Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voici parvenus au terme de la procédure législative concernant le projet de loi relatif au Grand Paris, procédure marquée par le souhait du Gouvernement d’aller vite, la procédure accélérée ayant été engagée. Rien ne le justifiait pourtant, si ce n’est la volonté présidentielle.
Malgré nos appels répétés à prendre le temps de bâtir un échange constructif – nous aurions souhaité une seconde lecture dans chaque chambre pour un projet de loi d’une telle ampleur –, vous avez fait le choix inverse, monsieur le secrétaire d’État. Nous le regrettons, comme nous regrettons que vous ayez passé outre au résultat des élections régionales, lesquelles ont été marquées par la victoire d’une majorité de gauche portant une autre exigence et d’autres valeurs pour la région capitale et pour son avenir.
Au pas de charge, vous avez fait adopter par les parlementaires un projet de loi toujours fortement décrié par les élus, par les associations et par les syndicats, mais également par les architectes de l’atelier international du Grand Paris, comme en témoigne la récente tribune de Jean Nouvel dans Le Monde.
Force est de constater que ce n’est pas de bon augure pour mener à terme un projet qui se veut structurant pour les vingt années à venir.
Nous n’avons pourtant eu de cesse de vous le répéter : un projet urbain, pour être viable, doit non seulement être co-élaboré par les différents acteurs, mais doit également recueillir l’adhésion des populations.
Une intervention étatique que je qualifierai d’autoritaire, comme celle que vous proposez par le biais de la Société du Grand Paris, est l’expression d’une vision étriquée et « ringarde » de l’action publique en termes d’aménagement du territoire.
Cette conception, dont l’histoire nous a montré qu’elle aboutissait à des non-sens urbains – je pense notamment au développement des villes nouvelles –, ne saurait être porteuse d’avenir.
Sur le fond, je me dois de revenir sur le sens du projet de loir relatif au Grand Paris ainsi que sur l’ambition qu’il porte pour la métropole.
À l’évidence, les débats que nous avons eus dans l’hémicycle il y a sept semaines n’ont pas permis de combler les lacunes que nous pointions du doigt dès le départ. La commission mixte paritaire qui s’est tenue la semaine dernière n’y est pas parvenue non plus.
Deux points majeurs n’ont pas évolué : le principe de gouvernance pour la métropole en termes d’aménagement du territoire ; la réalisation du Grand huit et ses principes de financement.
Certains voient dans la Société du Grand Paris la configuration institutionnelle embryonnaire de la métropole ; quoi qu’il en soit, il n’aura échappé à personne qu’elle sera avant tout, voire uniquement, le bras armé de l’État en Île-de-France pour modeler le territoire selon des préceptes libéraux.
En effet, le développement urbain et économique de la région proposé au travers de ce texte repose sur l’organisation d’une ségrégation urbaine et sociale, grâce à une valorisation foncière autour de pôles de compétitivité spécialisés définis sur le tracé du Grand huit.
Pourtant, la spécialisation des territoires est une voie sans issue, surtout quand elle repose essentiellement sur une offre de services indépendante de toute ambition industrielle.
Voilà que les principes d’égalité et de solidarité volent en éclats dans la région capitale, ce qui contribuera immanquablement au refoulement organisé des couches populaires au-delà d’un nouveau périphérique. Nous ne pouvons l’accepter.
La commission mixte paritaire a enfoncé le clou en adoptant deux amendements présentés par les rapporteurs. Le premier visait à élargir le champ d’intervention de la Société du Grand Paris au sein des communes qui n’auront pas signé de contrat de développement territorial dans un périmètre de 400 mètres. Le deuxième visait à étendre le champ de la taxe sur la valorisation foncière autour des gares en créant une zone intermédiaire entre 800 mètres et 1 200 mètres.
Cette valorisation foncière est le cœur du projet de loi relatif au Grand Paris, puisque c’est elle qui permettra de financer la Société du Grand Paris et donc le Grand huit.
Nous contestons très fermement de telles dispositions, qui ont pour ultime objet d’exercer une sorte de chantage sur les collectivités afin de les contraindre à signer un contrat de développement territorial sous peine de subir la loi de la Société du Grand Paris et de l’État. Pour ma part, ce n’est pas le sens que je donne au mot « partenariat » !
Bien évidemment, pour contrer le reproche que nous vous adressons de céder à l’autoritarisme et à un sentiment de défiance envers les collectivités, vous ne manquerez pas de nous opposer la tenue d’un débat public.
Certes, il est heureux que des débats publics puissent encore être organisés dans notre pays lorsqu’il est question de projets d’aménagement structurants. Mais, au final, qui décidera sinon la Société du Grand Paris ? Et elle ne sera pas liée par cette consultation… Indéniablement, un mécanisme de prise de décisions autoritaire est à l’œuvre.
Toutes ces logiques intègrent parfaitement la réforme des collectivités territoriales, dont le sens profond est à rechercher dans un assèchement des espaces de démocratie de proximité qui s’accompagne d’une perte de compétences, mais également d’une perte de ressources.
Le projet de loi relatif au Grand Paris s’inscrit pleinement dans cette démarche ; les collectivités visées sont tout autant la région que les départements et les communes.
Lors des discussions en commission mixte paritaire, il a été mis fin au suspens insoutenable sur le débat public lié au projet Arc Express.
Comme nous l’avons souligné à plusieurs reprises en séance publique, la suppression pure et simple du débat public sur un projet concerté et dont les financements sont déjà actés était une décision irresponsable.
Faut-il répéter que le projet Arc Express correspond à de véritables besoins de déplacements inter-banlieues ? Il n’est pas hypothétique, mais il est concret et nécessaire, et il constitue une véritable avancée.
