Intervention de Hugues Portelli

Réunion du 10 juin 2008 à 16h15
Adaptation du droit pénal à l'institution de la cour pénale internationale — Adoption d'un projet de loi

Photo de Hugues PortelliHugues Portelli :

Madame le président, madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il était temps d’adapter notre droit pénal aux exigences de la Cour pénale internationale puisque nous avons révisé la Constitution pour cela voilà déjà neuf ans, et le projet de loi qui nous est soumis répond à cet impératif. Au nom du groupe UMP, je tiens par ailleurs à rendre hommage à l’excellent travail de notre rapporteur.

Le grand apport de ce texte est l’incrimination des crimes de guerre, en application du principe de complémentarité entre la Cour pénale internationale et les États signataires de la convention : ce principe donne la priorité aux juridictions nationales pour juger des infractions visées par le statut de Rome, leur défaillance ou leur incapacité entraînant la compétence de la CPI.

Pour que les États appliquent cette règle et poursuivent les auteurs de crimes visés par la convention, il faut tout d’abord que l’incrimination existe en droit pénal interne. C’est une exigence internationale, mais également une exigence constitutionnelle : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui fait partie de notre bloc de constitutionnalité, dispose, en son article 8, que « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Le projet de loi s’y emploie, puisqu’il fait du crime de guerre une infraction réprimée dans notre ordre juridique interne, alors que jusqu’à présent ce crime était une notion reconnue par l’ordre juridique international.

C’est en effet au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que l’incrimination des crimes de guerre prend sa dimension internationale, avec l’adoption du statut du tribunal de Nuremberg, annexé à l’accord de Londres signé par les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’URSS. L’article 6b de cet accord dispose que les crimes de guerre sont « les violations des lois et coutumes de la guerre » qui « comprennent, sans y être limitées, […] les mauvais traitements ou la déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l’assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l’exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires ».

À la suite de deux résolutions de 1946, les dispositions de cet accord sont devenues des normes coutumières internationales. Les conventions de Genève de 1949 ont élargi la notion de crime de guerre, le premier protocole de ces conventions réunissant les infractions graves et les crimes de guerre.

D’autres textes ont enrichi la définition, comme le protocole du 26 mars 1999 relatif à la convention de La Haye de 1954, ou le code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité.

Enfin, le statut de la Cour pénale internationale a considérablement élargi la notion de crime de guerre. Le paragraphe 2 de l’article 8 de ce statut dresse la liste d’une cinquantaine d’infractions qualifiées de « crimes de guerre », en étendant parallèlement la définition de ces crimes au viol, à la prostitution forcée ou à l’enrôlement d’enfants âgés de moins de quinze ans dans les armées.

Dans notre droit interne, le crime de guerre ne pouvait être invoqué que si, en la matière, les juges ou le législateur avaient revendiqué l’applicabilité directe de ces textes et une compétence universelle de ses juridictions.

En effet, le droit international et, plus particulièrement, les conventions de Genève puis celle de La Haye précitées reconnaissent aux États leur légitimité pour réprimer les crimes de guerre quel que soit l’endroit où ils ont été commis et indépendamment de la nationalité de leur auteur ou de leurs victimes.

Or notre droit interne n’a pas dévolu à ces textes internationaux une portée directe. Sur le plan légal, s’il existe une partie du code relative aux crimes contre l’humanité, les crimes de guerre n’y apparaissent pas et ne sont donc punis qu’en tant que crimes ordinaires, bénéficiant parfois des circonstances aggravantes prévues en matière criminelle par le code.

Au niveau prétorien, la jurisprudence a également refusé de reconnaître la légalité des crimes de guerre en se fondant sur les quatre conventions de Genève. Dans l’affaire Javor, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que les juridictions françaises étaient incompétentes pour juger des victimes des auteurs de crimes de guerre sur le fondement des conventions de Genève faute d’incrimination en droit pénal interne, et ce bien que la France soit partie à ces conventions.

Notre droit se qualifie de moniste quant à l’intégration directe des normes internationales à notre ordre juridique interne. En réalité, notre système n’est ni dualiste ni moniste mais hybride, car en l’absence d’incrimination en droit interne, sur le fondement du principe de légalité, il se refuse à s’appuyer sur certaines règles internationales qu’il a pourtant acceptées et rejette en matière de crime de guerre toute compétence universelle de ses tribunaux.

C’est cette position qu’a adoptée la commission des lois, et le groupe UMP l’approuve. Si la compétence universelle de nos juridictions est déjà reconnue pour les actes de torture, le terrorisme ou les infractions commises lors du conflit en ex-Yougoslavie ou au Rwanda, il ne nous semble pas nécessaire de l’étendre aux crimes de guerre. Si nos tribunaux devaient juger tous les criminels de guerre indépendamment des règles internes d’attribution de compétence, on pourrait se demander quelle est l’utilité de la Cour pénale internationale. Car si la compétence universelle ne s’applique pas face à des crimes de guerre commis par des individus ou contre des individus n’ayant pas de liens avec la France, la Cour pénale internationale devient compétente en cas de défaillance de l’État partie, au nom du principe de complémentarité.

S’agissant enfin de la prescription des crimes de guerre, la convention des Nations unies du 26 novembre 1968 a reconnu l’imprescriptibilité des peines comme de l’action publique pour les crimes contre l’humanité et pour les crimes de guerre.

Sur le plan européen, la convention du Conseil de l’Europe du 25 janvier 1974 sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre confirme cette volonté en invitant les États parties à rendre la prescription inapplicable pour les crimes de guerre s’ils constituent des infractions en droit interne.

La France a reconnu en 1964 l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, mais elle s’est toujours refusée à reconnaître cette spécificité pour les crimes de guerre, en ne signant pas la convention de 1968, puis celle du Conseil de l’Europe de 1974.

Le projet de loi qui nous est soumis prévoit l’allongement des délais de prescription pour les crimes de guerre – de dix à trente ans pour l’action publique et de vingt à trente ans pour la prescription de la peine en matière criminelle –, mais il traduit le refus d’appliquer le régime des crimes contre l’humanité à celui des crimes de guerre. Le groupe UMP approuve ce choix, car les crimes contre l’humanité, qui sont l’expression la plus atroce de la volonté de destruction de l’homme, doivent demeurer à part et ne pas s’élargir à la définition d’autres crimes.

Madame le garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi est un texte essentiel et attendu au regard de nos engagements internationaux pour que les droits de l’homme soient défendus à l’échelle mondiale. Le groupe UMP ne pouvait que l’approuver et le voter sans réserve.

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