Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi de finances rectificative représente une étape importante dans l’engagement du chef de l’État face à la crise qui aura marqué l’année écoulée.
On connaît la conviction du Président de la République quant à l’importance de l’investissement et de l’industrie pour l’avenir de l’économie française. Ce n’est donc pas par hasard qu’ont été mises en place une commission sur le grand emprunt et les assises de l’industrie, dont les conclusions et orientations se trouvent au centre des dispositions de ce projet de loi de finances rectificative.
Mes observations porteront essentiellement sur l’article 4.
Il est bien que 35 milliards d’euros soient mobilisés, mais l’importance de ce montant doit être relativisée, car ce dernier ne représente que le triple des investissements annuels de quelques grands groupes nationaux, réalisés majoritairement, il est vrai, hors de France.
Les conditions de mobilisation du grand emprunt devront faire l’objet d’une attention toute particulière. Pour l’heure, il faut bien reconnaître que le Parlement ne dispose que d’un droit de regard limité, et je ne peux donc que souscrire aux amendements de la commission des finances et de la commission de l’économie visant à le renforcer. Cela étant, j’admets volontiers que les procédures mises en place ne doivent pas être causes de retard dans la mobilisation des financements.
Je ne vous cacherai pas que les dotations non consomptibles peuvent susciter des inquiétudes légitimes, au regard de l’expérience récente des dotations pour les universités. Or la rapidité de la mobilisation des fonds sera l’un des facteurs décisifs de la réussite du plan.
Cela étant, mes interrogations, sinon mes inquiétudes, portent surtout sur les dotations consomptibles.
Je ne reviendrai pas sur le flou des tableaux qui ont été présentés, que ce soit par la commission Juppé-Rocard, l’Assemblée nationale ou le Sénat. La commission des finances a évoqué une présentation « assez vague », et M. Étienne a pour sa part indiqué qu’il avait fallu « déchiffrer le chiffrage »… En disant cela, il ne s’agit cependant pas pour moi de formuler une critique, car j’admets volontiers qu’il faut ménager une certaine souplesse.
Cela dit, il importe néanmoins que les règles de fonctionnement de la commission chargée de l’évaluation des projets soient clairement définies. Il ne faudrait pas que certains services, dont on connaît l’habileté, s’en servent pour mieux contraindre les choix.
La question importante, et même capitale, concerne l’affectation des dotations consomptibles, tout particulièrement dans les domaines relevant de l’innovation technologique : sont annoncés 7, 9 milliards d’euros pour la recherche ou 5, 1 milliards d’euros pour le développement durable.
Nous savons que, dans ces secteurs, la France a un retard important à combler et que l’innovation est très rapide. Rattraper ce retard est possible, mais cela nécessite de mobiliser des moyens importants sur des délais très courts. Or prévoir à ce titre de 10 % à 25 % de dotations consomptibles est très insuffisant ; retenir un taux de 50 % à 75 % serait justifié, au moins dans certains domaines. Mieux vaut mener à bien un nombre plus restreint de programmes qu’en engager davantage sans se donner les moyens d’aboutir.
J’aimerais, monsieur le ministre, avoir une réponse sur ce point important, l’innovation technologique étant un enjeu crucial de ce projet. Le rapport Juppé-Rocard cite des exemples précis à cet égard. Là encore, si les taux sont donnés à titre indicatif mais laissés à l’appréciation de la commission chargée de l’évaluation des projets, je serai rassuré, mais il convient de bien préciser les choses.
Je n’évoquerai pas, pour l’heure, d’autres mesures d’accompagnement importantes, tels les fonds communs de placement dans l’innovation et les fonds d’investissement de proximité. Nous aurons l’occasion d’y revenir à l’occasion de l’examen des amendements.
Permettez-moi, en revanche, de souligner certains aspects de la politique industrielle qui, au-delà des moyens financiers, relèvent d’une volonté politique.
Voilà deux ans, à l’occasion d’une question orale, j’avais interrogé Mme la ministre de l’économie sur le devenir du site de Saint-Jean-de-Maurienne, et plus généralement de la filière industrielle de l’aluminium en France, au regard des inquiétudes que faisait naître la volonté délibérée du groupe Rio Tinto de transférer la technologie et le savoir-faire français à l’étranger – il s’agissait notamment de la technologie AP-50 –après avoir abandonné un projet de modernisation.
