C'est de nature réglementaire, monsieur Dreyfus-Schmidt, je l'ai dit !
Il est extrêmement important que cette adaptation soit faite le plus rapidement possible.
En cet instant, je ne voudrais pas vous imposer l'historique de l'évolution du droit de la faillite depuis la rédaction du code de commerce en 1807, lequel se caractérisait par la volonté de stigmatiser l'entrepreneur défaillant dans son honneur et dans ses biens - quelqu'un a cité tout à l'heure César Birotteau - et ce régime, peu efficace pour les créanciers, nécessitait d'être réformé.
On en est donc venu à un droit des entreprises en difficulté qui n'a plus pour objectif premier la punition patrimoniale ou pénale du chef d'entreprise. C'est notamment le sens de la réforme qui résulte des lois du 1er mars 1984 et du 24 janvier 1985, qui a un tout autre objectif : le maintien des entreprises et de l'emploi, et le désintéressement des créanciers.
Cet arbitrage difficile a été corrigé par la loi du 10 juin 1994, qui a renforcé les mécanismes de prévention - déjà ! -, simplifié et moralisé les procédures, et restauré les droits des créanciers.
Si l'esprit du législateur de 1984-1985 demeure dans le texte qui nous est soumis - son inspirateur et auteur n'appelait-il pas de ses voeux une réforme ? -, on doit constater un relatif échec de ces procédures. Mais encore faut-il, monsieur le garde des sceaux, en analyser les motifs !
Selon les dernières statistiques disponibles, que vous avez citées, monsieur le garde des sceaux, les liquidations judiciaires immédiates ou après période d'observation représentent près de 90 % des procédures, les plans de continuation 8, 5 % seulement et les plans de cession 2, 1 %. C'est un échec total !
Une autre approche sur la taille des entreprises est également suggestive : 45 % des procédures collectives concernent des entreprises sans salarié, 85 % des entreprises de zéro à cinq salariés et 0, 1 % des entreprises de plus de 200 salariés. Manifestement, les procédures ne sont pas adaptées à la situation des petites entreprises.
Par conséquent, un constat s'impose : le taux de mortalité des entreprises tient à beaucoup de facteurs que la loi seule ne permettrait pas d'atténuer. L'absence de fonds propres, le crédit interentreprises - avec les effets boule de neige que nous connaissons -, l'absence de formation initiale parfois et l'absence d'accompagnement des chefs d'entreprise sont souvent la cause de ces échecs.
De ce point de vue, le rôle des chambres de commerce et d'industrie ainsi que celui des chambres de métiers est crucial. Le rôle des professionnels du droit et du chiffre ainsi, bien entendu, que celui des établissements de crédit est tout à fait important. En effet, s'il faut continuer à encourager la création d'entreprises, on ne peut pas prendre en permanence le risque de créer des entreprises non viables. Mais cette invitation dépasse le strict cadre de ce projet de loi...
Le 5 décembre 2001, lors de l'examen du rapport - que vous avez eu la bonté de citer, monsieur le garde des sceaux - de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation, les remarques que le président Badinter avait faites étaient justes : « Après avoir estimé qu'une réforme cohérente des procédures collectives devrait passer par une révision de la législation applicable en matière de droit des sûretés, M. Robert Badinter a rappelé que, dans l'esprit du législateur de 1985, l'objectif de sauvegarde de l'entreprise excluait toute idée d'acharnement thérapeutique et que, déjà à l'époque, les statistiques montraient qu'une part importante des actifs se volatilisaient dans des procédures longues et inutiles. Il a affirmé que prononcer la liquidation d'entreprises non viables nécessitait du courage et de la fermeté et a considéré que le raisonnement tenu par certains tendant à déduire d'une augmentation du nombre des liquidations un constat d'échec de la législation sur le traitement des difficultés des entreprises était erroné dans la mesure où l'élimination des entreprises non viables était inéluctable dans une économie de libre concurrence. [...] Il s'est par ailleurs déclaré favorable à toute mesure permettant d'empêcher les entrepreneurs d'occulter les difficultés grevant la situation de leur entreprise, cette tendance à espérer un avenir meilleur étant largement répandue. »
On sait que, devant les difficultés, les chefs d'entreprise, comme les autruches, mettent quelquefois la tête dans le sable ! De plus, ce vieux complexe récurrent de la faillite, qui est stigmatisant, demeure, malgré les efforts et les lois, dans l'esprit non seulement d'un certain nombre d'entrepreneurs, mais, pis, dans l'esprit du public. Un entrepreneur qui ne réussit pas est une personne qui a perdu son honorabilité. C'est tout à fait dommageable - vous l'avez souligné à juste titre, monsieur le garde des sceaux - et il fallait absolument combattre cette mentalité. On ne compte plus les travaux sur ce sujet !
