Intervention de Luc Chatel

Réunion du 26 mars 2009 à 9h00
Avenir des sous-traitants et équipementiers du secteur automobile — Discussion d'une question orale avec débat

Luc Chatel, secrétaire d’État :

Le « tout-bagnole » est peut-être derrière nous.

Toujours sur le plan structurel, il faut souligner que, en 2008, notre pays, qui a contribué à l’invention de l’automobile voilà plus de cent ans, a été pour la première fois importateur net de véhicules automobiles. Cela veut bien dire qu’une dérive s’est opérée depuis quelques années. En cinq ans, la production automobile française a baissé de près de 1 million d’unités, passant de 3 millions de véhicules à un peu plus de 2 millions aujourd’hui.

Il fallait enrayer cette tendance. La crise nous impose certes de répondre à l’urgence, mais, sur un plan plus structurel, nous devons également faire en sorte que la filière automobile redevienne un secteur industriel d’avenir pour notre pays, d’où la démarche inédite que nous avons engagée. Je crois, monsieur Sueur, que les mesures prises sont à la hauteur des difficultés.

Au mois de décembre, nous avons mis en place un comité stratégique pour l’avenir de l’automobile. Songez, mesdames, messieurs les sénateurs, que jamais auparavant les acteurs de la filière – constructeurs, équipementiers, sous-traitants de premier, deuxième et troisième rangs, mais aussi représentants des salariés, élus, responsables des pôles de compétitivité, etc. – ne s’étaient trouvés ainsi réunis pour parler de leur avenir et travailler ensemble ! Ils se voient quotidiennement pour discuter des produits, des prix et négocier, mais c’est la première fois qu’ils disposent d’un tel lieu de concertation, d’échange et de débat. Ce comité stratégique permet à toute la filière automobile de prendre le temps d’une réflexion commune sur la construction de son avenir.

Les états généraux de l’automobile du 20 janvier dernier, auxquels vous avez été un certain nombre à participer, mesdames, messieurs les sénateurs, s’inscrivaient dans la même démarche. Ils ont permis de mettre en place le pacte automobile.

Ce pacte est un plan massif, permettant d’agir en même temps sur cinq leviers. Cette dénomination de « pacte » suppose des engagements mutuels et des contreparties aux aides apportées. J’y reviendrai dans un instant.

La priorité était de répondre aux difficultés rencontrées par les constructeurs, qui sont à l’origine de la crise du secteur. S’il n’y a plus de constructeurs, monsieur Sueur, il n’y a plus de filière ! Il nous fallait donc d’abord éviter la faillite des constructeurs automobiles, faire en sorte qu’ils puissent trouver des liquidités. Songez que les deux constructeurs automobiles français ne parviennent pas, aujourd’hui encore, à se financer sur le marché obligataire !

Nous avons décidé de soutenir l’activité des constructeurs en accordant des prêts participatifs à Renault, à PSA et au fabricant de camions Renault Trucks. Il ne s’agit pas de « cadeaux ». Cette mesure était une façon de répondre à l’urgence. Elle aura une incidence sur toute la filière, car la meilleure aide aux équipementiers, qui sont au cœur de notre discussion, c’est un redémarrage des commandes passées par les donneurs d’ordre, c’est-à-dire les constructeurs.

Pour relancer l’activité des constructeurs, il convenait également d’apporter une aide à leurs clients. Je rappelle que, en France, deux véhicules neufs sur trois sont achetés à crédit. Or une crise totale du crédit s’était installée, qui frappait notamment les filiales bancaires des constructeurs. D’une manière quelque peu paradoxale, celles-ci avaient resserré leurs conditions de prêt. C’est pourquoi le Gouvernement a décidé de consacrer 1 milliard d’euros à une relance du crédit à la consommation.

La prime à la casse est également une mesure destinée à encourager la consommation. Trois mois après le début de sa mise en œuvre, que constatons-nous ? Le marché européen de l’automobile, à la fin du mois de février, avait reculé de 22 %, le marché britannique de 28 %, le marché espagnol de 45 %, le marché français de 10 %... Certes, il existe des tensions pour certains modèles, les consommateurs se tournant vers les véhicules économiques, comme les Clio ou les 207, dont les ventes ont progressé de 52 %, tandis que celles de Laguna ou de 407 ont baissé de 22 %. Cette inadéquation ponctuelle ne concerne pas uniquement les constructeurs français. Lorsque le marché aura repris, ce phénomène sera lissé.

