Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme le montre la discussion, cet article 1er porte sur une question profondément politique.
En effet, au-delà de la controverse entre les forces de progrès et de justice et celles du conservatisme et souvent de la réaction, se pose une question de fond : celle de la citoyenneté, qui recouvre la relation entre chacun des habitants de ce pays et l’impôt.
Le ciment du pacte républicain, qu’on le veuille ou non, c’est que chacun paie l’impôt – un impôt le plus juste possible – pour que chacun puisse tirer parti de ce que la collectivité met à sa disposition.
Cette relation est brisée, pervertie par le bouclier fiscal qui, sous des motifs fallacieux, dispense certains de contribuer justement au bien-être général, ce qui ne les empêche évidemment pas de bénéficier des services publics comme des multiples avantages offerts par le financement collectif.
Nous l’avons dit et nous le répétons – la pédagogie est parfois l’art de la répétition –, nous ne trouvons pas légitime que les salariés modestes et moyens acquittent des impôts pour qu’une infime minorité de contribuables – moins de 1 000 en réalité – fassent des gorges chaudes des restitutions du bouclier fiscal.
Cela dit, l’une des questions posées par la « pratique » du bouclier fiscal est celle de son peu de succès auprès des contribuables.
Par quel miracle, si l’on peut dire, à peine plus de 20 000 personnes en 2007 et moins de 15 000 en 2008 ont-elles sollicité l’application du bouclier fiscal, alors que l’on s’attendait à une bonne centaine de milliers de demandes, déposées en très grande majorité par des contribuables modestes ?
Sans doute faut-il trouver une cause de la difficulté à « s’emparer » du bouclier fiscal pour obtenir des services des impôts la restitution du trop-perçu des impositions directes dans sa procédure de mise en œuvre elle-même.
Je sais que M. le rapporteur général, après avoir quelque peu insisté et remis plusieurs fois l’ouvrage sur le métier, avait obtenu que soit mis en pratique l’ahurissant principe de l’auto-liquidation du bouclier fiscal, mais là n’est pas la question
Que l’on se rassure, comme les sénateurs du groupe CRC-SPG sont fermement, et depuis le premier jour, opposés au bouclier fiscal, ils sont évidemment révulsés par son « auto-liquidation », véritable prime au délit d’initié !
Si nombre de contribuables ne sollicitent pas l’application du bouclier fiscal, c’est tout simplement parce que l’affaire n’est pas gagnante à tous les coups. Selon certaines informations, dont il serait d’ailleurs légitime que nous ayons communication, au moins sur le plan statistique, il s’avère que certains contribuables, en lieu et place d’une restitution, se trouvent confrontés à un redressement !
À vrai dire, dès la création même du bouclier fiscal, et malgré les efforts et la publicité déployés par le ministère, nombreux étaient les conseillers financiers, les experts-comptables, les conseils en gestion, les fiscalistes et autres spécialistes – c’est fou ce que les questions d’argent suscitent comme spécialités et comme professions ! – qui se dispensaient de recommander à leurs « clients » de faire jouer le dispositif de plafonnement ! Pour reprendre une formule utilisée à l’époque, il fallait en effet, pour bénéficier du bouclier fiscal, être « blanc-bleu », c’est-à-dire parfaitement en règle au regard des impôts, de tous les impôts visés par le dispositif !
Quand on demande le bénéfice du bouclier fiscal, il faut jouer cartes sur table et ne pas laisser apparaître la moindre des indélicatesses dans l’application du droit fiscal !
Or, entre les conventions fiscales internationales, appliquées de manière flageolante, l’estimation très approximative du patrimoine assujetti à l’impôt de solidarité sur la fortune, la dissimulation, parfois, de revenus fonciers et immobiliers, les étourderies et oublis divers que l’on mesure souvent en milliers d’euros de patrimoine ou de revenus soustraits à toute déclaration, nombreuses sont les sources d’évasion fiscale, plus ou moins avérées, que l’on ne souhaite pas toujours révéler en déposant une demande de bouclier fiscal.
Aucune statistique – mais peut-être M. le secrétaire d'État nous a-t-il amené des chiffres… – n’a d’ailleurs été publiée sur le nombre de demandes s’étant achevées par des redressements. Cependant, selon les éléments que nous ont transmis les organisations syndicales de la direction générale des finances publiques, de 15 % à 20 % des demandes de bouclier fiscal se concluraient ainsi !
On pourrait se féliciter d’une telle situation, le bouclier fiscal générant donc la perception de recettes inattendues, mais elle ne change rien : le bouclier fiscal, parce qu’il est peu pratiqué, n’a précisément pas mis un terme à l’optimisation fiscale, voire à la dissimulation de revenus et de patrimoines qui permet à quelques petits futés de se dispenser de contribuer justement à la charge commune !
Il est donc tout aussi inefficace de ce point de vue, et sa suppression en est d’autant plus justifiée.