Il était urgent de rechercher un meilleur équilibre permettant d'agir au plus tôt lorsqu'une entreprise est en difficulté, sans, bien sûr, que les droits de créanciers soient lésés.
Par ailleurs, la réforme présentée est guidée par le souci de réduire l'aspect punitif des procédures collectives, poursuivant le mouvement amorcé par le droit français depuis une dizaine d'années. Il faut en effet, monsieur le garde des sceaux, distinguer l'entrepreneur malchanceux ou maladroit de l'entrepreneur malhonnête et les sanctions doivent être adaptées à ces différentes situations.
C'est à une refonte complète du livre VI du code du commerce que s'attaque le projet de loi qui nous est soumis et dont, après le garde des sceaux, il me faut évoquer les aspects les plus saillants.
Tout d'abord, et c'est une avancée notable à laquelle la commission des lois comme la commission des affaires économiques a été sensible, les procédures collectives sont étendues aux professions indépendantes. Ces personnes physiques, qui représentent 25 % des entreprises de France, étaient jusque-là exclues du bénéfice de ces mécanismes. Bien entendu, des adaptations sont nécessaires pour les professions libérales qui sont réglementées ou dont le titre est protégé, mais nous aurons l'occasion d'y revenir au cours du débat.
La deuxième innovation, qui est le coeur de la réforme, consiste à ne plus faire de la notion de cessation de paiement le critère unique de distinction entre traitement amiable et traitement judiciaire des difficultés des entreprises.
Désormais, le déclenchement d'une procédure collective ne serait plus lié à l'existence avérée de la cessation de paiement, tandis que les procédures amiables de résorption des difficultés des entreprises pourraient intervenir, dans un délai certes limité de quarante-cinq jours, après la cessation de paiement.
Cet objectif rejoint parfaitement celui que nous avions défini dans le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation : « On constate donc que le caractère unitaire et objectif de la définition de la cessation des paiements reste largement fictif, la diversité des situations économiques s'accommodant difficilement d'une approche strictement normalisée et rigide. »
Le projet de loi crée une nouvelle procédure judiciaire, dénommée « procédure de sauvegarde ». Certains pensent qu'elle est la transcription du fameux « Chapter eleven » du droit américain, que les Américains sont d'ailleurs en train de réformer. En fait, vous l'avez noté, monsieur le garde des sceaux, cette procédure s'inspire largement de divers dispositifs existant dans divers droits européens récemment modernisés. Les études de législation comparée du Sénat ont d'ailleurs prouvé que pratiquement tous les grands pays ont une procédure similaire.
Nous aurons à préciser les critères d'ouverture de cette procédure à la demande du débiteur avant l'intervention de la cessation de paiement.
Assurer une réorganisation de l'entreprise permettant à celle-ci de faire face aux difficultés qu'elle traverse sans attendre la crise fatale me paraît une très bonne idée. De ce point de vue, je ne vois pas en quoi le projet ferait des salariés une « variable d'ajustements » des difficultés des entreprises. A ce sujet, l'intervention bien encadrée de l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, l'AGS, est le gage de la réussite de cette procédure et du maintien de l'emploi.
Le projet de loi assure, à la lumière de l'expérience, une nouvelle répartition des rôles de certains organes de la procédure : intervention renforcée du parquet - c'est important -, intervention renouvelée des contrôleurs et recul relatif des prérogatives accordées au tribunal. Cette répartition est souhaitable.
Enfin, le texte améliore certains droits des créanciers, et cela était nécessaire.
Sur ces bases, le projet de loi modifie l'architecture des procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises en renforçant les mécanismes amiables de prévention et de règlement des difficultés par le renforcement des mécanismes d'alerte en cas de défaillance du débiteur. Monsieur le garde des sceaux, nous essaierons de vous aider dans ce sens...