Intervention de Pierre Fauchon

Réunion du 10 juin 2008 à 16h15
Adaptation du droit pénal à l'institution de la cour pénale internationale — Adoption d'un projet de loi

Photo de Pierre FauchonPierre Fauchon :

Sur cette dernière difficulté, j’avoue humblement avoir hésité entre le critère de résidence, qui me paraissait plus prudent et plus raisonnable, et celui de simple présence, qui est plus radical. Ce matin, la commission des lois, se rendant à l’argumentation ô combien ! convaincante et éloquente de M. Badinter, a tranché à une large majorité en faveur de la simple présence, qui correspond d’ailleurs à ce que prévoit déjà notre procédure pénale pour le terrorisme et la torture.

J’ai donc rectifié mon amendement en ce sens. Cependant, je reste ouvert à la discussion, d’autant que j’ai cru comprendre que M. le rapporteur n’était pas encore totalement convaincu en dépit du vote de la commission. D’ailleurs, c’est son droit le plus strict de continuer ses méditations, qui sont, comme chacun le sait, très profondes, très informées et très averties. Le débat m’éclairera sans doute. Il n’est pas impossible que je revienne à la rédaction que M. Zocchetto et moi-même avions conçue à l’origine.

Quoi qu’il en soit, dans les deux rédactions, l’essentiel de mon propos est satisfait.

Premièrement, par ce texte, nous voulons affirmer notre volonté de refuser que la France devienne un espace d’impunité et qu’elle accepte d’apparaître – c’est ce qui me choque le plus – comme une terre de refuge sécurisée pour des criminels particulièrement odieux. La notion de résidence satisfait à ce souci.

Deuxièmement, je crois à l’effet dissuasif de cette mesure. Il faut bien le dire, madame le garde des sceaux, les sanctions pénales que nous ne cessons d’aggraver ont peu d’effet dissuasif dans la plupart des cas. Mais, en l’occurrence, on peut penser que tel ne sera pas le cas, car les autorités de par le monde seront informées des dispositions que nous prenons et elles ne pourront pas ignorer le risque que cette compétence leur fera courir, même si nous adoptions la rédaction plus modérée à laquelle je faisais allusion.

Rappelons que la France a été l’un des acteurs les plus actifs lors de l’institution de la Cour pénale internationale. Elle a donc le devoir d’être exemplaire. En effet, la France demeure l’un des rares pays à ne pas avoir intégré dans sa législation le principe d’une compétence universelle. Il serait regrettable que cette carence persiste.

Certes, nos voisins européens ont intégré ce principe de manière partielle ou très encadrée – le doyen Patrice Gélard a exploré ce sujet avec la sagacité qui le caractérise et a constaté que ce n’était pas si évident –, mais ils l’ont reconnu, ce qui est le principal, parce qu’il témoigne d’une réelle volonté de combattre les crimes internationaux.

Enfin, le principe de la complémentarité, inscrit dans le statut de Rome, veut que la France déclare ses tribunaux compétents pour juger les auteurs de crimes qui se trouveraient en France, comme elle le fait déjà pour les auteurs de certains crimes de torture, de terrorisme, de corruption.

Pour l’ensemble de ces raisons, je crois nécessaire que nous inscrivions dans le code de procédure pénale la compétence universelle pour les crimes les plus graves, ceux qui affectent la communauté internationale tout entière.

J’en viens à une autre question liée à la Cour pénale internationale, sur laquelle je serai plus bref, à savoir la définition du génocide et des crimes contre l’humanité, plus particulièrement l’exigence de l’exécution d’un plan concerté pour les reconnaître.

Dans le code pénal et dans le projet de loi qui nous est soumis, l’un des éléments constitutifs du génocide et du crime contre l’humanité est la réunion de faits réalisés en exécution d’un plan concerté. Or cette condition me semble inutile et extrêmement difficile à satisfaire.

Dès lors que les faits sont constitués, il doit être possible de les qualifier de génocide ou de crime contre l’humanité, car ces définitions correspondent à la réalité des faits tels qu’ils sont établis. Il s’agit de crimes suffisamment graves pour ne pas ajouter des conditions trop contraignantes et des preuves généralement impossibles à établir.

Quand on décide de perpétrer un génocide, on n’établit pas un procès-verbal que l’on déposera ensuite chez le notaire. Il ne faut donc pas espérer trouver un plan concerté. Si des concertations ont sans doute lieu, elles se déroulent verbalement et ne laissent pas de trace. Même si nous savons que, lors de l’horrible génocide des juifs, il y a eu une célèbre réunion qui a effectivement été un plan concerté, il s’agit d’une exception historique qui ne peut pas servir de base à l’édification de règles systématiques et générales. C’est pourquoi je proposerai deux amendements visant à supprimer cette condition.

Il est évident que ce texte constitue un progrès considérable, car il permet d’incriminer la quasi-totalité des infractions visées par la convention de Rome et donc de poursuivre les crimes internationaux les plus graves. Toutefois, j’espère que vous saurez répondre à nos attentes, qui ne feront qu’améliorer notre participation dans la mise en place d’une justice pénale internationale. Ainsi, un message fort serait envoyé non seulement à l’ensemble des signataires de la convention, mais aussi aux criminels, qui ne verraient plus la France comme un asile doré.

Vous avez dit, madame la garde des sceaux, qu’il s’agirait de satisfaire sans réserve aux engagements de la France. Nous placerions ainsi notre pays au premier plan dans la lutte contre les crimes internationaux, ce qui lui donnerait le droit de revendiquer le beau titre de patrie des droits de l’homme.

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