Pourquoi en est-on là et comment pourrait-on en sortir ?
On en est là et on n’en sort pas, parce qu’aucun des gouvernements qui se sont succédé depuis vingt ans n’a voulu tirer les conséquences de la prétendue modernisation du service public relevant des grandes entreprises publiques qui a été imposée au pays.
Dans sa forme antérieure aux années quatre-vingt-dix, le service public, c’est l’ensemble des services que la République doit à ses citoyens, non pour leur confort, mais pour leur permettre d’exercer réellement leur citoyenneté. Une République « indivisible » et « sociale », selon les termes de l’article 1er de la Constitution, leur doit un service équivalent. Assurer le service public sur l’ensemble du territoire, fût-ce selon des modalités différentes, est donc une obligation politique de la puissance publique, financée directement par les budgets de l’État, des collectivités locales et des organismes sociaux, et indirectement par les ressources que les grandes entreprises publiques tirent de leur monopole.
Avec l’Europe du marché unique et de la « concurrence libre et non faussée », le paysage change totalement. C’est au marché qu’il appartient désormais de produire et de distribuer les services. Le service public « ancienne manière » ne subsiste qu’à titre de concession – temporaire – à l’histoire et à l’archaïsme – exception culturelle, obligations d’un État unitaire, et j’en passe. Ces services peuvent continuer à être financés sur fonds publics, mais avec des budgets d’État qui sont de plus en plus réduits.
Autre concession à l’archaïsme : les « services d’intérêt général » ou les « services universels », selon la terminologie. Avec eux, le déploiement volontariste de services dans le secteur concurrentiel, mais délaissés par le marché, devient licite.
Au prix de quelques acrobaties sémantiques, d’un peu de créativité budgétaire et d’ingénierie financière, il est possible de financer les services indispensables dans les secteurs où le seul jeu du marché ne suffit pas. La solution passe par des fonds de compensation alimentés par l’ensemble des acteurs du marché concernés, pour les « services d’intérêt général » ou les « services universels », et des fonds de péréquation publics, pour les services du même nom, assurés par des agents dont l’essentiel de l’activité se déploie dans le secteur concurrentiel.
Par rapport au passé, cette modernisation est une usine à gaz, d’où le peu d’entrain à la construire et plus encore à la financer. Mais, et c’est là la question centrale, comment faire autrement, pour vraiment sortir de l’impasse et de la guérilla actuelle, sinon en créant ces fonds et en les alimentant ?
Ce que l’on attend du Gouvernement, c’est une réponse claire à cette question : veut-il mettre en place un système de financement pérenne des services publics en milieu rural ? Si oui, il doit, pour ceux qui relèvent de sa seule responsabilité, en tirer les conséquences budgétaires. Je pense à l’éducation nationale, par exemple.
Pour les services assurés par les acteurs du marché concurrentiel, il lui faut chiffrer le « surcoût » du service public mis à leur charge et en prévoir le financement. Nous en sommes loin, même là où ce serait le plus simple, comme avec La Poste, qui me servira d’exemple.
Les estimations du « surcoût » du service public de la seule présence postale territoriale oscillent, tenez-vous bien, entre 70 et 700 millions d’euros !