurs de constater que la Chine vient de mettre en œuvre un plan de relance de 450 milliards d’euros. En ces domaines, je le répète, tout se négocie.
Au sein de l’Union européenne, les grandes marques automobiles pourraient être associées à un contingentement de la production par pays en fonction des flux enregistrés depuis 1999. Le contingentement, je le rappelle, c’était l’essence de la Communauté européenne du charbon et de l’acier : revenons aux sources !