Le groupe Rio Tinto avait à l’époque pris l’engagement de faire connaître son plan de modernisation en 2008, en affichant sa volonté de faire de Saint-Jean-de-Maurienne un site de référence mondiale. J’avais indiqué à Mme la ministre de l’économie que Rio Tinto ne disait pas la vérité. Le jugement rendu, voilà quelques semaines, dans le contentieux entre EDF et Rio Tinto, ainsi que la baisse d’activité sur le site et la mise en place d’un plan social, ne font que confirmer la duplicité et le double langage de ce groupe industriel. La réalité a dépassé les craintes…
Pechiney, fleuron français de l’aluminium, c’était 20 000 emplois dans notre pays au moment de son rachat par Alcan, accompagné de promesses formelles d’investissement et de développement. Il y a deux ans, il ne comptait plus que 15 000 salariés, et l’effectif sera ramené à 3 000 en 2010, après la cession des dernières activités. Avec le secteur aval, ce sont encore 16 000 emplois directs et indirects qui sont concernés.
Pourtant, une politique industrielle peut encore, monsieur le ministre, sauver la production d’aluminium en France ! Le comité de soutien de l’aluminium dans la vallée de Maurienne vient de lancer un appel au Gouvernement pour que soit menée une étude stratégique sur la reconversion industrielle de cette activité, qui permettrait effectivement de sauver l’aluminium. J’ai adressé la même demande voilà quelques semaines à M. le préfet de la Savoie, à l’occasion des états généraux de l’industrie.
Il ne s’agit pas d’une question de circonstance. Le grand industriel Jean Gandois avait, en son temps, regretté de n’avoir pu mettre en place en France, pour l’industrie électro-intensive, la stratégie qui a été mise en œuvre avec succès dans nombre de pays.
Alors que les états généraux de l’industrie viennent de se terminer et que le Parlement doit se prononcer sur le lancement du grand emprunt, je demande avec insistance au Gouvernement la réalisation d’une étude technico-économique sur les perspectives de la filière de l’aluminium en France. L’avenir de cette filière ne passe certainement pas par une aide financière de l’État. L’existence des sites de Dunkerque et de Saint-Jean-de-Maurienne, qui représentent plus de 6 000 emplois directs ou indirects, est en jeu à court terme !
La discussion de ce projet de loi de finances rectificative intervient bien à un moment charnière. Le 9 juin dernier, en Savoie, lors de sa visite à l’Institut national de l’énergie solaire, le Président de la République a proposé que le CEA s’ouvre aux énergies nouvelles et devienne le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies renouvelables. Au-delà de la terminologie, il s’agit d’une question fondamentale. En créant, par l’ordonnance de 1945, le Commissariat à l’énergie atomique, le général de Gaulle a doté notre pays d’un outil qui nous est envié par beaucoup et qui lui a donné son indépendance nucléaire, sur les plans tant militaire que civil.
Je n’évoquerai pas les décisions prises il y a une vingtaine d’années, que nous payons chèrement aujourd’hui. L’enjeu est de tirer parti du formidable outil qu’est le CEA en mobilisant ses capacités de recherche au profit du développement des nouvelles énergies, pour rattraper notre retard. Beaucoup de sites, tels que Saclay et Minatec, ont été évoqués, et je pourrais en citer bien d’autres. Ajouter les énergies alternatives dans la dénomination du CEA, c’est en quelque sorte réaffirmer l’ambition de l’ordonnance d’octobre 1945, pour reconquérir la place que la France n’aurait jamais dû perdre.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de souhaiter que ce soit l’occasion pour le Gouvernement de mobiliser tous nos grands établissements de recherche et toutes nos grandes entreprises dans une compétition qui unisse nos compétences, car notre pays a l’intelligence nécessaire pour relever ce défi ; encore doit-il s’en donner les moyens, grâce à ce grand emprunt. C’est donc avec enthousiasme que je voterai ce projet de loi de finances rectificative pour 2010.