Naturellement, monsieur Bourquin, nous réfléchissons à l’après-prime à la casse, l’échéance du dispositif étant fixée au 1er janvier 2010. Nous ne voulons pas que la fin de la prime à la casse ait une répercussion négative immédiate sur l’activité du secteur automobile, et nous nous montrerons très vigilants à cet égard. Le système du bonus-malus, pour sa part, s’appliquera jusqu’en 2012.

Le deuxième axe de notre action est le soutien aux équipementiers.

Monsieur Bel, je ne peux vous laisser dire que le Gouvernement se désintéresserait du sort des équipementiers et des sous-traitants. Cette question est au cœur de notre action.

La mise en place du fonds de modernisation des équipementiers automobiles a donné lieu à une discussion difficile. Mon idée était d’amener les donneurs d’ordre à soutenir leurs sous-traitants, comme cela a été fait dans le secteur de l’aéronautique avec les fonds Aerofund I et II. Nous avons fini par obtenir gain de cause, et des engagements sur ce point ont été inscrits, à titre de contreparties, dans les contrats des prêts accordés aux constructeurs automobiles. Un tour de table a permis de doter le fonds de modernisation des équipementiers automobiles de 600 millions d’euros, 200 millions d’euros étant apportés par chacun des deux constructeurs et 200 millions d’euros par l’État.

Des prises de participation chez des équipementiers ont déjà été annoncées. On peut certes trouver que les choses ne vont pas assez vite, monsieur Sueur, mais nous n’en sommes qu’au début du processus : le pacte automobile a été lancé le 9 février dernier, et l’accord de la Commission européenne pour la mise en place du fonds de modernisation des équipementiers automobiles a été donné le 28 février, il y a moins d’un mois.

Une trentaine de dossiers sont en cours, et leur nombre croît chaque jour. Ce fonds n’a d’ailleurs pas vocation à concerner l’ensemble des PME de France ; il s’agit de prendre des participations dans le capital d’entreprises moyennes qui ont besoin d’un renforcement de leurs fonds propres, souvent moins importants que ceux d’entreprises allemandes comparables, afin de mieux traverser la crise. C’est sur ces entreprises que nous pourrons construire une filière automobile d’avenir, consolidée, moderne et compétitive.

Nous voulons également éviter d’enfreindre la réglementation européenne en la matière : dans le secteur agricole, on rembourse aujourd’hui des aides octroyées par l’État en contradiction avec la réglementation européenne !

La création du fonds de modernisation des équipementiers automobiles n’est que l’une des mesures destinées à soutenir la filière.

Pour répondre à une demande très forte des sous-traitants, nous avons décidé de porter à 90 % la garantie d’Oseo. Plutôt que d’inventer une usine à gaz, nous avons jugé plus efficace de renforcer un dispositif éprouvé, souple, bien connu des chefs d’entreprise, relayé par les régions et adapté aux besoins des petites et moyennes entreprises.

M. Cornu a très bien rappelé que la loi de modernisation de l’économie comporte une mesure très favorable aux équipementiers et aux sous-traitants : la réduction des délais de paiement leur est particulièrement destinée. Cela permet de transférer 1 milliard d’euros des constructeurs aux équipementiers et aux sous-traitants, qui ont bien besoin d’une telle somme en cette période de crise !

J’invite donc les détracteurs de l’action du Gouvernement à additionner l’ensemble de ces mesures substantielles prises en faveur des équipementiers et de la sous-traitance, sachant que je n’ai pas encore évoqué les dispositions fiscales en faveur de la compétitivité !

En outre, dans un climat tendu, nous avons eu des discussions dures, parfois violentes, avec les donneurs d’ordre pour leur imposer un changement de leurs pratiques à l’égard des sous-traitants. Ils doivent cesser d’obliger ceux-ci à délocaliser une partie de leur production dans des pays De telles clauses figuraient bel et bien dans des contrats d’approvisionnement de constructeurs automobiles français, mais nous avons obtenu leur suppression ! Hier encore, j’ai demandé aux dirigeants de Renault de sensibiliser leur direction des achats sur ce point. M. Cornu peut témoigner qu’un sous-traitant a apporté la preuve, au cours d’un comité stratégique, des pratiques déloyales d’un donneur d’ordre. La situation a été immédiatement corrigée par le constructeur en question.

