Intervention de Robert Badinter

Réunion du 10 juin 2008 à 16h15
Adaptation du droit pénal à l'institution de la cour pénale internationale — Adoption d'un projet de loi

Photo de Robert BadinterRobert Badinter :

Les États-Unis, parfois qualifiés d’« hyperpuissance », n’ont jamais voulu signer ni ratifier le traité de Rome et demeurent un adversaire de la Cour pénale internationale, par crainte que celle-ci ne poursuive certains de leurs ressortissants. Or cette crainte est absurde, puisque, selon les principes mêmes de la Cour, il revient aux États parties de juger, le cas échéant, leurs ressortissants auteurs de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Par conséquent, les États-Unis n’ont pas à redouter d’éventuels préjugés antiaméricains.

Faire progresser la cause de la justice internationale nécessitera encore beaucoup de travail !

La convention de Rome a posé deux principes et a rappelé une exigence.

Je tiens ici à rendre un hommage particulier à M. le rapporteur et à saluer le travail minutieux et difficile accompli en commission, en dehors de toute considération partisane, comme il se doit, tant cette cause transcende les clivages politiques. Les questions juridiques sont délicates, et Bruno Cotte, président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, juge permanent à la Cour pénale internationale, nous a rappelé qu’il fallait toujours en revenir au statut de cette dernière. Ainsi, dans son préambule, celui-ci énonce que « les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre national et par le renforcement de la coopération internationale ». Le préambule poursuit ainsi : les États parties au présent statut « sont déterminés à mettre un terme à l’impunité des auteurs de ces crimes et à concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes ». Enfin, il rappelle « qu’il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ».

Une fois ces principes posés, l’article premier du statut dispose que la Cour pénale internationale « est complémentaire des juridictions pénales internationales ». Cette notion de complémentarité est particulièrement importante, comme le démontrera la suite de nos débats. Certains pensent qu’a été créé un ensemble hiérarchisé, au sommet duquel trônerait non pas la communauté internationale, mais la Cour pénale internationale, sorte de juridiction suprême ayant compétence pour juger les responsables des plus grands crimes, les États parties n’ayant à connaître que des crimes d’une ampleur plus mineure.

En réalité, la convention de Rome a mis en place un système de justice pénale internationale destiné à prévenir, au sein de son espace conventionnel, l’impunité des auteurs de crimes contre l’humanité. Les États et la Cour pénale internationale sont complémentaires. Chaque État, et la France en particulier, compte tenu de l’importance qu’elle a toujours accordée à cette cause, doit s’acquitter de son devoir et refuser l’impunité. Sinon, à quoi bon proclamer cette exigence tout en laissant impunis les responsables de ces crimes ?

Or il faut bien admettre que nous n’avons pas été exemplaires. Je ne vous vise pas, madame la ministre, car vous occupez vos fonctions depuis trop peu de temps. Cela fait dix ans que la France a ratifié la convention de Rome. Jacques Chirac et Lionel Jospin, alors respectivement Président de la République et Premier ministre, avaient tenu à procéder rapidement à la révision constitutionnelle permettant cette ratification. Puis le temps a passé et, in extremis, en accord avec tous les groupes politiques du Sénat, j’ai déposé une proposition de loi relative à la coopération avec la Cour pénale internationale, dont M. Gélard a été le rapporteur. La loi à laquelle elle a donné lieu a rendu possible la coopération judiciaire grâce à une adaptation de notre procédure pénale.

Toujours est-il que, ce qui n’est pas à son honneur, la France, comme la Colombie, avait émis une réserve sur les crimes de guerre, qui permettait, pendant une durée de sept ans, de refuser la compétence de la Cour pour juger les auteurs de tels crimes. Cette réserve, que j’avais regrettée et qui avait été dénoncée par tous les groupes parlementaires lors de l’examen de la proposition de loi, arrive maintenant à échéance. Aussi, nous devons adapter notre droit à cette extension, que nous avions écartée, de la compétence de la Cour pénale internationale pour connaître des crimes de guerre. C’est l’objet du texte qui nous est soumis.

À cet égard, j’évoquerai trois questions.

La première est celle de l’harmonisation, qu’a évoquée M. Gélard. Nous sommes contraints d’harmoniser notre droit pénal et quelques dispositions de procédure pénale avec les incriminations qui figurent dans la convention de Rome. Il ne s’agit pas nécessairement d’une uniformisation. Néanmoins, il faut bien reconnaître qu’il s’agit là d’une tâche difficile dans la mesure où les incriminations visées dans cette convention, non seulement ont été, à l’origine, rédigées en langue anglaise, mais encore relèvent de concepts qui sont souvent étrangers à notre droit. Toujours est-il que c’est une tâche qui nous incombe.

La deuxième question est celle de la prescription. Si la convention de Rome prévoit le caractère imprescriptible des crimes de guerre, pour ma part, je persiste à penser, comme bien d’autres, que les crimes contre l’humanité sont par essence et par nature différents des autres crimes.

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