Intervention de Patricia Schillinger

Réunion du 14 novembre 2005 à 22h30
Financement de la sécurité sociale pour 2006 — Question préalable

Photo de Patricia SchillingerPatricia Schillinger :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre collègue Jean-Pierre Godefroy, empêché, m'a chargée de défendre cette question préalable.

Il y a soixante ans naissait la sécurité sociale, fondée à la fois sur la solidarité et sur l'assurance collective. Grâce à elle, des dizaines de millions de Français échappent désormais aux aléas et aux risques majeurs de l'existence. Nous lui devons aussi, en l'espace de quelques décennies, un prodigieux bond de l'espérance de vie.

Pourtant, cet anniversaire a aujourd'hui un goût amer. Symbole de notre modèle social et de notre pacte républicain, la sécurité sociale est aujourd'hui plus que jamais menacée. Le déficit du régime général atteint 11, 9 milliards d'euros, dont plus de 8 milliards pour l'assurance maladie et, pour la première fois, les quatre branches sont déficitaires, notamment la branche accidents du travail et maladies professionnelles.

Depuis 2002, les déficits cumulés du régime général atteignent 37, 5 milliards d'euros alors que, faut-il le rappeler, le régime général était excédentaire en 2001, et ce pour la troisième année consécutive.

Les déficits cumulés depuis 2002 sous votre gouvernement représenteront bientôt une année entière de fonctionnement de l'assurance maladie. Votre politique est lourde de menaces pour notre protection sociale, car ses conséquences néfastes sur les finances de la sécurité sociale se feront sentir bien au-delà de 2007.

Ce résultat sonne à lui seul l'échec de la réforme de l'été 2004, un échec dont le Gouvernement est conscient puisque d'ores et déjà il a repoussé l'objectif de l'équilibre et que le projet de loi de financement de la sécurité sociale contient toute une nouvelle série de mesures visant à amplifier les efforts pour contenir ce déficit.

Loin d'avoir tiré les leçons de quarante mois d'échecs, le Gouvernement persiste à pénaliser toujours les mêmes et à réserver les mesures les plus injustes aux assurés sociaux et, parmi eux, aux plus fragiles.

D'ailleurs, ce projet de loi de financement de la sécurité sociale est désavoué par toutes les instances et organisations concernées. Faut-il vous rappeler les avis négatifs de la CNAM, de la CNAV, de l'ACOSS, des mutuelles et des syndicats ? Quant à la CNAF, elle a pour sa part émis un « avis partagé ».

Voilà pourquoi il y a lieu de voter cette question préalable.

Mes collègues ont déjà mentionné les mesures les plus injustes et les plus anti-sociales de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.

En 2005, les assurés sociaux ont déjà dû supporter une franchise - pour l'instant fixée à 1 euro - sur les consultations médicales ainsi qu'une hausse du forfait hospitalier de la CSG et de la CRDS.

En 2006, ils supporteront bien pire.

En premier lieu, une franchise de 18 euros est prévue pour les actes lourds d'une valeur supérieure à 91 euros. C'est la première fois que l'on porte atteinte au principe fondamental de la sécurité sociale selon lequel les soins coûteux doivent être totalement pris en charge. Jusqu'à aujourd'hui, les tickets modérateurs et autres franchises ne portaient que sur des soins peu coûteux, avec l'idée d'une responsabilisation des assurés. Or cette nouvelle franchise concerne des soins qui ne résultent jamais d'un choix du patient mais toujours d'une prescription médicale, souvent impérative.

L'assujettissement des plans d'épargne logement aux prélèvements sociaux par anticipation est lui aussi prévu, ainsi que la suppression de la majoration de 1, 9 % des indemnités journalières maladie au-delà du sixième mois, que la gauche avait instituée en 1998 pour compenser l'augmentation de la CSG sur ces indemnités journalières.

L'exportabilité du minimum vieillesse serait supprimée, alors que l'ordonnance du 24 juin 2004 simplifiant le minimum vieillesse avait maintenu au moins un étage exportable. Cette mesure touche principalement d'anciens travailleurs maghrébins rentrés au pays.

Il en est de même concernant le renforcement des conditions de résidence désormais exigées pour toucher ce minimum vieillesse.

Enfin, je citerai l'augmentation de la contribution des mutuelles au fond de financement de la CMU complémentaire, ainsi que l'intégration des aides au logement dans les ressources prises en compte pour l'ouverture des droits, qui risque d'amener 60 000 personnes à ne plus bénéficier du dispositif.

Quant à votre politique du médicament, elle devient la variable d'ajustement d'une régulation financière. A ce stade, je me contenterai de dire que nous ne sommes pas favorables à la généralisation du TFR, le tarif forfaitaire de responsabilité, qui fait reposer sur l'assuré le surcoût du princeps.

Une fois de plus, le ratio entre les efforts demandés aux professionnels et les sollicitations dont les assurés sociaux sont l'objet est défavorable à ces derniers. On peut estimer que le rapport est de un à trois !

Progressivement, une médecine à deux vitesses s'installe dans notre pays. Cette situation annonce pour l'avenir d'autres reculs et d'autres inégalités. Elle préfigure des charges toujours plus lourdes pour les générations futures.

