« Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
« Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous aurez reconnu, respectivement, les articles XIII et XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Le groupe socialiste, en soutenant la proposition de loi du groupe CRC-SPG, ne cède aucunement à une quelconque facilité – celle du « bouc émissaire », par exemple – ou à une réaction émotive face aux événements que nous vivons. Au contraire, il s’agit pour lui de poursuivre le débat que nous avons engagé depuis plusieurs années avec la majorité sur les vertus de l’outil fiscal, la légitimité des politiques qui y recourent au service de la justice sociale et de l’efficacité économique, et ce a fortiori dans la période de crise profonde que nous traversons.
Lors du débat sur la fameuse loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi justifiait le passage de 60 % à 50 % du bouclier fiscal, instauré par le gouvernement précédent, en l’intégrant au contrat que passait « l’individu face à l’État ». Elle se situait ainsi dans la pure tradition libérale, celle de l’impôt-échange.
Nous nous revendiquons d’une autre philosophie politique, qui fait de l’impôt un « devoir nécessaire au lien social fondé sur l’idée de la solidarité ».
Telle est la source directe de notre attachement à la progressivité de l’impôt, laquelle garantit une redistribution, améliorant ainsi les conditions de vie des personnes les plus modestes qui ont par ailleurs – je le rappelle en ces temps de crise profonde et durable – une forte propension à consommer. Or, la consommation est un soutien essentiel à la croissance. Les derniers chiffres tant de la consommation que du chômage ne nous rassurent pas quant à l’étendue de la crise.
La dualité « impôt échange » ou « impôt de solidarité » est une tension dynamique qui domine le débat fiscal. Cette proposition de loi est donc bienvenue pour alimenter ce débat, d’autant que, avec la nouvelle procédure, nous débattrons de chaque article.
Force est de constater que, depuis 2002, les gouvernements et leur majorité ont agi dans trois directions : d’abord, délier le lien fiscal en vidant peu à peu de son contenu le principe de l’égalité contributive devant l’impôt ; ensuite, délier le lien économique, favorisant ainsi des plus-values rentières, sans aucune justification de performance et sans renforcer notre appareil productif ; enfin, délier le lien social, en justifiant des écarts de revenus exponentiels, tout en diminuant les responsabilités qui devaient y être attachées.
Le bouclier fiscal n’est que le dernier avatar, mais ô combien emblématique, d’une série de mesures d’affaiblissement de l’impôt. Sans la survenue de la crise, vous auriez continué dans le même sens pour arriver à une imposition des revenus qu’on qualifie de flat, qui tourne définitivement le dos à la progressivité.
Dans cette même période, les inégalités de revenus ont explosé. Il est démontré que l’aggravation des inégalités est due à la déformation accélérée de la masse salariale au niveau des très hauts salaires. Par conséquent, il est évident pour nous qu’il faut supprimer le bouclier fiscal. Aujourd'hui encore plus qu’hier, il n’a plus aucune justification, si tant est qu’il en ait eu une.
On ne peut pas dire que les quelques chiffres dont nous disposons confortent l’argumentaire du Gouvernement. M. le secrétaire d’État et M. le rapporteur général ont employé certains arguments à l’attention des parlementaires de la majorité, afin que, de retour dans leur département ou dans leur commune, ces derniers puissent répondre à l’apostrophe de leurs concitoyens. Ce problème, nous le savons, n’est en effet pas uniquement porté par l’électorat de la gauche.
Permettez-moi de revenir sur les arguments utilisés pour justifier le maintien du bouclier fiscal.
Tout d’abord, ce bouclier éviterait le départ des Français les plus fortunés. Je mettrai deux chiffres en parallèle : la perte au titre de l’ISF pour 2008 est de 17 millions d’euros et le coût du bouclier fiscal est évalué à 458 millions d’euros. Le compte n’y est pas.
Ensuite, le bouclier fiscal nous permettrait de préserver notre compétitivité et notre attractivité. Cet argument a-t-il encore un sens alors que le paradigme d’hier est devenu obsolète du fait de la crise ?
Peut-on justifier le bouclier fiscal alors que, dans le même temps, on adresse des avertissements moraux aux patrons, on les exhorte à faire preuve de retenue quant à leurs rémunérations ? Si l’on veut être logique, si l’on veut aller au bout de ces exhortations et de ces incantations, il faut en tirer la conséquence par rapport au bouclier fiscal.
Le plafonnement des niches fiscales, décidé en loi de finances pour 2009, répondrait au problème, nous avait-on dit. Il n’en est rien dès lors que le revenu pris en compte pour le calcul est net des déductions fiscales. La diminution ainsi réalisée du revenu réel provoque un remboursement plus important, comme les chiffres l’attestent : c’est la redistribution à l’envers ! C’est la « régressivité » en lieu et place de la progressivité.
Malheureusement, le Président de la République, le Gouvernement et la majorité ont érigé ce bouclier fiscal en totem. Y renoncer reviendrait, selon eux, à invalider les choix initiaux qui ont été faits voilà déjà quelques années.
Mais puisque la crise est là, profonde, durable et dure aux plus pauvres, libérez-vous de ce carcan plutôt que de chercher refuge dans une construction que vous avez labellisée trilogie « ISF-bouclier-nouvelle tranche d’imposition », construction paralysante qui aboutit à ne rien faire !