Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen du projet de loi relatif au Grand Paris, un texte qui a suscité des débats vifs et passionnés, ici au Sénat, à l’Assemblée nationale, mais également au sein des collectivités locales concernées.
Depuis plusieurs mois, les élus franciliens se sont fortement mobilisés pour exprimer leurs attentes, leurs interrogations et finalement, pour beaucoup d’entre eux, leur déception. Cette déception, la plupart de mes collègues du RDSE et moi-même la partageons.
Le principe d’une attention spécifique portée à Paris et sa région nous semblait, au départ, une bonne initiative. Conscients du potentiel économique d’une capitale, nous comprenons bien la nécessité de dynamiser celui-ci dans l’espoir d’un effet d’entraînement bénéfique pour le reste du pays.
Concentrant près de 30 % du produit intérieur brut national, l’Île-de-France joue un rôle moteur indéniable. Avec sept gares de TGV, deux grands aéroports, un axe fluvial majeur, la région francilienne dispose également d’une situation de carrefour exceptionnelle.
Tous ces atouts permettent à Paris de faire partie du club très fermé des quatre premières villes-monde, aux côtés de New York, Londres et Tokyo. Mais pour combien de temps encore ? Depuis quelques années, la ville est rattrapée par des capitales européennes de plus en plus attractives, comme Madrid ou Berlin, et par des agglomérations asiatiques à la croissance spectaculaire, comme Shanghai, Pékin ou Bombay.
Aujourd’hui, Paris accuse un retard de deux points de croissance par rapport aux autres capitales. Il était donc important de réagir afin de lui offrir de nouvelles capacités de développement.
Malheureusement, le projet de loi relatif au Grand Paris ne me semble pas en mesure de répondre à ce défi. Comme j’ai eu l’occasion de le dire, le 6 avril dernier, lors de la discussion générale, le texte appelle de nombreuses réserves, dont la plupart n’ont pas été levées par la commission mixte paritaire réunie la semaine dernière.
C’est regrettable, mais ce n’est pas étonnant au regard des conditions dans lesquelles le projet de loi a été élaboré, puis examiné.
Ainsi, souvenons-nous qu’en amont la consultation des élus franciliens a été réduite au strict minimum. Le maire et le Conseil de Paris n’ont eu que quelques semaines pour donner leur avis sur un projet de loi pourtant très important pour les Parisiens. Pour notre part, la procédure accélérée nous a privés d’un débat d’une durée à la hauteur des enjeux.
Il s’agit tout de même d’un texte engageant l’avenir d’une ville et de sa région sur vingt-cinq ou trente ans ! Projeter un chantier aussi pharaonique sans donner le temps de la concertation aux acteurs concernés et le temps de la réflexion aux parlementaires est déraisonnable. Nous sommes nombreux sur ces travées à avoir regretté cette méthode, et pas seulement du côté de l’opposition. Certains élus de votre majorité, monsieur le secrétaire d’État, n’ont pas caché leur malaise.
Il résulte de ce manque de temps un projet de loi imparfait. La commission spéciale, dont je salue le travail, a tenté de l’améliorer sur de nombreux aspects, sans toutefois parvenir à le rendre très convaincant. De plus, la plupart des amendements de l’opposition, avant tout motivés par le souci de rendre de la cohérence au projet du Grand Paris, ont connu un sort funeste.
À l’issue du processus législatif, nous obtenons donc un texte qui a toujours les mêmes défauts : il est autoritaire, aléatoire et incomplet. Le constat est sévère, chers collègues, mais il n’est que le reflet d’un travail au cours duquel, comme je le disais à l’instant, le dialogue a fait cruellement défaut.
Pourquoi un texte autoritaire ? Le 29 avril 2009, au Palais de Chaillot, le Président de la République avait évoqué un véritable partenariat avec les collectivités locales. Or, je le répète, la concertation n’a pas prévalu avec les élus locaux ni même d’ailleurs avec les architectes.
Monsieur le secrétaire d’État, alors que vous écrivez dans votre livre Le Grand Paris du xxi e siècle que « l’équilibre entre complexité et harmonie nécessitera tout le travail de nos architectes et urbanistes », alors que la lettre de mission du Président vous commandait d’intégrer les propositions des architectes pour le développement francilien, élaborées dans le cadre de la consultation internationale lancée par l’État avec le concours financier de la Ville de Paris, celles-ci ont été écartées.
On voit ainsi émerger un projet se résumant à la création d’une rocade de métro automatique et au développement du plateau de Saclay.
