Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, vouloir honorer une promesse électorale suffit-il à justifier cette contribution à l'inflation législative et à l'alignement de la justice des mineurs sur celle des majeurs, à justifier le risque d'envoyer toujours plus d'hommes et de femmes en prison ? Telle est la question qui nous est ici posée avec ce projet de loi.
La réponse sera « oui » s'il s'agit non pas d'un ixième ravaudage du code pénal en cinq ans, mais d'un texte cohérent et complet, laissant raisonnablement espérer qu'il résistera au prochain fait divers sanglant.
La réponse sera encore « oui » si ce texte a de bonnes chances d'être efficace et si ses effets secondaires ne le rendent pas plus délétère que le mal qu'il est censé combattre.
C'est pour répondre à cet ensemble de questions complexes qu'un renvoi à la commission est nécessaire.
Ce texte est-il cohérent et complet ? Aborde-t-il la délinquance et la récidive dans leur complexité, suffisamment en tout cas pour que l'on n'y revienne pas avant la prochaine élection présidentielle ?
Les conditions de son élaboration en font douter fortement.
En effet, quatre articles visent d'abord à créer les peines planchers et à supprimer, dans certaines conditions, l'atténuation des peines pour les mineurs. Puis, après passage express en conseil des ministres, six articles qui n'ont rien à voir rendent obligatoire le suivi médical et judiciaire pour les personnes condamnées pour infractions sexuelles graves.
Comment toutes ces dispositions s'articulent-elles avec les lois précédentes, notamment avec la loi Perben II ? Qui peut le dire ?
Rappelons en particulier que, pour favoriser « l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive », la loi Perben II prévoit que « l'individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire ».
De son côté, le rapporteur rappelle que « l'efficacité de l'action contre la récidive passe aussi par une meilleure exécution des décisions de justice ainsi que par un effort accru en faveur de la réinsertion ».
Nulle trace cependant de ce souci dans le présent projet de loi, d'inspiration totalement opposée.
Ce projet est « déraisonnable », indique le président de la chambre des mineurs de la cour d'appel de Paris, Philippe Chaillou, dans un article publié dans Libération. Il aboutit à ce que des délits mineurs commis en état de récidive soient plus sanctionnés que des délits graves commis une première fois, et donne quelques exemples en la matière. J'en citerai un.
« S'il s'agit d'une troisième infraction, un mineur, âgé de seize ans et quelques jours, qui, dans le RER, aura dérobé cinq euros à un autre jeune de son lycée, en le tenant et en compagnie d'un camarade, se verra obligatoirement condamné à un minimum de quatre ans d'emprisonnement et encourra un minimum de vingt ans d'emprisonnement. » Ce même mineur de seize ans, pour un viol commis en première infraction, ne sera pas soumis à une peine plancher et encourra une peine maximale de sept ans et demi d'emprisonnement. Où se trouve la cohérence ? Où se trouve la raison ?
Mais l'erreur fondamentale de ce texte, comme des textes précédents, est de traiter la récidive comme un phénomène générique auquel s'appliqueraient des solutions générales, par ailleurs simplistes.
Or, les formes ainsi probablement que les mécanismes déclencheurs de la récidive sont très divers. Quel rapport existe-t-il entre la récidive que je viens d'évoquer, la récidive massive des jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans condamnés pour vol avec violence et celle des criminels de sang dont le taux de récidive est de 5 ? ou celle des délinquants sexuels, dont le taux de récidive est de 14 % pour les délits et de l'ordre de 1 % pour les crimes ?
Quel rapport existe-t-il entre, d'une part, des délits qui sont avant tout une activité économique - vol à main armée, trafic de stupéfiants - et sont, en tant que tels, sensibles au rapport risques/avantages et, d'autre part, les violences quasiment initiatiques de bandes de jeunes ?
Parler de délinquance sexuelle en général a-t-il même un sens ? Des spécialistes comme Xavier Lameyre en doutent.
Manifestement, il s'agit donc là d'un texte de circonstance, bâclé, qui en appellera d'ailleurs d'autres. Madame le garde des sceaux, vous avez d'ailleurs d'ores et déjà annoncé que d'autres textes étaient en préparation.
Ce texte apportera-t-il une réponse efficace à la délinquance et à la récidive ?
La commission de suivi de la récidive mise en place par votre prédécesseur, madame le garde des sceaux, aurait pu le dire à la commission des lois du Sénat, ce qui aurait probablement évité à cette dernière d'accepter aujourd'hui les peines planchers qu'elle refusait hier.
