Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 18 mars 2005 à 21h45
Avenir de l'école — Article 25

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

Monsieur le ministre, nous légiférons sous le regard, certes de marbre mais vigilant, de Portalis. Je voudrais simplement faire observer à notre assemblée combien il était fâcheux que certains des articles qui nous sont proposés dans ce projet de loi sur l'avenir de l'école soient écrits dans un français si embrouillé, si amphigourique ; de telles formulations seraient certainement censurées par les enseignants que nous sommes, du moins pour un certain nombre d'entre nous, si elles leur étaient soumises par des élèves !

Je prendrai l'exemple de ce seul article 25 pour contribuer à la réflexion.

Vous nous proposez, monsieur le ministre de l'éducation nationale, de consacrer dans la loi de la République française la phrase suivante : « La liberté pédagogique de l'enseignant s'exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l'éducation nationale et dans le cadre du projet d'école ou d'établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d'inspection. » Je pose la question : quel enseignant accepterait une telle rédaction ?

On nous dit que la liberté pédagogique de l'enseignant s'exerce, premièrement, « dans le respect », deuxièmement, « dans le cadre », troisièmement, « avec le conseil » et, quatrièmement, « sous le contrôle ». Il y a là une succession de conjonctions et de prépositions qui, mal harmonisées les unes avec les autres, donnent une syntaxe particulièrement difficile à comprendre. Songeons à Boileau et revenons à plus de clarté dans ce que nous concevons !

J'éprouve donc un certain sentiment de malaise, monsieur le ministre, à penser qu'une loi sur l'école de la République puisse être écrite dans une telle langue.

En plus, si j'ai bien compris, dès lors que l'on fait ce que dit le ministre, ce que dit l'inspecteur, ce que disent les instructions, ce que disent les programmes, ce que dit l'équipe pédagogique, ce que dit le projet d'établissement, on est libre... Curieuse liberté pédagogique ! A quoi cette précision sert-elle ?

J'ai sous les yeux la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, magnifiquement écrite : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. » Tout est dit ! Par comparaison, la phrase si lourde, si mal écrite, si mal rédigée dont je vous ai donné lecture voilà un instant n'apporte rien.

Le paragraphe suivant n'est guère meilleur : « Lorsqu'elle correspond à un projet personnel concourant à l'amélioration des enseignements et approuvé par le recteur, la formation continue des enseignants s'accomplit en priorité... ». Mais enfin, qui irait soutenir une formation continue des enseignants qui ne concourrait pas à l'amélioration des enseignements ? Vous imaginez ce que serait une formation continue qui contribuerait à la détérioration des enseignements ? Faut-il écrire cela dans la loi ? A quoi cela sert-il ?

Et que penser d'une formation qui « s'accomplit » ? Pour ma part, je ne comprends pas ce que cela veut dire. On peut considérer que des personnes reçoivent une formation, que des enseignants délivrent une formation, mais écrire qu'une formation puisse « s'accomplir », c'est contraire à la clarté que l'on est en droit d'exiger d'une loi qui traite de l'école de la République.

Monsieur le ministre, je plaide ici pour la langue française.

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