Intervention de Louis Mermaz

Réunion du 5 juillet 2007 à 15h30
Récidive des majeurs et des mineurs — Question préalable

Photo de Louis MermazLouis Mermaz :

Le dispositif combiné des peines planchers avec l'abaissement de l'âge auquel intervient l'excuse de minorité risque à coup sûr d'enfermer le juge dans un carcan, de le transformer en distributeur automatique de peines. Il pourra toujours, direz-vous, motiver un jugement plus clément, en prenant en compte la personnalité, le parcours du jeune lors d'une première récidive, les conditions exceptionnelles de réinsertion lors d'une seconde. Mais, du reste, que signifie cette notion vague et insaisissable de « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion » ? Encore une fois, aura-t-il le temps d'apporter à son jugement les motivations exigées, par exemple, lors des comparutions immédiates rendues plus fréquentes depuis la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance ?

Pour ce qui est des peines planchers, les gouvernements précédents et les deux gardes des sceaux qui vous ont précédée s'y sont toujours opposés.

Le 10 novembre 2006, le Premier ministre Dominique de Villepin affirmait, quant à lui, ceci : « Faut-il aller jusqu'aux peines planchers ? Je ne le crois pas. Pour qu'une peine soit efficace, il faut qu'elle soit personnalisée. »

Un parlementaire de l'UMP, M. Jean-Luc Warsmann, déclarait déjà devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, le 8 décembre 2004 : « les peines planchers sont une inspiration du droit anglo-saxon. Les instaurer reviendrait à bouleverser la philosophie du droit français, remettrait en cause l'individualisation des peines. Et ça, nous ne le souhaitons à aucun prix. »

Le code pénal en vigueur au 1er mars 1994 avait supprimé la notion même de « minimum de la peine », préférant, dans un esprit de protection des libertés, fixer plutôt un maximum.

Enfin, est-il juste d'abaisser l'âge de l'excuse de minorité quand tant de jeunes enfants ou adolescents, faute de discernement, sont soumis à la contrainte et à la manipulation par leurs aînés dans divers trafics ?

Tous les actes européens et internationaux auxquels la France a adhéré entraînent des règles qui revêtent une force juridique supérieure à notre droit interne et s'imposent donc au législateur. Il en résulte que l'enfermement des mineurs doit être l'exception, alors que vous allez accentuer par votre texte, madame le garde des sceaux, la tendance qui se dégage depuis 2002 à donner la préférence à l'emprisonnement sur toute autre mesure. À cet égard, l'ensemble des magistrats et des associations du monde judiciaire manifestent vigoureusement leur inquiétude.

Vous tendez à ignorer qu'un jeune, même âgé de seize ans à dix-huit ans, n'est pas un adulte. Il est en construction. Telle est la philosophie de l'ordonnance de 1945 prise après une longue période de barbarie. Cette ordonnance affirme à juste titre que la France a besoin de tous ses enfants. Dès lors, pourquoi abaisser en fait l'âge de la majorité pénale, même si cette mesure est hypocritement quelque peu masquée, alors que les jeunes accèdent de plus en plus tard à une véritable autonomie ?

Le comité des ministres du Conseil de l'Europe a adopté en 2003 une recommandation qui prévoit même des dispositions de procédure adaptées aux jeunes majeurs, afin de tenir compte de cette période de transition qui précède l'âge adulte.

Ainsi, avec cette loi, la France agirait à contre-courant d'une évolution humaniste et intelligente, même si, aujourd'hui, certains pays européens, nous emboîtant le pas, cèdent à la tentation du « tout-répressif ».

Pourtant, plutôt que d'empiler les textes répressifs, il conviendrait de donner au préalable à la justice et à la société les moyens nécessaires pour prévenir le mal, et pour réduire ce dernier quand il est déjà là.

Nous attendons impatiemment de connaître le budget de la justice pour 2008 et les moyens qui seront alloués à la police dans les quartiers, à la protection judiciaire de la jeunesse ainsi qu'aux éducateurs, aux services médicaux dans les prisons, à l'éducation nationale, menacée au demeurant par des milliers de suppressions d'emplois. Nous attendons également de connaître les moyens qui seront donnés aux greffes, aux magistrats, aux fonctionnaires des tribunaux et à l'administration pénitentiaire.

Nous souhaitons enfin que, lors de la révision de la carte judiciaire, vous gardiez le souci de ne pas éloigner la justice du justiciable et que vous fassiez en sorte que rien ne soit entrepris dans ce domaine sans une concertation sérieuse.

Madame le garde des sceaux, mes chers collègues, prenons conscience de tout ce qui reste à faire pour que la situation dans les prisons soit décente, qu'elle ne soit plus l'objet des critiques des institutions européennes. N'oublions pas non plus l'état de la société, le creusement des inégalités de toutes sortes, que la politique du nouveau gouvernement - du bouclier fiscal à la TVA sociale - ne fera qu'aggraver.

Le vote par le Sénat de la question préalable nous permettrait d'opposer à ce projet de loi des propositions d'une autre nature et d'une autre portée. Il nous faut d'abord connaître les moyens qui seront alloués aux budgets des ministères de l'intérieur et de la justice. Il faut non pas réduire arbitrairement le nombre d'enseignants, mais consacrer plus de moyens aux établissements scolaires des quartiers en difficulté. Il faut revenir aux emplois jeunes dans ces quartiers, rétablir la police de proximité, doter la protection judiciaire de la jeunesse de moyens qui soient à hauteur des besoins, revoir de fond en comble notre politique pénitentiaire et, là aussi, prévoir les budgets nécessaires.

Nous aurions, en effet, préféré vous voir venir devant nous, madame le garde des sceaux, pour défendre d'abord un projet de loi pénitentiaire et proposer la création d'un contrôleur des prisons. Mais vous nous avez annoncé que vous le feriez dès l'automne prochain ; nous attendrons donc.

Toutes ces décisions politiques auraient permis un traitement efficace de la délinquance, mais le présent projet de loi lui tourne le dos.

Vous avez certes habillé votre intervention de formules pleines de bonté, me rappelant la présentation faite dans cet hémicycle, en 1827, sous la Restauration, par l'un de vos prédécesseurs, le garde des sceaux Peyronnet, d'une loi dite « de justice et d'amour », qui visait en fait à détruire la liberté de la presse. J'espère que votre projet de loi ne tend pas à détruire l'indépendance judiciaire, madame le garde des sceaux !

Pour toutes ces raisons, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir voter la motion tendant à opposer la question préalable.

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