De plus, en accordant un « privilège d'argent frais » aux établissements de crédit, qui sont pratiquement les seuls à pouvoir consentir de nouveaux prêts, le projet de loi les place en position de force par rapport à l'entreprise, mais également par rapport aux autres créanciers, dont les salariés.
Par ailleurs, leur position est renforcée par la possibilité désormais offerte aux administrations fiscales et aux organismes sociaux d'abandonner leurs créances dans le cadre de la procédure de conciliation. Ceux-ci pourraient se voir ainsi contraints d'assumer des pertes à la place des établissements de crédit, dont le métier est justement de prendre des risques, en échange de paiements d'intérêts.
N'y a-t-il pas là une forme déguisée de subvention ?
L'abandon de créances par les organismes publics et parapublics est d'autant plus critiquable que les grandes banques nationales engrangent depuis plusieurs années des bénéfices record. En outre, les créanciers publics et parapublics pâtissent déjà financièrement du manque à gagner lié aux exonérations de charges consenties par les pouvoirs publics, habituellement pour favoriser, au nom de l'emploi, la compétitivité des entreprises et donc leur survie.
La plupart des firmes françaises bénéficiant de ces exonérations, on peut considérer que les créanciers publics et parapublics sont mis deux fois à contribution.
A cette rupture du principe d'égalité s'ajoute celle du principe de responsabilité, puisque les banques vont désormais voir leur responsabilité atténuée en cas de soutien abusif.
Cette disposition, qui organise l'irresponsabilité bancaire, est contraire aux principes généraux du droit, qui interdisent toute limitation de responsabilité. Elle est de surcroît injustifiée, puisque le nombre de procédures ayant abouti à l'engagement de la responsabilité d'une banque pour soutien abusif est, d'une part, réduit par le montant des indemnités versées après condamnation et, d'autre part, limité, en particulier au regard des bénéfices record des banques.
De plus, le risque encouru par les créanciers privés - y compris les banques - se trouve réduit par la possibilité qui leur est désormais offerte de déduire de leur résultat « les abandons de créances consentis ou supportés dans le cadre d'un plan de sauvegarde ou de redressement. »
En réalité, votre texte aurait dû s'intituler « projet de loi de sauvegarde des intérêts bancaires » !
Toutes ces observations me conduisent donc à douter sérieusement de l'efficacité de votre réforme.
Alors que les défaillances, liées en grande partie à l'organisation économique largement favorable aux grandes entreprises, concernent essentiellement les TPE et les PME, je doute fort que votre dispositif concerne effectivement ces dernières. Je pense, au contraire, que ce sont les grandes entreprises qui vont en bénéficier, comme c'est le cas outre-Atlantique, votre source d'inspiration, monsieur le garde des sceaux.
Or rappelons que les grands groupes industriels ne sont rien sans les PMI sous-traitantes. D'ailleurs, certaines régions seraient désertes sans elles.
Alors que ce sont les TPE et les PME qui ont le plus besoin d'aide pour faire face à leurs problèmes et développer leur activité et l'emploi, et qui devraient par conséquent être les premières concernées par ce projet de réforme du droit des procédures collectives, je crains que la procédure de sauvegarde prévue ne conduise à favoriser les restructurations de compétitivité et donc à nourrir l'« économie-casino ».
Or cette loi ne doit pas devenir un mode de gestion normal de l'entreprise. La situation que connaît notre pays méritait mieux qu'une énième adaptation du droit des procédures collectives allant toujours dans le même sens, à savoir la protection des intérêts bancaires.
En effet, ce n'est pas à coup de réformes législatives comme celle-ci que vous allez améliorer la situation des PMI et des PME, qui participent au maillage économique de la France.
Ce n'est pas non plus le projet de loi de votre collègue M. Jacob qui permettra de remédier à la situation économique et sociale des PME, qui, insérées dans les réseaux de sous-traitance, subissent de plein fouet les politiques des groupes et l'étreinte financière des banques.
Et ce n'est pas non plus le texte de M. Breton pour la confiance et la modernisation de l'économie, qui conforte la mainmise des marchés financiers et des actionnaires sur la gestion des entreprises, qui permettra aux PME de connaître un nouveau développement de leur activité.
Les groupes du CAC 40 ne reportent-ils pas déjà en permanence leurs risques et leurs charges sur les PME sous-traitantes ? De telles pratiques se trouvent amplifiées par une construction européenne qui fait de la concurrence son modèle économique.
Les PME sont directement victimes de cette politique sacrifiant l'emploi et l'industrie, qui constituent pourtant la vie et la force d'une nation.
Il ne faut pas nier la responsabilité des grandes entreprises dans cette situation pour ne retenir que le ralentissement de la croissance et la crise. Un changement radical de politique en matière économique et sociale, fondé sur le choix de l'industrie et de l'emploi contre celui de la finance et de la spéculation, est donc indispensable.
Pour conclure, je dirai que nous en sommes en présence d'un texte idéologique, qui s'inscrit à la perfection dans la continuité de la politique de casse du droit du travail et de remise en cause systématique des lois votées sous la gauche que vous menez depuis 2002. Je veux parler de l'abrogation du volet anti-licenciements de la loi de modernisation sociale, obtenu par les parlementaires communistes, du volet « Larcher » sur les licenciements introduit à la dernière minute dans la loi dite de cohésion sociale, du retour en arrière concernant les 35 heures, de la suppression des emplois-jeunes, et j'en passe.
Par ailleurs, un tel texte ne peut que nous faire regretter l'absence de réforme des tribunaux de commerce - rejetée ici même par la majorité sénatoriale de droite -, réforme sans laquelle toute tentative pour améliorer la législation en matière de traitement des entreprises en difficulté est vaine.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, nous sommes opposés à ce texte. Il ne réglera en rien la question des difficultés des entreprises et, au surplus, il remet en cause des principes à valeur constitutionnelle inscrits dans le préambule de la Constitution de 1946, tel le droit au travail, auxquels nous sommes profondément attachés.