La démographie médicale est un problème présent et à venir, monsieur le ministre : est-il normal qu'une agglomération de 100 000 habitants - de la taille de Cherbourg, par exemple - n'ait pas de pédiatre ? De nombreux exemples illustrent cette disparité de répartition des professionnels de santé sur notre territoire.

L'égal accès aux soins sur tout le territoire est un défi majeur, et les mesures financières incitatives prises jusqu'à maintenant ne suffiront pas pour régler ce problème. Il faut être plus directif : c'est la répartition des équipements, des médecins et des spécialités qu'il faut totalement remettre à plat, la démographie médicale étant sans aucun doute le plus grand et le plus urgent des chantiers.

Les questions de la liberté d'installation et de la rémunération des médecins ne doivent plus être taboues.

Pour en revenir à la construction comptable de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, première application de la loi organique votée cet été, vos prévisions de déficit pour 2005 et 2006 ne sont pas optimistes, monsieur le ministre : elles sont mensongères ! La baisse des déficits que vous affichez n'est que fictive. Ce n'est pas le déficit qui baisse, ce sont les prélèvements qui augmentent et les remboursements qui diminuent. Quant à vos prévisions pour la période allant de 2007 à 2009, elles ne sont crédibles pour personne tant vous tablez sur des prouesses.

Une autre prouesse est la manipulation comptable à laquelle le Gouvernement se livre sur la question des exonérations de charges sociales et leur compensation. Nous avons déjà eu un long débat sur ce sujet cet été, et nous confirmons notre position : oui sur le principe, mais non sur la méthode que vous proposez via l'article 16 de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale et l'article 41 du projet de loi de finances.

Le système proposé, qui consiste à transférer à la sécurité sociale le produit d'un certain nombre de taxes - taxe sur les salaires, TVA sur les médicaments, etc. - est mauvais. Non seulement il est acquis que ces recettes fiscales seront moins dynamiques que les allégements de charges, mais il est également fort probable que le manque à gagner que subira la sécurité sociale s'aggravera irrémédiablement au fur et à mesure de la disparition quasi annoncée de certaines taxes et des allégements supplémentaires décidés chaque année.

Si compensation il doit y avoir, elle doit se faire via un prélèvement sur recettes qui permette l'équilibre.

J'en arrive à la branche accidents du travail et maladies professionnelles.

Comment ne pas s'étonner du traitement purement comptable proposé pour la branche accidents du travail et maladies professionnelles dans ce projet de loi de financement ? A peine trois articles lui sont consacrés, quatre si l'on considère l'augmentation annoncée par décret de 0, 1 point du taux des cotisations employeurs, relèvement qui apparaît incontestablement insuffisant puisque les comptes de la branche restent présentés avec un déficit de 200 millions d'euros en dépit du principe d'équilibre posé par l'article L. 242-5 du code de la sécurité sociale.

On retire de ce texte l'impression qu'il ne se passe rien, alors même que les rapports et les ouvrages traitant des questions relevant de cette branche se multiplient - le rapport de la mission commune d'information du Sénat sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante entre autres - et que la situation s'aggrave de jour en jour sur le front des maladies professionnelles.

Vous le savez, monsieur le ministre, chers collègues, l'amiante est à l'origine de 35 000 décès depuis 1960 et est susceptible de faire au moins 100 000 victimes supplémentaires dans les années à venir. Dans les vingt prochaines années, ce sont entre 27 milliards et 37 milliards d'euros que nous devrons consacrer à la prise en charge et à l'indemnisation des victimes et de leurs familles. Le problème de financement qui se pose à nous est crucial pour l'avenir. Dès aujourd'hui, nous prenons du retard.

Pourquoi ce projet de loi de financement de la sécurité sociale ne prévoit-il que 365 millions d'euros de ressources pour le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, le FIVA, alors que les besoins sont estimés à au moins 450 millions d'euros pour l'année prochaine ?

Ces moyens sont d'autant plus restreints que le barème d'indemnisation, voté par le conseil d'administration grâce aux voix du MEDEF, est jugé incohérent et beaucoup trop faible par l'ANDEVA, l'Association nationale des victimes de l'amiante, dont les juristes conseillent souvent le recours au tribunal des affaires de sécurité sociale ou la contestation de la décision du FIVA devant la cour d'appel.

Il résulte de cette situation une explosion des indemnisations lorsque la faute inexcusable de l'employeur est démontrée.

L'indemnisation d'un mésothéliome peut varier selon un rapport de 1 à 36, mais aussi selon le ressort de la cour d'appel. La charge financière de ces indemnisations obtenues devant les tribunaux revient alors le plus souvent à la collectivité, le FIVA ne parvenant pas à se faire rembourser par les employeurs les sommes versées, faute notamment des personnels suffisants au sein de son service contentieux.

La situation du FCAATA, le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, n'est pas vraiment meilleure.

Depuis la mise en place du dispositif, le taux annuel moyen d'évolution des charges du fonds est deux fois supérieur à celui de ses produits. Les comptes pour 2003 et 2004 se sont soldés par un déficit, et les réserves du fonds sont aujourd'hui quasiment nulles. Face à la progression importante et continue du nombre de bénéficiaires de l'ACAATA, l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, et du poids du fonds, certains proposent d'en restreindre l'accès, notamment en le réservant aux seuls salariés malades. La mission du Sénat s'est prononcée très clairement contre une telle proposition et je vous mets en garde, monsieur le ministre, contre cette tentation.

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