Pour mettre en œuvre cette ambition, vous avez choisi de créer la Société du Grand Paris et d’accorder une place prépondérante à l’État au sein de son conseil de surveillance, tenant ainsi à distance les élus franciliens, alors même que des pans entiers de leur territoire vont être bouleversés.
Vous avez fait le choix de reléguer le STIF au second plan, un organe pourtant compétent et légitime pour l’organisation des transports en Île-de-France. Vous avez en revanche créé les conditions permettant de lui faire supporter le coût de l’exploitation.
Tout cela irrite les élus franciliens, qui se sentent dépossédés des décisions, mais qui sont bien conscients de devoir en supporter les conséquences, notamment financières.
Le procédé est d’autant plus choquant que les élections régionales ont reconduit une majorité porteuse de propositions très attendues par les habitants de la région parisienne : la modernisation du RER, la « désaturation » de la ligne 13 du métro, le prolongement de la ligne EOLE sont quelques-unes des priorités dégagées par les élus et pour lesquelles les financements ont déjà été mobilisés. Avant tout, un important travail a été engagé par la région pour la création de l’Arc Express, point sur lequel la commission mixte paritaire est heureusement parvenue à un compromis.
Au regard des résultats obtenus par la liste qu’il a conduite, il semble que les Franciliens fassent confiance à la vision proposée par Jean-Paul Huchon pour leur région.
Le texte relatif au Grand Paris pose problème en termes de démocratie, en ce qu’il vient se superposer autoritairement à des projets en cours, et des projets légitimes. Mes chers collègues, au sein de l’organisation décentralisée de la République, la région parisienne est visiblement destinée à subir un régime d’exception que la commission mixte paritaire n’a pas réussi à atténuer. Le système de gouvernance du Grand Paris demeure problématique et fortement recentralisateur.
J’ai également qualifié ce texte d’aléatoire, car, à mes yeux, la question du financement n’est pas réglée.
Cet aspect, pourtant fondamental, reste très flou pour un projet qui nécessitera toute de même la coquette somme de 21 milliards d’euros d’investissements. Au cours des débats, nous attendions donc des réponses, des garanties.
Dans le contexte d’un endettement public préoccupant, est-il bien raisonnable de lancer ce projet, concurrent de projets déjà existants ? Le Gouvernement compte notamment sur la valorisation foncière et immobilière dégagée à terme aux abords des gares de la rocade. Tout cela est bien hasardeux, car cela suppose la réussite du projet. Or la crise économique s’installe, hélas ! durablement. La prévision de 60 000 emplois qui, selon vous, devraient être créés grâce à la valorisation de la rocade et du plateau de Saclay, soit le double du nombre actuel de création de postes, me paraît bien optimiste, pour ne pas dire surréaliste.
Enfin, j’ai parlé d’un texte incomplet.
Le discours du Palais de Chaillot proposait de jeter les bases d’une véritable dynamique métropolitaine, ouverte, durable, solidaire. Pourtant, à ce stade, rien n’est prévu pour garantir la qualité de vie dans les futurs quartiers.
La dimension environnementale, pratiquement inexistante dans le projet initial, a été ajoutée au cours des débats, au détour de quelques articles mentionnant le développement durable. Soit ! La protection d’une zone naturelle à usage agricole sur le plateau de Saclay a été actée. Mais tout cela demeure bien faible au regard de l’urgence écologique.
S’agissant du volet relatif au logement, là aussi la déception est grande. Si le Sénat a ajouté, à l’article 1er, sur proposition de la commission spéciale, un objectif de production de 70 000 logements, rien n’est prévu pour réduire la fracture sociale. Ce n’est pas le préfet qui résoudra, à lui tout seul, le problème du manque de logements en Île-de-France !
Au bout du compte, ce texte reflète une vision parcellaire de la métropole de demain, très éloignée des objectifs de l’après-Kyoto et de la nécessaire solidarité territoriale.
Mes chers collègues, de nombreux outils existaient déjà pour développer la métropole parisienne. Paris Métropole avait ouvert la voie à une ambition fondée sur le dialogue avec les élus, les Franciliens et tous les acteurs publics et économiques soucieux de conserver à leur agglomération le titre de ville-monde. Le projet de loi a le grand défaut de balayer tout ce travail et de ne pas s’articuler avec l’existant.
Si quelques amendements adoptés par le Sénat ont rétabli, ici et là, un peu de cohérence, le texte définitif ne laisse pas entrevoir la possibilité d’un projet véritablement structurant. La plupart des radicaux de gauche et la grande majorité des membres du RDSE n’approuveront pas les conclusions de la commission mixte paritaire.