Intervention de Nicole Borvo Cohen-Seat

Réunion du 10 juin 2008 à 16h15
Adaptation du droit pénal à l'institution de la cour pénale internationale — Adoption d'un projet de loi

Photo de Nicole Borvo Cohen-SeatNicole Borvo Cohen-Seat :

Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens au préalable à remercier le président Badinter pour son combat, qui trouvera peut-être aujourd'hui sa récompense.

C’est évidemment avec une grande satisfaction que nous accueillons l’examen du deuxième dispositif d’adaptation à notre droit interne du statut de la Cour pénale internationale. Notre pays a en effet trop longtemps tergiversé et, aujourd’hui encore, je regrette de constater une certaine « frilosité » de la part des rédacteurs du projet de loi au regard des dispositions du statut de Rome. J’y reviendrai lorsque nous débattrons des amendements.

L’opportunité nous est pourtant donnée de porter haut la volonté de la France d’agir comme un membre actif d’une communauté internationale débarrassée des barbaries qu’elle a hélas ! subies et auxquelles elle pourrait de nouveau être confrontée ; une opportunité de porter haut les valeurs qui ont fondé la Charte des Nations unies à laquelle les rédacteurs du statut de Rome font largement référence.

Rappelons-nous que celle-ci s’est imposée comme une réponse de la conscience universelle à l’indicible des crimes commis au milieu du XXe siècle.

Hélas ! les génocides au Cambodge, en Yougoslavie ou au Rwanda sont là pour rappeler que l’horreur peut encore survenir. Dans le même temps, la création du tribunal de Nuremberg, du tribunal de Tokyo, du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, du tribunal pénal international pour le Rwanda, ou encore les poursuites diligentées à l’encontre du général Pinochet, sont incontestablement révélatrices d’une aspiration profonde de transparence et de justice de la part de la conscience universelle, et peut-être des opinions publiques.

Dans ces conditions, les droits de l’homme apparaissent davantage, malgré toutes leurs vicissitudes, comme une référence éthique universelle nécessaire, qui ne manquera pas d’être rappelée à la fin de cette année 2008, à l’occasion du soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Il est de ce point de vue positif que le droit et la légalité tentent, certes difficilement, de se frayer un chemin, en dépit - ou probablement en raison – des tragédies toujours menaçantes, voire à l’œuvre. Les rédacteurs du statut de Rome n’ont-ils pas souligné dès le début du préambule que les États parties sont « conscients que tous les peuples sont unis par des liens étroits et que leurs cultures forment un patrimoine commun, et soucieux du fait que cette mosaïque délicate puisse être brisée à tout moment » ?

Avec la Cour pénale internationale, il s’agit bien sûr d’en finir à l’échelle du monde avec l’impunité dont ont trop souvent bénéficié les auteurs de génocides, de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre. Mais il s’agit aussi de plus que cela : la création de la Cour pénale internationale par la Conférence diplomatique de plénipotentiaires des Nations unies, le 17 juillet 1998, fruit d’un progrès venu de loin dans la conscience collective, comme la teneur des dispositions de son statut me paraissent potentiellement porteuses d’une évolution majeure de l’ordre international.

Bien entendu, le rôle de la CPI, ses compétences, ses droits n’ont pas manqué de susciter un débat serré, notamment au regard des nécessités – des priorités ? – politiques liées à la négociation des solutions aux conflits. Ce nouvel instrument judiciaire devait être acceptable par une majorité d’États pour être crédible et efficace dans les relations internationales d’aujourd’hui.

Pourtant, malgré la complexité de l’enjeu, la communauté internationale a su parvenir à se doter de cet outil juridique qui lui permet de sanctionner les crimes les plus graves commis à son encontre et qui vient par exemple de permettre l’arrestation de Jean-Pierre Bemba, poursuivi pour « crimes contre l’humanité et crimes de guerre » en République centrafricaine entre 2002 et 2003.

Elle a su se donner des moyens nouveaux en faveur du respect des droits humains les plus fondamentaux. Elle a su donner, et c’est l’essentiel, une vraie place aux victimes. Sur ce point, il était positif qu’ait disparu du projet de loi le monopole des poursuites donné au ministère public. Aujourd’hui, hélas ! deux amendements dont nous aurons à débattre visent, semble-t-il, à le rétablir.

Naturellement, la route est encore longue pour que s’établisse durablement un ordre international fondé sur une justice véritable, qui ne soit pas la justice des plus forts. Il y a tellement d’intérêts et de stratégies de puissances à bousculer ! Le refus d’un nombre encore trop important de pays, dont de grandes puissances, d’adhérer à la convention de Rome illustre les difficultés. La France elle-même ne s’est-elle pas protégée avec la réserve de l’article 124 ?