Le code de bonnes pratiques prévoit dorénavant un partage plus équitable du risque et des investissements entre sous-traitants et constructeurs, les premiers ne devant pas tout supporter pour le compte des seconds. Cela vaut, par exemple, pour la prise en charge du coût des modèles dans le secteur de la plasturgie. Il s’agit là aussi d’une réelle avancée.

Enfin, les sous-traitants ont besoin d’améliorer leur compétitivité, afin que leurs produits se vendent mieux.

Dans cette optique, nous avons mis en place deux mesures pour aider les sous-traitants, petits ou gros, à améliorer la gestion de leur production.

Voilà quelques jours, j’ai lancé, à l’École catholique des arts et métiers de Lyon, le projet d’usine modèle, qui consiste à former chaque année 200 ingénieurs aux techniques de Celles-ci pourront ainsi être diffusées dans l’ensemble de la filière.

Par ailleurs, dans le cadre du pacte automobile, j’ai annoncé la mise à disposition des directions régionales de l’industrie, de la recherche et de l’environnement, les DRIRE, d’une somme de 15 millions d’euros destinée à aider les PME à améliorer la gestion de leur production, donc leur compétitivité et, finalement, leurs ventes.

Le troisième volet du pacte automobile a pour objet de soutenir l’emploi et le développement des compétences.

Naturellement, notre objectif partagé est de maintenir l’outil de production et de sauvegarder des compétences humaines reconnues pendant cette crise, afin de préserver les capacités de l’industrie automobile française dans l’attente de la reprise.

Dans cette optique, la principale mesure prise concerne le chômage partiel. Eu égard au ralentissement d’activité sans précédent que nous constatons, le quota d’heures a été porté à 1 000 par an pour permettre au secteur automobile de traverser la crise. Surtout, la charge des entreprises est allégée par un relèvement de la part de l’indemnisation des salariés assumée par l’État. Cette indemnisation est portée à hauteur de 95 % du SMIC, soit quasiment l’équivalent du salaire net.

Je souligne, monsieur Sueur, que nous avons assorti ces mesures relatives au chômage partiel de deux contreparties fortes : l’interdiction de licencier les salariés concernés durant une période au moins équivalente au double du temps de chômage partiel qui a été accordé ; l’obligation de proposer une formation d’au moins dix jours aux salariés pendant leur temps de chômage partiel. Cette seconde contrepartie avait d’ailleurs été recommandée par les organisations syndicales.

C’est aussi pour soutenir l’emploi que la charte automobile a été signée l’été dernier entre Christine Lagarde, les représentants des syndicats et les constructeurs automobiles.

L’idée est de mieux anticiper les évolutions des besoins des entreprises dans le domaine automobile. Par exemple, une convergence est intervenue entre les métiers de la production et ceux de la distribution automobile, alors que ces filières étaient auparavant totalement distinctes. L’avènement de l’électronique les a fortement rapprochées. Sous réserve d’une formation et d’une adaptation des compétences préalables, cela permettra d’ouvrir à des salariés qui perdraient leur emploi dans la production 10 000 emplois aujourd’hui disponibles dans le secteur de la distribution.

Nous menons ces actions en concertation avec les organisations syndicales, monsieur Sueur. Au cours des deux derniers mois, j’ai reçu à quatre reprises les représentants des branches spécialisées des organisations syndicales pour échanger avec eux et entendre leurs propositions, dont nous avons repris un certain nombre dans le pacte automobile. Ils participent tous les mois au comité stratégique pour l’avenir de l’automobile, dont la prochaine réunion se tiendra le 1er avril. Vous le voyez, nous associons donc très étroitement à notre action les représentants des syndicats.

Bien sûr, ces mesures en faveur de l’emploi et du développement des compétences prennent un relief tout à fait particulier avec les fermetures d’usines et les restructurations que nous connaissons aujourd’hui. Comme le Président de la République l’a annoncé, le Gouvernement a décidé de renforcer sa politique concernant les restructurations.

Monsieur Danglot, ce n’est pas, à mon sens, en interdisant les licenciements que l’on règlera la situation ! Interdire les licenciements aujourd’hui, c’est interdire les embauches demain ! Je ne crois donc pas que ce soit la solution…

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