Mais nous n'avons vraiment pas de chance ! En décembre 2005, puis à nouveau en mars 2007, faute de pouvoir fournir un rapport, la commission de suivi de la récidive n'a pas pu nous éclairer. Aujourd'hui, ce rapport existe, mais il est seulement connu par des fuites dans la presse. Est-ce parce que cette commission émet des doutes sur l'efficacité des peines planchers que son rapport est toujours sous votre coude, madame le garde des sceaux ?
La commission de suivi de la récidive rappelle que les peines minimales ont existé en France et qu'elles ont été abandonnées sous la pression de la pratique. Je ne reviendrai pas sur le long mouvement qui a abouti à cette décision.
En analysant les expériences étrangères, notamment anglo-saxonnes, la commission conclut ainsi : « il n'existe pas de travaux qui aient démontré l'effet attendu de diminution de la récidive. Plusieurs études enregistrent même une augmentation de la récidive, en particulier celle des mineurs ayant commis des faits de violence grave ».
Comment peut-on croire, comme vous l'avez dit tout à l'heure, qu'il s'agit simplement d'une question d'information, que les récidivistes n'étaient pas informés des risques qu'ils encouraient ? Être pragmatique, comme vous le souhaitez, ce serait tenir compte de ces études et ne pas se fonder uniquement sur les rencontres que l'on peut faire ici ou là.
Il n'existe pas de travaux qui aient démontré l'effet attendu des peines planchers sur la diminution de la récidive.
Le bon sens enseigne non plus : « Dans le doute, abstiens-toi ! », mais : « Dans le doute, ne t'abstiens pas ! »
Le « principe de précaution » qui, vous l'avez rappelé ce matin, est inscrit dans la Constitution française vaut pour l'environnement, « patrimoine commun des êtres humains ». Vous nous avez dit qu'il valait aussi pour les victimes. Mais il semble qu'il ne vaille ni pour les adolescents, que vous condamnez sans rémission, ni pour les innocents injustement condamnés, pour les victimes de milliers d'« Outreau silencieux », pour reprendre l'expression de la commission parlementaire.
Plusieurs études enregistrent même une augmentation de la récidive, en particulier de celle des mineurs ayant commis des faits de violence grave. Ces derniers sont pourtant visés en priorité par le projet de loi.
Permettez-moi d'évoquer la conclusion identique de Pierre Tournier qui, s'agissant de l'usage extensif de la prison, considère que la lourdeur des peines n'est pas un gage d'efficacité : « À une exception près, le taux de nouvelle condamnation ou les taux de nouvelle condamnation à l'emprisonnement ferme sont plus élevés après la prison qu'après le prononcé d'une peine alternative. »
On entend aussi, indique M. le rapporteur, « exercer un effet dissuasif sur les délinquants d'habitude ». Mais il cite une étude canadienne établissant que « les lois sur les peines minimales obligatoires dissuadent davantage les délinquants occasionnels que les délinquants d'habitude ». Comprenne qui pourra !
« La loi sur la récidive sera contreproductive » ; tel est le titre d'un article de Sebastian Roché recensant les études étrangères les plus sérieuses sur le sujet. Peut-on être plus clair ? Cet article démontre qu'il n'y a pas de rapport entre la sévérité des peines, quelle que soit la façon de la mesurer, et l'effet sur la délinquance et sur la récidive.
« Les études disponibles sur les effets des transferts des mineurs vers une cour pour adultes - juger les mineurs comme des majeurs - ne montrent aucun effet positif. »
C'est d'ailleurs ce que confirme l'exemple de la Grande Bretagne - Le Monde a publié un article sur ce sujet voilà deux jours -, pays dans lequel l'alourdissement des peines et la quasi-suppression de la spécificité de la justice pour mineurs n'ont eu aucun résultat.
Alourdir les peines, traiter les mineurs comme les majeurs n'entraînent aucune amélioration en matière de délinquance et de récidive, au contraire. Et toutes les conversations que vous pourrez avoir avec tels ou tels délinquants n'y changeront rien, madame le garde des sceaux !
Mais que pèsent des études objectives face aux promesses électorales ? Que pèsent nos pauvres raisons et nos rêves de civilisation lorsque l'on s'adresse à l'inconscient et à la partie la plus archaïque des électeurs ?