Mais faire progresser l’expression du droit et de la justice constitue, en soi, une avancée de civilisation. C’est aider à faire percevoir que les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les génocides et, plus largement, les catastrophes humanitaires ne sauraient en aucun cas être considérés comme des fatalités, comme des conséquences inévitables liées aux guerres, aux conflits, aux dictatures, voire à la faim, à la misère.

Civiliser l’international pour faire reculer la violence politique est une ambition qui dépasse évidemment l’enjeu judiciaire. Cette ambition-là peut sembler relever de l’utopie, tellement le monde d’aujourd’hui est traversé de fractures profondes, de dominations, de crises et de frustrations sociales, mais elle doit être la nôtre. Les luttes menées pour la paix, contre le colonialisme et l’apartheid, contre la discrimination raciale et sexuelle, contre l’esclavage et pour l’abolition de la peine de mort nous montrent la voie à suivre.

Nous voyons bien que l’attente suscitée par la CPI est d’autant plus grande que le contexte de l’après-11-Septembre a consacré un recul du respect des normes internationales des droits de l’homme. Nombre d’États ont profité de l’aubaine symbolisée par Guantanamo ou Abou Ghraïb et consacrée par la doctrine de la guerre préventive pour renforcer leur autoritarisme au prétexte de lutter contre le terrorisme. Mon collègue Robert Bret, soutenant le premier projet de loi d’adaptation, ne rappelait-il pas que, dès décembre 2001, le Sénat américain adoptait une loi refusant aux États-Unis le droit de coopérer avec la future CPI ?

Dans ces conditions, le texte qui nous est proposé est-il à la hauteur des enjeux ?

Nous ne sommes pas, vous le savez, de celles et de ceux qui n’ont comme solution à proposer que l’aggravation constante de la répression et des peines. Nous sommes par ailleurs convaincus que la prévention des conflits ou des massacres ainsi que la fin de l’aide aux dictatures doivent être des priorités des acteurs des relations internationales. Ce n’est pas, hélas ! le chemin pris par ceux qui avancent l’idée d’un prétendu « choc des civilisations » susceptible de promettre les pires choses ou par ceux qui s’exonèrent du soutien aux droits de l’homme dans le monde en donnant la priorité aux intérêts économiques.

Nous ne sommes pas, disais-je, pour la sanction à tout prix, mais les crimes relevant de la compétence de la CPI sont d’une nature particulière, exceptionnelle, dans leur horreur même. Et par leur horreur même, ils touchent l’ensemble de la communauté humaine !

Notre pays a été particulièrement actif en faveur de la création de la CPI, puis il a beaucoup hésité. Tous les avant-projets élaborés depuis 2002 ont été critiqués par la CNCDH, par la quarantaine d’organisations réunies au sein de la coalition française pour la CPI, par la Croix-Rouge internationale. Le texte qui nous est soumis n’est pas non plus exempt de critiques, même si la commission des lois s’est attachée à l’améliorer quelque peu.

Aujourd’hui, la France accuse un véritable retard par rapport aux autres États parties, notamment européens, alors pourtant qu’elle s’apprête à présider l’Union européenne. L’occasion nous est aujourd’hui offerte de lui permettre de donner un signal fort dans la lutte contre l’impunité et, comme je l’ai dit, dans le combat qu’elle doit absolument mener en faveur de la justice, de la paix, de cet universalisme des valeurs que porte la CPI.

Je suis convaincue que la consolidation d’un système de justice pénale internationale fait partie de ces motifs d’espoir – parfois ténus – en la construction de la paix par le droit et la justice. Car la CPI est l’une de ces configurations qui surgissent à partir du réel chaos que notre pauvre monde nous donne à voir et qui rendent possibles des situations moins injustes. C’est pourquoi notre groupe défendra un certain nombre d’amendements en faveur d’une plus grande conformité avec le statut de Rome et avec les valeurs qu’il porte. Ainsi, nous défendrons l’imprescriptibilité des crimes de guerre et la compétence territoriale élargie.

Pour terminer, permettez-moi de citer Mme Delmas-Marty : « Dans la mesure où il est l’expression des intérêts de l’humanité entière, le droit peut sauver le monde de sa potentielle barbarie ». Hélas ! nous en sommes bien loin. Je vous invite, mes chers collègues, à l’entendre et à agir en ce sens, c’est-à-dire en allant le plus loin possible dans la conformité au statut de Rome.

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