Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 10 juin 2008 à 16h15
Adaptation du droit pénal à l'institution de la cour pénale internationale — Article 7, amendements 39 462 11

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Le nouvel article 462-11 du code pénal pose le principe que n’est pas constitutif d’un crime de guerre le fait, pour la France, de recourir à l’arme nucléaire ou à toute autre arme qui n’est pas interdite par une convention à laquelle la France est partie.

Cet article n’a d’autre objet que de rendre licite, dans notre droit interne, une question qui fait l’objet d’un débat encore brûlant à l’échelon du droit international, y compris dans la doctrine.

Permettez-moi de rappeler le contexte juridique international lié à cette question.

Saisie par l’Assemblée générale des Nations unies, la Cour internationale de justice a rendu le 8 juillet 1996 un avis sur cette question simple : la menace de l’emploi ou l’emploi d’armes nucléaires est-il licite au regard du droit international ?

Après avoir précisé que la menace de l’emploi ou l’emploi d’armes nucléaires est généralement contraire aux règles du droit international général, c’est-à-dire aux articles 2 et 51 de la Charte des Nations unies, ainsi qu’au droit international des conflits armés et au droit conventionnel, c’est-à-dire aux traités de non-prolifération, la Cour internationale de justice, dans son avis, a pourtant répondu ainsi à la question qui lui était posée : « Au vu de l’état actuel du droit international, ainsi que des éléments de fait dont elle dispose, la Cour ne peut cependant conclure de façon définitive que la menace ou l’emploi d’armes nucléaires serait licite ou illicite dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle la survie même d’un État serait en cause. »

De cette conclusion confuse, les puissances possédant l’arme nucléaire ont conclu à la licéité du recours à l’arme nucléaire dans cette circonstance de légitime défense.

En d’autres termes, ces États, dont la France, en ont conclu que s’il n’existe pas de règle explicite interdisant la menace du recours à l’arme nucléaire, ce dernier est permis en vertu du principe selon lequel tout ce qui n’est pas interdit est autorisé.

La réaction du Quai d’Orsay ne s’est pas fait attendre, puisque, le 8 juillet 1996, un communiqué interprète ainsi l’avis rendu par la Cour : « La Cour reconnaît que l’emploi ou la menace de l’emploi de l’arme nucléaire peuvent être licites dans des circonstances exceptionnelles qui relèvent de la légitime défense au sens de l’article 51 de la Charte des Nations unies. »

La France a converti l’avis de la Cour internationale de justice, qui constituait une absence de réponse, en reconnaissance de la licéité de la menace de l’emploi ou de l’emploi de l’arme nucléaire en situation de légitime défense.

En résulte le nouvel article 462-11 du code pénal inséré dans le présent projet de loi, qui vise à codifier mot pour mot la position de la France, j’y insiste, et non l’état du droit international en la matière, car cette question, qui fait encore débat au regard du droit international, n’a pas été tranchée sur le plan juridique. Il est donc très malvenu de le faire dans le cadre de notre code pénal.

D’abord, cet article fait dire à l’avis de la Cour internationale de justice ce qu’il n’a pas dit.

Ensuite, cette question de la licéité relève non pas du droit pénal interne, mais du droit international, qui lui est supérieur.

Une codification ne doit avoir pour effet ni de priver le droit international de son effectivité ni de codifier une position politique de la France.

Soit on codifie des règles existantes et reconnues du droit international – c’est le cas pour une grande partie du projet de loi –, soit on codifie de manière aléatoire, en fonction de considérations politiques – c’est le cas pour l’article 462-11.

Il convient donc de laisser cette question à l’appréciation de la Cour internationale de justice et aux instances internationales, plutôt que de chercher à tout prix à obtenir une validation de cette règle en droit interne.

Pour l’heure, le consensus n’existe pas. D’ailleurs, dans cet avis de la Cour internationale de justice, seuls trois juges considèrent que la menace de l’emploi ou l’emploi de l’arme nucléaire est conforme au droit international, alors que cinq sont d’opinion contraire : c’est ce que nous apprend la lecture des opinions individuelles et dissidentes jointes à l’avis.

Il ne faut pas confondre, en effet, politique et droit, notamment droit international. Cette question est éminemment conflictuelle : sa résolution n’a pas sa place dans le code pénal. Laissons l’ordre juridique international régler ce problème et décider, le moment venu, si oui ou non l’emploi de l’arme nucléaire dans la circonstance de légitime défense est licite au regard du droit international.

L’amendement n° 39 vise donc à supprimer le nouvel article 462-11 du code pénal, qui procède à la codification d’une règle inexistante en droit international. En la circonstance, le silence ou les « errements » du droit international ne doivent pas avoir pour effet de donner à la France un blanc-seing en la matière.

Ne faisons pas dire aux conventions de Genève et à ses protocoles ce qu’ils ne disent pas. Il y va de la crédibilité de la France sur la scène internationale, notamment sur cette question de l’arme nucléaire ou sur celle de la légitime défense préventive.

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