L’article 33 prévoit que le Gouvernement puisse adapter la loi par ordonnances pour certains territoires d’outre-mer, en raison notamment de leur statut. Madame la ministre, en matière d’adaptation, n’oubliez pas la Guyane, qui, malgré son statut de département, connaît une situation sanitaire sinistrée, proche par certains aspects de celle des pays les moins avancés !
Il est désormais admis qu’il y a « des » outre-mer. Toutefois, on a pour habitude d’évoquer la « zone Antilles-Guyane » et de lui appliquer uniformément les mêmes mesures. Pourtant, ceux de mes collègues qui en ont fait le tour avec moi la semaine dernière ont sans doute pu constater que la Guyane supporte des contraintes, des charges et des handicaps beaucoup plus lourds que les Antilles dans le domaine de la santé.
Le présent projet de loi ne répond pas aux besoins les plus urgents de ce territoire, à savoir un rattrapage en termes d’équipements, une augmentation importante de la densité médicale et une meilleure couverture de la demande de soins, la mise en œuvre réelle, concrète, de l’égalité d’accès aux soins – des soins de qualité, comme vous le dites vous-même, madame la ministre.
Or, dans le département dont le taux de natalité est le plus élevé de France, on ne compte qu’un pédiatre installé en exercice libéral, et aucun service d’urgence pédiatrique ! La situation à l’hôpital de Cayenne est telle qu’il arrive que de jeunes accouchées dorment dans les couloirs et soient renvoyées chez elles au bout de quarante-huit heures…
Dans ce contexte, les mesures du projet de loi tendant à améliorer la démographie médicale sont inadaptées à la situation guyanaise.
S’agissant de la médecine de proximité et de son organisation, le rôle des acteurs de terrain que sont les élus municipaux ou l’expérience des collectivités territoriales ne sont pas valorisés dans le nouveau système proposé pour l’élaboration des projets régionaux ou locaux de santé. De même, qu’en est-il des centres de santé, dont on sait le rôle capital dans les communes isolées de Guyane ?
Madame la ministre, pensez-vous que, dans une situation aussi particulière, il suffise que les représentants de l’État sur place déclinent les orientations nationales, comme le choix en a été fait dans ce texte pour la politique des ARS, en cantonnant les acteurs locaux à un rôle de figurants dont les avis seront plus ou moins suivis ?
La Guyane, région grande comme le Portugal, est un véritable cas particulier. Permettez-moi d’énumérer brièvement les arguments qui justifient mon amendement.
En ce qui concerne les établissements hospitaliers, la charge des créances non recouvrables, encore plus lourde en Guyane qu’ailleurs, justifierait que le coefficient géographique applicable pour la tarification à l’activité, la T2A, soit plus fort que dans les autres départements d’outre-mer.
Par ailleurs, il n’y a pas de CHU en Guyane, alors que les deux départements des Antilles en possèdent. Outre que sa démographie médicale est la plus faible de France, avec des disparités géographiques importantes, la Guyane souffre aussi de l’absence de certaines spécialités pour traiter des pathologies lourdes. Ainsi, alors que diabète, hypertension et maladies cardiovasculaires sont les premiers facteurs de morbidité, on compte un seul cardiologue titulaire à l’hôpital de Cayenne.
En matière d’accessibilité des soins, pour fixer en Guyane un délai d’accès au service des urgences le plus proche, il faudrait compter les heures d’avion et de pirogue !
Notre région est si peu attractive pour l’implantation de médecins qu’il faut, en milieu hospitalier, recourir dans une mesure considérable à des praticiens étrangers détenant des diplômes non européens. Cette pratique s’inscrit dans le cadre d’une ordonnance du 26 janvier 2005, dont certaines dispositions particulières s’appliquent uniquement en Guyane, et de façon très insatisfaisante.
Les problèmes d’équipement, de compétence et d’éloignement rendent à la fois nécessaire et délicate, voire contre-productive, la mise en place des groupements de coopération sanitaire ou des communautés hospitalières de territoire lorsque les établissements sont éloignés de 300 kilomètres, par exemple, ou présentent des fonctionnements et des statuts différents.
Enfin, le nombre des évacuations sanitaires, tant à l’intérieur du territoire que vers des destinations extérieures, aux Antilles ou en métropole, est particulièrement important, ce qui induit des coûts élevés, à la fois pour les patients et pour les caisses de sécurité sociale.
Cette liste de handicaps n’est pas exhaustive… Toutes ces réalités rendent sans objet, parfois illusoires, inefficaces, voire inapplicables en l’état, certaines dispositions du présent projet de loi au regard du double objectif affiché d’une rationalisation des coûts et d’une amélioration du système de soins.
Mon amendement a donc pour objet de garantir qu’une évaluation sera menée dans une perspective opérationnelle, portant aussi bien sur l’organisation sanitaire actuelle du département que sur les incidences de l’application de la loi, qui provoquera inévitablement des ondes de choc difficiles à absorber pour un système déjà si fragile.
En fait, il faut que les mesures d’adaptation nécessaires soient prises dans les meilleurs délais, qu’elles soient législatives, réglementaires ou même conventionnelles. Au-delà de toute position partisane, je le répète, nous avons la responsabilité morale et politique de veiller à ce que la situation en Guyane ne s’aggrave pas davantage. C’est pourquoi j’espère que vous adopterez cet amendement, mes chers collègues.