Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 10 juin 2008 à 16h15
Adaptation du droit pénal à l'institution de la cour pénale internationale — Adoption d'un projet de loi

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter d’un projet de loi extrêmement complexe, mais passionnant, puisqu’il vise à mettre en conformité notre droit pénal avec le statut de la Cour pénale internationale.

Loin de n’intéresser que les juristes, ce texte constitue une occasion fondamentale de réaffirmer notre engagement à lutter de manière efficace et constructive contre l’impunité des crimes reconnus comme les plus graves par le droit international.

L’exercice est ardu : on n’adapte pas le droit pénal international comme on transpose une directive ; chaque mot compte, chaque définition doit être pesée et appréciée en fonction non seulement du statut de Rome de la Cour pénale internationale, mais également des contraintes de notre propre système juridique. Notre tradition pénale, nos critères de qualification et d’imputabilité, voire notre vocabulaire pénaliste, diffèrent de ceux du droit international.

C’est ce qui rend cet exercice d’adaptation aussi passionnant que complexe. Comment garantir la fidélité de notre droit pénal au statut de Rome de la Cour pénale internationale sans pour autant se laisser emporter par des règles internationales parfois impossibles à convertir en raison de leur caractère éminemment politique ?

Dans un autre sens, comment garantir l’effectivité des règles internationales en droit interne sans les vider de leur contenu, sans les dénaturer, sans les détourner de leur sens initial à force d’adaptation ?

La relation de la France à la Cour pénale internationale est ambiguë. Notre pays s’est largement investi dans sa mise en place. Pourtant, l’article 121 du traité lui a permis, durant sept ans, de se soustraire aux dispositions dudit traité relatives aux crimes de guerre.

Aujourd’hui, cette réserve est caduque ; il faut donc que la France prenne ses responsabilités. Nos militaires ont été protégés contre toute poursuite durant toutes ces années, notamment en raison de leurs engagements à Srebrenica et au Rwanda.

Nous devons maintenant assumer la mission qui est la nôtre : permettre à nos tribunaux de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves.

En raison de son objet, ce texte est en soi un bon texte : il améliore de manière substantielle, par exemple, la lutte contre les crimes contre l’humanité. Au régime embryonnaire de l’ancien article 212-1 du code pénal se substituera enfin une liste complète d’incriminations, conforme au statut de la Cour pénale internationale.

Je n’en dirai pas autant en ce qui concerne les crimes de guerre.

Après sept années de non-droit en la matière en raison de la réserve de la France au titre de l’article 121, ce projet de loi se situe en deçà des engagements internationaux de la France. En effet, il édulcore littéralement les crimes de guerre. Nous aurons tout le loisir de revenir sur ces carences, mais permettez-moi dès à présent de formuler quelques commentaires sur trois points qui me paraissent essentiels.

Je constate, d’abord, que la liste des infractions figurant dans l’article 7 du présent projet de loi n’englobe pas toutes les incriminations définies dans le statut de Rome de la Cour pénale internationale. Je prendrai pour exemple le viol, qui est absent de cette liste, alors même qu’un nouvel article, l’article 461-4, est spécifiquement consacré aux crimes de guerre de nature sexuelle.

Je ne pense pas qu’il s’agisse là d’un oubli. N’est-ce pas tout simplement une survivance contestable de l’article 121 de la convention de Rome, qui empêchera de faire condamner pour crime de guerre des soldats français qui procèderont à de tels actes ?

Ce projet de loi entretient ni plus ni moins une prime à l’impunité, alors même que son objet est justement d’y mettre fin.

Refuser d’inscrire le crime de viol dans la liste des infractions est une abdication de la France devant ses obligations internationales ! Non seulement cette carence est contraire au statut de Rome de la Cour pénale internationale, mais elle est également contraire aux conventions de Genève et à ses protocoles.

Concernant la compétence universelle, nous déplorons la timidité de la France, laquelle se distinguerait de la plupart de ses partenaires européens et mondiaux. En effet, si le statut de Rome n’oblige pas les États à reconnaître cette compétence à leurs propres tribunaux, la France devrait-elle attendre d’y être obligée pour s’engager avec la même détermination que les autres pays dans la lutte contre l’impunité s’agissant des crimes les plus graves ?

Notre pays donne ainsi l’impression d’entrer à reculons, peut-être contre son gré, dans un système de justice pénale internationale dont, pourtant, il a été l’un des architectes il y a dix ans.

Quant à l’obligation pour un pays de remettre l’auteur d’un de ces crimes à la Cour pénale internationale, elle n’existe pas puisque le statut de Rome donne la priorité aux tribunaux nationaux. La Cour pénale internationale ne peut être saisie que par défaut si les tribunaux nationaux ne peuvent ou ne veulent se saisir eux-mêmes, sauf si le Conseil de sécurité des Nations unies en décide autrement.

Enfin, je salue le travail de la commission, qui a permis d’avancer sur ce point.

Je rappelle qu’en refusant de juger les criminels internationaux qui se trouvent sur son territoire, en prétendant laisser cette responsabilité à la seule Cour pénale internationale, la France donnerait une image regrettable ; elle deviendrait peut-être une terre d’impunité au lieu d’être cette terre de justice que nous défendons.

Pour conclure, madame la ministre, j’insisterai sur un dernier point, qui me semble capital : l’imprescriptibilité des crimes de guerre est elle aussi absente du projet de loi.

Notre mission de parlementaire ne doit pas se traduire par un acquiescement aveugle face à la technicité de ce texte. Il nous revient de pointer du doigt les carences de ce projet de loi et, le cas échéant, d’obtenir des explications crédibles sur les points que nous estimons fondamentaux.

Pourquoi ne pas reconnaître l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des peines qui y sont attachées ? Je sais que les crimes de guerre sont différents des crimes contre l’humanité, mais les deux me semblent nécessiter une justice, car, comme l’a dit M. Badinter, sans justice il n’existe pas de paix durable.

Loin de traduire simplement une mise en conformité de notre droit avec le statut de Rome de la Cour pénale internationale, ce texte est également, j’en suis consciente, un outil de transcription d’une certaine conception politique de la lutte contre les crimes de guerre ; j’y reviendrai lors de la défense de mes amendements. La France doit affronter ses vieux démons et inscrire sa politique pénale dans la démarche volontariste et universaliste qui est prévue dans le statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Notre pays doit donner l’exemple : fidèle à sa tradition de défense des droits humains, patrie des droits de l’homme, la France doit aller de l’avant.

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