Intervention de Roland Ries

Réunion du 22 juin 2011 à 14h30
Débat préalable au conseil européen du 24 juin 2011

Photo de Roland RiesRoland Ries :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre débat d’aujourd’hui doit concourir à l’élaboration de la position française en vue du Conseil européen qui se tiendra demain et après-demain à Bruxelles. La tâche sera difficile. En effet, comme l’ensemble des sénateurs socialistes au nom desquels je m’exprime ce soir, je ne partage pas la position assez défensive du Gouvernement face aux défis européens qui nous attendent, particulièrement ceux qui seront à l’ordre du jour de ce Conseil.

Je ne suis pas de ceux, par exemple, qui constatent passivement et sans enthousiasme l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne. Je considère que c’est là un événement important. Je partage plutôt la position de la Commission, qui recommande aux États membres de clore les négociations sur les quatre derniers chapitres en suspens et de retenir le mois de juillet 2013 comme date butoir pour l’entrée de ce pays dans l’Union. Certes, la Croatie devra continuer à renforcer l’État de droit, poursuivre sa réforme judiciaire et intensifier la lutte contre la corruption, mais elle fait partie intégrante de l’Europe. Je me réjouis de voir s’unir des peuples autour des mêmes aspirations et d’un réel désir d’avancer ensemble.

L’adhésion de la Croatie montrera, je l’espère, la voie aux autres pays candidats de la région – je pense en particulier à la Serbie – et les encouragera à poursuivre leurs efforts afin de respecter les critères requis pour intégrer l’Union européenne.

En matière de politique migratoire, je regrette que la Commission ait cédé aux interpellations des présidents français et italien en concédant, le 4 mai dernier, une possible révision des clauses dites de sauvegarde de l’espace Schengen. Nous le savons, les accords prévoient d’ores et déjà la possibilité de rétablir temporairement le contrôle aux frontières nationales en cas de « menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure ». La réponse de la Commission tend donc simplement à conforter les attitudes inquiètes, frileuses de certains États de l’Union face au printemps arabe et aux mouvements migratoires qu’il a engendrés.

En fait, si les accords de Schengen doivent être révisés aujourd'hui, c’est plutôt, à mon avis, dans la perspective d’une réorientation vers une dimension plus démocratique. La bonne application des règles doit, par exemple, être contrôlée par les institutions européennes, et non plus exclusivement par les États membres, comme c’est le cas actuellement.

Il faudrait également instaurer un contrôle parlementaire de l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures, dite FRONTEX, qui est chargée de la gestion des frontières extérieures de l’Union européenne. C’était d’ailleurs le sens de la proposition de résolution européenne présentée par les sénateurs socialistes, malheureusement rejetée par la commission des affaires européennes la semaine dernière.

En revanche, rétablir un contrôle sous une forme ou une autre aux frontières intérieures contredit l’essence même du projet européen. Tout d’abord, la liberté de circulation des personnes et la constitution d’un espace sans frontières sont parmi les plus belles conquêtes de la construction européenne depuis l’origine. Les citoyens ont conscience qu’ils doivent à l’échelon européen le droit de voyager sans passeport à l’intérieur de l’espace Schengen, tout particulièrement dans les régions transfrontalières où ils traversent la frontière chaque jour pour aller travailler. Il s’agit d’une des réalisations les plus concrètes, les plus visibles de l’Union pour la vie quotidienne de nos concitoyens. Revenir d’une quelconque manière sur ce droit acquis alors que monte l’euroscepticisme ne manquera pas de nuire à l’image de l’Union européenne et alimentera les critiques de tous ceux qui doutent aujourd'hui de notre avenir européen commun.

Mais plus encore, monsieur le ministre, l’Europe, c’est aussi le Conseil de l’Europe, dont la finalité est la promotion de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme. En tant que maire de Strasbourg, capitale européenne où siège cette institution, j’y suis particulièrement sensible.

