Il a été question un temps de lever l’emprunt auprès des particuliers : les contribuables de demain auraient financé les intérêts des créanciers d’aujourd’hui.
Notre attachement à une gestion responsable de la dépense publique, à l’équité sociale et intergénérationnelle, notre lutte contre l’endettement qui limite chaque année un peu plus nos marges de manœuvre, tout militait contre cette proposition.
Puis, en août dernier, la commission chargée de réfléchir aux priorités stratégiques a débuté ses travaux. Il semble qu’elle ait identifié les domaines stratégiques et les besoins avant de fixer le montant de l’emprunt.
Elle a veillé à éviter les saupoudrages de fonds. Elle s’est efforcée de proposer des investissements rentables pour la collectivité, susceptibles de stimuler l’emploi et la croissance.
Le montant de l’emprunt a finalement été fixé à 35 milliards d’euros, soit un peu plus du tiers des 100 milliards d’euros un temps envisagés. Et, fort heureusement, l’hypothèse de l’emprunt populaire a rapidement été écartée, compte tenu de son coût exorbitant.
Le travail de la commission présidée par MM. Juppé et Rocard a donc permis de lever une partie de nos réticences.
À la lecture du texte qui nous est soumis, on constate finalement que le « grand emprunt national » consiste en fait, d’une part, à effectuer un transfert tout à fait opportun de la dette de court terme vers la dette de moyen et long terme, et, d’autre part, à investir massivement dans quatre domaines stratégiques.
Sincèrement, il eût été préférable de le dire tout de suite ! Car il s’agit bien d’investir 19 milliards d’euros dans l’enseignement supérieur, la formation et la recherche ; 6, 5 milliards d’euros dans l’industrie et les PME ; 5 milliards d’euros dans le développement durable et 4, 5 milliards d’euros dans le numérique.
Le dépôt obligatoire auprès du Trésor par les opérateurs gestionnaires des fonds d’un montant d’environ 30 milliards d’euros permettra de réduire d’autant le besoin d’endettement à court terme de l’État sur les marchés. Cette modalité va permettre d’optimiser l’action de l’Agence France Trésor et de restreindre les charges d’intérêt.
Les investissements d’avenir induisent bien une augmentation du déficit budgétaire de 35 milliards d’euros en 2010, mais leur incidence sur le déficit des administrations publiques, au sens du traité de Maastricht, sera plus réduite.
Au total, l’incidence sur les déficits publics au sens « maastrichtien » devrait être comprise entre 2, 5 d’euros et 3 milliards d’euros en 2010 et les années suivantes.
On est loin des montants pharaoniques dont il fut un temps question, et nous nous en réjouissons. Le montant de l’emprunt, la gestion des fonds, le calendrier de décaissement semblent donc bien conçus.
Les priorités, également, ont été bien ciblées. Il est capital d’investir dans des domaines qui représentent un enjeu stratégique de moyen ou long terme et de concentrer l’investissement sur des domaines dans lesquels la France dispose d’avantages comparatifs.
Dans un rapport d’information sur la recherche et l’innovation en France, notre collègue Joseph Kergueris, rapporteur, a souligné l’importance d’intervenir là où nos retards sont rattrapables, et de ne pas nous perdre dans des courses d’ores et déjà perdues. Il faudra y veiller.
Nous approuvons tout particulièrement l’effort majeur décidé en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous en sommes convaincus, et je le martèle depuis des années, dans l’économie mondiale de la connaissance, l’innovation est le levier qui permettra de redresser notre croissance potentielle.
Notre attachement à la discipline budgétaire n’est pas synonyme de myopie. Oui, nous pensons qu’un effort considérable est nécessaire et urgent pour mieux contenir les dépenses de fonctionnement, mais aussi pour réduire les dépenses fiscales. Et, oui, nous sommes convaincus qu’investir de façon à la fois massive et intelligente dans la formation, la recherche et l’innovation est indispensable pour préparer l’avenir.
Qu’il s’agisse de la loi de programme pour la recherche, des travaux de notre collègue Christian Gaudin sur le crédit d’impôt recherche ou de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dont j’ai été le rapporteur, toutes ces occasions nous ont permis de dire notre conviction à ce sujet.
Cette conviction n’est pas idéologique, elle est fondée sur les conclusions concordantes des meilleurs observateurs économiques. Elle n’est pas béate. Nous ne pensons pas que l’emprunt suffira à nous sortir de l’impasse dans laquelle nous avançons chaque année un peu plus.
Il faut tordre le cou à l’idée selon laquelle les dépenses publiques ne pèsent pas sur la croissance : c’est faux, une fois certains seuils passés. Des dépenses excessives imposent une taxation excessive. Cette taxation pèse sur la mobilisation du travail et du capital, et donc sur la croissance.
Il faut tordre le cou à l’idée selon laquelle la hausse de la croissance permettra de financer notre système social à moyen terme : c’est faux. Comme disent les mathématiciens, c’est une condition nécessaire et non suffisante.
Nous ne pourrons pas faire l’économie de nouvelles réformes, notamment de notre système de retraites. Si nous n’avons pas le courage d’engager ces réformes, le rythme d’évolution de nos dépenses sociales accompagnera celui du PIB, et les gains de croissance seront annulés.
Il faut tordre le cou, enfin, à l’idée qu’investir pour l’avenir serait une opération sans risque, assurément gagnante : c’est faux. L’opération présente un risque considérable, et il nous appartient de prendre toutes les mesures pour nous assurer que les retombées économiques seront supérieures aux dépenses engagées.
Par exemple, il faut investir dans nos universités mais il faut aussi asseoir leur autonomie, promouvoir des financements flexibles et diversifiés, développer la sélection par projets, s’attaquer au cloisonnement des structures.
Une autonomie sans concurrence et sans mobilité des enseignants-chercheurs, une autonomie qui passe par la présidentialisation et la marginalisation des personnalités extérieures, une autonomie sans moyens suffisants ferait le terreau du localisme. Là où on espérait avancer, nous régresserions.
Pour la distribution des budgets additionnels, la création d’agences de moyens visant l’excellence scientifique ou l’excellence pédagogique est essentielle, et nous saluons les dispositions du texte qui vont dans ce sens.
Le saupoudrage et l’uniformité n’aboutiraient à rien. Ce sont les incitations, la contractualisation et l’évaluation qui amèneront les progrès à même de faire de nos universités des générateurs de croissance.
C’est la conjonction de ces efforts qui a porté ses fruits chez nos voisins. Financer ne suffira pas. Partout où l’État investira, il faudra mettre en œuvre un train de mesures concrètes sans lesquelles l’argent que nous allons dépenser pourrait bien être gaspillé.
Avec prudence donc, le groupe Union centriste dans sa grande majorité soutiendra cette initiative tournée vers l’avenir.