Madame le garde des sceaux, je rappellerai brièvement la situation dont vous héritez, j'essaierai de démontrer les dangers, pour la société et pour l'institution judiciaire, du projet de loi que vous défendez et j'y opposerai un certain nombre de propositions, qui supposeraient évidemment que la motion tendant à opposer la question préalable fût votée.
Je commencerai donc par un premier constat : depuis cinq ans, la délinquance des mineurs mais aussi la délinquance dans son ensemble n'ont cessé d'augmenter, et ce sont les violences envers les personnes, c'est-à-dire les actes les plus graves, qui ont fait un bond spectaculaire.
C'est la conséquence éclatante de l'absence de politique d'ensemble visant à s'attaquer aux causes réelles et profondes de ce mal et à le soigner dans toute son ampleur.
Nous connaissons en France des zones où la vie des habitants est désormais insupportable, des zones qui sont devenues des secteurs de non-droit et où la présence permanente de la puissance publique s'est en grande partie évanouie. Les institutions locales, les acteurs sociaux, les enseignants se sentent de plus en plus abandonnés. Oui, il convient ici de rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui n'ont pas déserté ces territoires et s'obstinent à accomplir des missions de service public dans des conditions de plus en plus rudes !
Depuis 2002, ceux qui nous gouvernent ont, à mon sens, tout fait à l'envers : ils ont mis fin dans les villes et dans l'enseignement aux emplois-jeunes qui contribuaient efficacement à l'encadrement des enfants et des adolescents. Ils ont détruit la police de proximité par idéologie et, faute d'avoir compris son utilité, ont substitué à la surveillance, à la prévention, à la coercition, quand c'est nécessaire, des opérations coup-de-poing déclenchées sans discernement et causant de véritables ravages.
Les syndicats de police se sont d'ailleurs élevés à de nombreuses reprises contre une utilisation à contre-emploi des forces de sécurité, car les précédents gouvernements, par des contrôles au faciès à répétition et des actions intempestives, ont réussi depuis cinq ans à développer un sentiment d'exaspération dans la jeunesse et la population de nombreux quartiers. On a ainsi pratiqué des amalgames scandaleux à l'ombre desquels la délinquance n'a cessé de proliférer.
Plus la situation empirait, plus le pouvoir aurait voulu faire croire à l'opinion qu'il était indispensable. Il a demandé au Parlement depuis 2002 le vote de sept lois prétendument destinées à enrayer la montée de la délinquance. Pourquoi ce nouveau texte, alors que la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance attend toujours ses décrets d'application - mais faut-il vraiment se plaindre du ralentissement de la mise en oeuvre de cette panoplie inefficace et dangereuse ? -, alors que la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales - déjà ! - attend toujours son étude d'impact, s'il doit jamais y en avoir une ?
Depuis 2002, les gouvernements ont également fait procéder à quatre révisions de l'ordonnance de 1945 sur la justice des mineurs. Ils ont à chaque fois durci la répression, considérant avec cynisme qu'une partie de l'opinion accorderait plus de prix à une volonté de répression qu'à la prévention ou aux actions d'insertion ou de réinsertion.
Aujourd'hui, les dégâts sont considérables. Mais à peine le nouveau gouvernement est-il en place qu'il tend à persévérer dans une voie sans issue !
En examinant le présent projet de loi, nous allons voir maintenant comment, loin de tenir compte des enseignements du passé et de l'aggravation de la situation, vous entendez poursuivre la politique qui a totalement échoué, vous défaussant sur l'institution judiciaire, parent pauvre de notre République, prenant le risque évident de voir, par vos carences et par des contresens à répétition, les choses aller de mal en pis.
Ainsi, la surpopulation carcérale atteint en France des seuils jamais égalés depuis 1945. Le nombre de détenus au 1er mai 2007 dépassait 61 000 personnes. Le taux moyen d'occupation dans les maisons d'arrêt est en moyenne de 150 % avec parfois des pointes à 200 %. L'état des prisons est d'ailleurs unanimement dénoncé. L'immense majorité des détenus sont des pauvres, des hommes et des femmes en situation de précarité et d'exclusion.
M. Pierre Tournier, chercheur au CNRS, considère dans une étude récente que l'une des principales conséquences de l'établissement de peines planchers aboutirait à 10 000 détenus supplémentaires. Au bout d'un an d'application de cette loi, la population carcérale dépasserait 70 000 prisonniers. Souhaitons qu'il n'en soit pas ainsi !
Aujourd'hui, pour bénéficier d'une mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur ou de placement sous surveillance électronique, le reliquat de peine qui reste à purger pour les détenus ne doit pas être supérieur à un an. Dès lors, la plupart des peines planchers prononcées ne pourront pas être aménagées rapidement. De plus, notons aussi que la libération conditionnelle, s'agissant des condamnations prononcées en récidive, ne pourra intervenir qu'aux deux tiers de la peine et non à mi-peine.
On va donc assister de par ce projet de loi à un accroissement de l'emprisonnement des mineurs.