Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le droit des procédures collectives en France est revisité en moyenne tous les dix ans, - ce fut le cas en 1985, en 1994 et en 2005 - et force est de constater que les réformes ainsi proposées interviennent le plus souvent à l'occasion des périodes basses des cycles économiques.
De fait, il n'est donc pas étonnant d'assister à une nouvelle réforme des procédures collectives à un moment où notre pays connaît une conjoncture économique et sociale difficile, avec une accumulation des faillites, la multiplication des délocalisations d'entreprises, et un taux de chômage qui dépasse la barre fatidique des 10 %.
Au regard d'un tel contexte, nous étions en droit d'attendre une réforme beaucoup plus ambitieuse dans laquelle les mots « maintien de l'emploi » et « sauvegarde de l'entreprise » auraient pris tout leur sens. Tel n'est pas le cas avec le présent projet de loi.
En effet, si l'intention affichée, à savoir tenter de soigner dès les premiers symptômes une entreprise avant qu'elle ne tombe vraiment malade, est louable, en revanche, les moyens pour y parvenir nous semblent contestables à plus d'un titre.
Le texte prévoit que le chef d'entreprise, dès qu'il rencontre des difficultés, peut demander de sa propre initiative à bénéficier de la procédure de sauvegarde ou de conciliation.
Ces procédures vont lui permettre de rester à la tête de son entreprise, de réorganiser celle-ci y compris en licenciant, de négocier ses dettes avec les créanciers de manière confidentielle, et sans en informer les partenaires sociaux, d'obtenir de l'argent frais de la part des banques en échange de quoi elles obtiendront un « superprivilège », enfin d'obtenir de l'Etat, des organismes de sécurité sociale et de l' UNEDIC, des abandons de dettes.
Non seulement je suis loin d'être convaincue de l'efficacité du dispositif que vous nous proposez en termes de sauvetage d'emplois et d'entreprises, mais, de plus, j'estime que celui-ci heurte plusieurs principes fondamentaux de notre droit, notamment ceux qui sont contenus dans le préambule de la Constitution de 1946, motivant ainsi la présente exception d'irrecevabilité.
Tout d'abord, le texte contredit le principe du droit au travail tel qu'il est inscrit dans le cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, dont je rappelle les termes : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi ».
Plusieurs aspects du texte relèguent, en effet, l'emploi au second plan, au bénéfice des créanciers, singulièrement au bénéfice des banques.
Les premiers pénalisés par les difficultés des entreprises resteront donc les salariés et leur famille, dans leur emploi et dans leur pouvoir d'achat.
Le spectre des licenciements a plané tout au long des débats à l'Assemblée nationale avec l'amendement d'un député UMP, fort heureusement rejeté, permettant à un chef d'entreprise qui déclencherait la procédure de sauvegarde de recourir à la procédure de licenciement simplifiée, réservée jusqu'alors aux liquidations judiciaires.
On le voit, la tentation est grande de faire en sorte que la loi devienne un moyen de gérer l'entreprise en permettant de contourner la législation, notamment en matière de plans sociaux.
Cette tentation a été présente tout au long des auditions réalisées par la commission des lois du Sénat : la question de l'allègement des procédures de licenciement y a été abordée de façon récurrente.
Or, cela a déjà été dit mais je le redis avec force : il faut cesser de considérer les salariés comme de simples « variables d'ajustement », et les voir plutôt comme des acteurs à part entière de leur entreprise !
C'est loin d'être le cas dans votre texte, monsieur le garde des sceaux. J'en veux pour preuve la référence à la « réorganisation » de l'entreprise figurant à l'article 12 du projet de loi, là où il était précédemment question de « continuation ».
Il va sans dire que derrière le terme de « réorganisation » figure la possibilité de licencier.
Les propos tenus par M. Houillon à l'Assemblée nationale sur cette question sont assez clairs : « La sauvegarde des entreprises est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise, laquelle peut nécessiter un ajustement rapide de la masse salariale ... ».
La sauvegarde des entreprises ne peut-elle vraiment passer que par la diminution de la masse salariale ?
N'y a-t-il vraiment pas d'autres solutions ?
Je pense pour ma part que le risque existe vraiment que certaines entreprises en bonne santé utilisent cette procédure pour procéder à des restructurations de compétitivité au bénéfice de leurs actionnaires ou de créanciers bancaires, en faisant supporter le coût aux fournisseurs, aux salariés, aux créanciers publics, à l'AGS.
Ce risque est d'autant plus grand que le critère d'ouverture de la procédure, à savoir « des difficultés susceptibles de conduire le débiteur à la cessation des paiements » est on ne peut plus subjectif, au contraire du constat d'une cessation des paiements, notion comptable, emblématique du droit des procédures collectives, qui se définit comme étant, pour le chef d'entreprise, « l'impossibilité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible ».
Ce nouveau critère des « difficultés susceptibles de » inséré dans votre texte concerne, en effet, la quasi-totalité des entreprises, puisque celles-ci sont susceptibles d'éprouver des difficultés dès leur création : 36 % des « jeunes pousses » disparaissent au bout de cinq ans, 42 %, au bout de sept ans.
Un tel usage, habituellement qualifié de « dépôt de bilan technique », pourrait être lourd de conséquences pour des entreprises sous-traitantes et entraîner ainsi des faillites en chaîne.
Alors que les licenciements ont un coût, votre projet de loi ne prend aucunement en considération les conséquences de la fermeture d'une entreprise pour l'ensemble de la collectivité.
L'augmentation du taux de chômage représente également des pertes importantes pour les ASSEDIC, pour les caisses de retraite comme pour les caisses de sécurité sociale.
De plus, votre texte est en contradiction avec le principe reconnaissant la participation du salarié à la gestion de l'entreprise, inscrit au huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ».
Le traitement des entreprises en difficulté, notamment la mise en place d'une procédure de redressement, fait partie de la gestion des entreprises. Pourtant, ce principe est loin d'être observé dans votre projet de loi, puisque les salariés sont considérés non pas comme des acteurs de premier plan, mais plutôt comme de simples spectateurs, le rôle principal revenant au chef d'entreprise, qui est le seul à décider.
En effet, on ne parle pas de la consultation des salariés ni même de celle du conseil d'administration. Pourtant, les salariés - condamnés dans votre texte à assister de la manière la plus passive qui soit à la dégradation de la situation de leur entreprise - ne sont pas des irresponsables. Il faut cesser de les considérer comme des obstacles au redressement des entreprises et les associer pleinement à sa gestion, y compris en cas de difficulté. En général, ils connaissent bien leur entreprise et peuvent, dans certains cas, jouer un véritable rôle d'alerte en amont, c'est-à-dire avant que la situation de l'entreprise devienne trop critique.
Alors que la loi relative au dialogue social préconise de consulter les salariés lorsqu'un projet de loi les concerne, le présent texte n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour du dialogue social.