L’Europe des Vingt-Sept doit sortir de la logique purement défensive dans laquelle elle a tendance à s’enfermer. Elle doit arrêter de se penser en forteresse assiégée, en créant ainsi un climat de méfiance avec les pays voisins du Sud et parfois entre les États membres eux-mêmes. Au contraire, à mon sens, nous devons accompagner les pays voisins dans leur processus de démocratisation.

En tout état de cause, je ne peux concevoir que la France engage au Conseil européen une discussion se focalisant sur un élargissement des clauses de sauvegarde. L’Union européenne a aujourd'hui plus que jamais besoin de vrais débats en matière de migrations, par exemple pour définir les contours d’une politique commune d’asile, que nous réclamons depuis plusieurs années déjà.

En réalité, l’Union européenne s’enlise dans des considérations nationales, elle semble se contenter de faire face aux urgences au fur et à mesure qu’elles se présentent et de gérer les crises au coup par coup.

En matière économique, je ne peux bien évidemment que m’interroger sur les mesures de soutien financier à répétition prises pour éviter les défaillances des États en difficulté, s’agissant notamment de la Grèce. Je ne prétends pas qu’il puisse y avoir, dans le contexte actuel, une autre solution immédiate pour éviter une crise majeure, mais le vrai problème est de savoir comment on a pu en arriver là et de prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour que cela ne se reproduise pas ailleurs à l’avenir, car les menaces existent, nous le savons bien. La crise aura au moins eu le mérite de démontrer, s’il en était besoin, que le temps du chacun chez soi ou du chacun pour soi est dépassé, et que c’est ensemble que les États de l’Union parviendront à s’en sortir et à arrêter les mesures indispensables pour développer une politique économique et financière commune, seule capable d’empêcher les dérives nationales que nous constatons malheureusement aujourd'hui.

De ce point de vue, je pense que les mesures qui seront proposées à l’occasion de ce Conseil européen sont très insuffisantes. Les six textes législatifs du paquet « gouvernance économique » sont, pour l’essentiel, axés sur la réduction de la dette et des déficits des États, et leur mise en œuvre aura donc pour conséquence l’instauration dans les pays concernés d’une politique d’austérité généralisée dont les peuples feront les frais, alors même que les dérives financières sont le fait de spéculateurs qui s’engraissent sur le dos des plus pauvres de nos concitoyens.

Fondamentalement, il faut, à mon sens, envisager le problème sous un autre angle.

Nous ne pourrons pas sortir de ces difficultés sans avoir, au préalable, répondu à la question du projet politique européen. Il faut donc franchir un nouveau pas vers une intégration politique plus poussée de l’Union européenne : c’est la condition de la réussite. Les pères fondateurs s’étaient eux-mêmes rendu compte assez rapidement que l’objectif ultime de la construction européenne ne pouvait et ne devait pas être purement économique. Jean Monnet ne disait-il pas : « si c’était à refaire, je commencerais par la culture » ?

Il ne suffit donc pas de réduire les déficits ou de contrôler l’évolution de la dette. Nous devons mener une politique commune de soutien à la croissance et à l’emploi, ou encore accentuer l’harmonisation de nos politiques économiques et fiscales à l’échelon européen.

Par exemple, la proposition de directive ACCIS sur une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, qui vise à offrir la possibilité aux entreprises présentes dans plusieurs États membres de produire leurs déclarations fiscales dans un seul d’entre eux, ne réglera pas le problème fondamental que constitue la coexistence de vingt-sept systèmes fiscaux différents. Elle risque même de créer une niche fiscale supplémentaire – c’est un comble ! En effet, seules les entreprises qui y trouveront leur intérêt opteront pour ce nouveau système. Plutôt qu’à une démarche par petits pas, je suis favorable, pour ma part, à une réelle harmonisation, à l’échelon européen, de l’impôt sur les sociétés, pour éviter le développement d’une concurrence interne fondée sur un dumping fiscal très malsain.

Toutefois, cette harmonisation nécessaire ne sera vraiment possible qu’à la condition que nous parvenions à renforcer l’intégration politique de l’Union européenne. Je note d’ailleurs que, depuis quelque temps, la perspective fédéraliste européenne semble resurgir alors même que l’on n’en parlait plus guère.

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