Intervention de Jean Bizet

Réunion du 22 juin 2011 à 14h30
Débat préalable au conseil européen du 24 juin 2011

Photo de Jean BizetJean Bizet, président de la commission des affaires européennes :

Cela ne veut pas dire qu’il faut minimiser les maux dont souffre la Grèce. Ces maux sont anciens et ils sont connus : un secteur public hypertrophié et peu efficace, une fonction publique pléthorique, une mauvaise utilisation des fonds européens, une fiscalité apparemment élevée, mais très mal recouvrée. Et l’entrée dans la zone euro a eu, paradoxalement, un effet anesthésiant. La Grèce a bénéficié des taux d’intérêt relativement bas qui valaient, à l’époque, pour l’ensemble de la zone euro. Elle a fortement accru un endettement qui était, nous le savons maintenant, bien supérieur aux montants officiels.

Puis, les marchés ont commencé à différencier les dettes des États membres. Avec la crise, la situation de la Grèce est rapidement devenue intenable.

Nous voyons bien la difficulté : la Grèce a besoin, manifestement, de profondes réformes structurelles, nécessairement douloureuses. Or, par définition, les réformes structurelles n’apportent pas d’amélioration immédiate. Il faut du temps pour en recueillir les bienfaits.

Des mesures difficiles ont déjà été prises. L’âge de départ en retraite a été porté de 60 à 65 ans. Le nombre des collectivités territoriales a été divisé par trois. Parallèlement, des mesures de plus court terme ont été décidées pour réduire le déficit budgétaire : réduction des remboursements de l’assurance maladie, passage de la TVA de 21 % à 23 %, augmentation de 10 % des taxes sur les carburants et les alcools, suppression des treizième et quatorzième mois de salaire pour les fonctionnaires, gel des pensions de retraite.

Ces décisions n’ont pas suffi à desserrer l’étau. Il en résulte un sentiment d’inquiétude et d’injustice. La population a le sentiment qu’il lui est demandé sans cesse de nouveaux efforts sans qu’elle en entrevoie les bénéfices. À cela s’ajoute le sentiment d’être considéré de haut par les pays situés plus au Nord. Le désarroi est particulièrement sensible dans la jeunesse, qui va recevoir l’héritage d’années de facilité qu’elle ne connaîtra pas. Les sondages montrent qu’un jeune Grec sur trois souhaite s’expatrier.

Il est vrai que la Grèce doit aller bien plus loin dans les réformes. Toutefois, il ne faut pas que ces réformes apparaissent comme une punition. Pour paraphraser un mot célèbre, je dirai qu’il ne faut pas désespérer Athènes. Les réformes doivent apporter l’espoir, à moyen terme, d’un retour à la croissance et d’une société plus ouverte.

Là encore, les solutions sont bien identifiées : un sentiment de confiance ne peut renaître sans une profonde réforme de la gouvernance publique, incluant une lutte effective contre la fraude fiscale endémique. En outre, un vaste programme de privatisations est indispensable pour donner plus de dynamisme à l’économie et pour réduire l’encours de la dette. Ce programme est globalement évalué à 50 milliards d'euros. Nos amis grecs doivent bien prendre conscience que ces mesures sont totalement incontournables. C’est seulement dans le cadre de ces réformes préparant l’avenir que de nouvelles mesures d’austérité pourront être comprises.

En temps de paix, un gouvernement ne peut se résoudre à bousculer autant de situations acquises que s’il a le dos au mur. C’est pourquoi il est justifié d’imposer une conditionnalité stricte à la poursuite de l’aide européenne. En réalité, ni l’Union européenne ni la Grèce n’ont le choix, et rien ne serait pire que d’avoir un gouvernement grec jouant à cache-cache tandis que l’Union européenne feindrait de tergiverser sur son aide.

Quelles que soient les précautions terminologiques, une « restructuration » ou un « reprofilage » de la dette grecque apparaîtraient comme une forme de défaut de paiement, avec le risque d’une crise de confiance affectant d’autres pays européens, et la perspective d’un nouvel ébranlement des systèmes bancaires. Nous avons pris bonne note des propositions de M. le ministre, à savoir l’implication volontaire des investisseurs privés ; c’est une voie qui me semble tout à fait rationnelle et intéressante.

On ne peut prendre ce risque au sortir d’une récession qui a mis à mal les finances publiques de tous les États occidentaux. C’est pourquoi il est indispensable que l’Union européenne se dote des moyens nécessaires, selon le schéma arrêté au mois de mars dernier, avec le renforcement du Fonds européen de stabilité financière et la mise en place, après 2013, du mécanisme européen de stabilité, qui disposera d’une capacité de prêt effective de 500 milliards d’euros.

On peut dire, monsieur le ministre – et c’est à l’honneur du Gouvernement –, que l’attitude de la France dans les difficultés actuelles de l’Europe est bien perçue, parce que, face au risque d’un clivage Nord-Sud, nous apparaissons plutôt comme un trait d’union. Nous devons persévérer dans cette voie d’équilibre et de synthèse.

Nous n’avons pas à entrer dans de fausses oppositions, notamment celle entre le retour à la croissance et l’assainissement des finances publiques. Contrairement aux pronostics de certains, l’Europe connaît un début de reprise alors même que tous les pays membres s’efforcent de réduire leurs déficits ; ce sont les États dont l’effort d’assainissement est le plus crédible qui enregistrent les meilleurs résultats en termes de croissance.

Il ne faut pas davantage opposer la réduction des déficits et la préparation de l’avenir. D’abord, parce qu’on ne prépare pas l’avenir en léguant une dette excessive, même avec de bonnes intentions. Ensuite, parce que la réduction des déficits doit être un élément au sein d’une stratégie globale : elle doit s’accompagner des réformes structurelles qui rendront les pays européens plus compétitifs ; elle doit s’accompagner aussi d’une réorientation de la dépense, d’une plus grande sélectivité, au profit des dépenses qui préparent l’avenir, en premier lieu le soutien à la recherche et à l’innovation. C’est bien le sens de la stratégie « Europe 2020 » comme du pacte « euro plus ».

Ce souci d’équilibre et de synthèse – je terminerai par là mon intervention –, nous en avons également besoin pour un autre sujet important que doit aborder le Conseil européen, à savoir la réforme du système Schengen. Là encore, n’opposons pas – ou ne feignons pas d’opposer – les partisans de la libre circulation des personnes et ceux qui rêveraient, au nom de la sécurité, de rétablir les contrôles aux frontières intérieures.

Nous avons besoin, au contraire, d’une approche réaliste, qui combine, d’abord et avant tout, la libre circulation des personnes, M. le ministre l’a rappelé, mais aussi le renforcement des contrôles aux frontières extérieures et, tant que ce dernier ne sera pas pleinement acquis, la possibilité de prendre des mesures de sauvegarde dans des circonstances critiques, comme celles que nous avons connues récemment. Veillons à ne pas donner des armes aux extrémistes contre ce qui constitue un des grands acquis de la construction européenne.

Voilà, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques observations que je souhaitais faire à l’approche d’un Conseil européen dont le succès est particulièrement nécessaire à l’Europe.

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