Ce qui m’incite à faire un rappel au règlement, c’est d’entendre deux ou trois personnes discuter entre elles, sans avoir consulté ni la profession, ni le Centre national de la cinématographie, ni la commission des affaires culturelles.
On les voit arriver avec un produit fini. Pour amadouer l’opposition qui se dessine sur toutes les travées, elles daignent cependant accepter qu’on étudie un peu le cas en profondeur…
J’ai appris le dépôt de cet amendement aujourd’hui à quatorze heures : dire qu’il s’agit de l’ensemble de l’industrie cinématographique française ! Ce procédé m’apparaît d’une immense légèreté ! Pour ma part, j’y vois un mépris du sénateur de base que je suis par exemple.
Aussi comprendra-t-on que je ne puisse pas me satisfaire d’un simple retrait. L’affaire est trop grave ! Si encore on faisait preuve, dans les autres domaines, de la même exigence pour faire des économies… Mais hier, lorsque nous discutions de l’impôt de solidarité sur la fortune, je n’ai pas remarqué que les cœurs du ministre et du rapporteur général aient battu avec une telle intensité !
Je reviens de la fête du cinéma. Au moment où je suis parti, environ un millier de personnes étaient présentes. J’y ai rencontré de nombreux metteurs en scène et de nombreux comédiens. Tous sont inquiets de cette pratique du murmure, qui consiste à faire courir des bruits.
Au fond, prenant prétexte de la conjoncture, on commence à remettre en cause, avec le fonds de soutien, un acquis national né à la Libération.
On dénonce les crédits affectés : mais ceux-ci ont une existence sur le plan constitutionnel !
Cet amendement, bien qu’il ait été retiré, reviendra plus tard, peut-être revêtu d’une autre parure, mais il s’agira de la même chose : il pourra donc se voir reprocher son inconstitutionnalité.
Une question me vient à l’esprit en parlant : une partie de cette taxe affectée est prélevée sur les films américains, dont les distributeurs, depuis la Libération, acceptent que notre cinéma utilise ces fonds sans qu’ils puissent y émarger eux-mêmes. Mais si les distributeurs américains se rendent compte que cet argent passe du compte d’affectation spéciale au budget de l’État, j’imagine, parce que je connais ces gens-là, qu’ils remettront en cause l’acceptation exprimée il y a longtemps et sur laquelle ils ne sont encore jamais revenus. Nous nous trouverons alors dans une situation où, sous prétexte d’avoir voulu faire des économies – car des crédits ne sont pas utilisés, c’est vrai ! –, notre cinéma disposera de moins d’argent, mais il sera trop tard, car le coup aura été porté ! Cette question revêt donc une importance majeure.
Peut-être faut-il être aujourd’hui assez âgé pour se souvenir des conditions de création de ce fonds, des manifestations entre la Madeleine et l’Opéra. J’ai encore une grande photographie où l’on voit défiler ensemble Jean Marais et Madeleine Sologne, le couple vedette de L’Éternel Retour, Roger Pigaut et Claire Mafféi, le couple vedette d’Antoine et Antoinette, Raymond Bussières, dit Bubu… Tout ce monde-là était descendu dans la rue par centaines et a fait reculer le gouvernement d’alors !
Aujourd’hui, alors que je reviens de la Fête du cinéma, je trouve cet amendement, griffonné sur le coin d’une table. Je ne dis pas que des études très sérieuses n’ont pas été réalisées, mais elles l’ont été en catimini et tout ce qui se fait dans de telles conditions est suspect à mes yeux ! Une transgression a bien eu lieu – il existe d’ailleurs un très beau texte de Kant sur la transgression, qu’il analyse comme une remise en cause de la dignité.