Certes, la version du texte qui nous est proposée aujourd’hui comporte une avancée. Toutefois, elle ne peut totalement nous satisfaire puisqu’il est mentionné que les deux débats publics sur le projet Arc Express et sur le Grand huit seront lancés conjointement. Cela signifie, en creux, que ce qui pourrait être discuté lors du débat public, c’est moins le projet Arc Express en lui-même que son opportunité face au Grand huit !
On entend souvent dire, monsieur le secrétaire d'État, que ces deux projets sont compatibles à 60 %, à 70 %, voire à 90 %. Pourquoi ne pas faire un effort pour les rendre compatibles à 100 % ? Voilà qui constituerait une réelle avancée sur le chemin d’une coopération réalisée en bonne intelligence !
Aucun débat public ne peut masquer l’exigence d’un consensus réel entre les différentes collectivités territoriales concernées : État, région, communes et Ville de Paris. Or c’est précisément ce qui fait défaut à ce projet.
De la même manière que le capitalisme ne pense les rapports qu’en termes de dominants et de dominés, la question institutionnelle n’est abordée dans ce projet de loi que sous l’angle de la contrainte et du rapport de force.
Il ne faut pas penser la région contre l’État, ou vice-versa, mais il faut penser la région, l’État et les autres collectivités comme différents échelons au service de la population, donc de l’intérêt général.
C'est la raison pour laquelle nous avions proposé l’instauration d’un conseil d’administration tripartite composé de représentants de l’État, d’élus locaux et de représentants de la société civile dans des proportions équivalentes, de manière à garantir la prise en compte de l’intérêt commun. Vous avez balayé cette proposition d’un revers de la main.
Cette attitude illustre votre conception de l’exercice du pouvoir. Cela dit, pourquoi, comment réaliser un Grand huit ? Surtout, à qui profitera-t-il ou plutôt à qui profiteront les terrains autour des gares du Grand huit ? Car, je tiens à le préciser de nouveau ici, la création d’un métro automatique n’est pas, en soi, ce qui nous pose problème.
En tout état de cause, force est de constater que ce projet ne répondra pas aux nombreux besoins des Franciliens, alors même que la richesse de la région capitale est d’abord à rechercher dans ses habitants.
La satisfaction des besoins passe, bien évidemment, en matière de transport, par une amélioration de l’existant ainsi que par un maillage cohérent et régulier de l’ensemble du territoire francilien, objectif qui ne peut être atteint en réalisant une rocade de 130 kilomètres de long dont la faisabilité technique ne nous a jamais été démontrée !
Mais il ne faudrait pas oublier les autres secteurs où l’intervention publique est défaillante, faute de financements étatiques adéquats. Je pense notamment au secteur du logement : vous promettez la construction de 70 000 logements, mais vous ne fournissez aucune garantie d’une réelle mixité sociale. Là encore, nous avons formulé de véritables propositions : elles n’ont pas été prises en compte, mais nous continuerons à les défendre dans le débat public !
J’y insiste à nouveau, il faut que les contrats de développement territorial permettent d’atteindre l’objectif de 20 % de logement sociaux fixé par la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU. De plus, il faudrait, comme nous l’avions préconisé, renforcer les missions de l’établissement public foncier, afin de lui permettre de jouer son rôle de portage foncier pour les collectivités et d’inscrire concrètement la mixité sociale en Île-de-France.
Je ne cesse de le répéter : nous n’exprimons pas d’opposition de principe à l’intervention de l’État en Île-de-France, ni au Grand huit. Mais convenons que cette intervention s’inscrit dans le cadre d’un désengagement total de l’État des politiques publiques. À l’inverse, pourquoi l’État ne prendrait-il pas toute sa place au sein du Syndicat des transports d’Île-de-France, le STIF, au lieu de vouloir le contourner d’une manière qui nous semble inacceptable ? Pourquoi de véritables budgets ne seraient-ils pas affectés à la politique de la ville ou aux transports ? Pourquoi ne pas revoir la suppression de la taxe professionnelle, qui prive les collectivités locales de leviers d’intervention pour développer un service public de qualité ?
Vous le voyez, mes chers collègues, trop de questions restent sans réponse. Mais je ne m’en étonne pas, car elles n’entrent pas dans le schéma de pensée du Gouvernement, ni, par conséquent, dans le projet du Grand Paris tel qu’il nous est présenté.
Ce projet achève aujourd’hui sa course parlementaire. Pour autant, ces questions vont demeurer et elles seront forcément posées dans le cadre du débat public. Ce vote n’est donc qu’une étape sur un chemin encore très long.
Pour terminer, je veux émettre à nouveau des doutes sur la capacité de financement réelle de l’État pour réaliser ces nouvelles infrastructures. La dotation de 4 milliards d’euros ne suffira pas à financer le Grand huit et les taxes créées pour son fonctionnement n’apporteront les subsides escomptés qu’en cas de développement économique avéré. Au regard de la crise que nous traversons et des politiques d’austérité que vous menez et que vous annoncez, vos prévisions conservent un caractère largement incantatoire.
Vous l’aurez compris, parce que ce projet de loi ne répond pas à toutes ces questions et que, bien au contraire, il cède la place de l’intervention publique aux bétonneurs et aux spéculateurs, nous continuons et nous continuerons à nous y opposer de la manière la plus ferme.
J’achèverai mon propos en soulignant la qualité des travaux de notre commission spéciale, réalisés sous la houlette de son président et de son rapporteur, mais également grâce aux personnels qui nous ont accompagnés.