Monsieur le secrétaire d'État, au terme de nos travaux sur le projet de loi relatif au Grand Paris, force est de constater que votre vision du plateau de Saclay reste inchangée. Votre projet ne prend pas en compte les réalités locales, les besoins des populations, les propositions formulées par les élus. La plupart des amendements que nous avons déposés ont été rejetés.
De nombreuses inquiétudes persistent donc sur l’avenir du plateau de Saclay, alors que, depuis maintenant une quarantaine d’années, ce dernier fait l’objet de l’attention des pouvoirs publics, qui souhaitent en faire un cluster scientifique.
Plusieurs grandes écoles s’y sont implantées, rejointes par l’université Paris-Sud 11, des organismes nationaux de recherche et des entreprises appartenant à de grands groupes. Le projet pour le plateau de Saclay, érigé en technopole, ne traduit cependant pas l’ambition initiale de favoriser les synergies et les coopérations entre les diverses entités déjà installées.
Pourtant, des dispositifs de soutien aux différentes activités ont été superposés, notamment depuis les années 2000 : réseaux thématiques de recherche avancée, pôles de recherche et d’enseignement supérieur, opération d’intérêt national, plan Campus et, plus récemment, le grand emprunt.
Aujourd’hui, le Gouvernement propose d’ajouter à ces dispositifs un établissement public aux compétences très étendues, dépassant le cadre traditionnel de celles d’un aménageur. En effet, il aura pour mission de mettre en synergie les différents acteurs du plateau selon une vision économique, y compris en intervenant dans les choix d’orientation scientifique et de recherche.
Cet intérêt des pouvoirs publics pour le plateau de Saclay est compréhensible, eu égard au potentiel unique de celui-ci. Cependant, le projet du Gouvernement est-il de nature à répondre aux forts enjeux, non seulement scientifiques et économiques, mais également urbains, sociaux ou environnementaux, liés à l’aménagement du plateau ? Nombre d’élus, de chercheurs, d’enseignants, de salariés, d’associations et de citoyens pensent le contraire.
S’agissant tout d’abord des enjeux scientifiques, technologiques et économiques, la priorité consiste selon nous à repenser la coopération dans ces domaines en associant les différents acteurs concernés. Or le Gouvernement, s’appuyant sur le modèle de la Silicon Valley, qui nous semble aujourd’hui dépassé, de concentration d’établissements, propose que cette coopération soit pilotée par un établissement public, de façon technocratique. Le modèle et la méthode retenus s’avèrent à nos yeux inadaptés aussi bien au territoire concerné qu’à notre époque, caractérisée par des moyens de communication modernes et rapides.
L’objectif du Gouvernement n’est donc pas celui, affiché, de créer des synergies entre les différents acteurs du plateau. Il s’agit, en fait, de créer un pôle de formation des élites et de compétitivité économique, avec, en toile de fond, la déconstruction du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Ce mouvement est déjà amorcé, notamment avec le projet de déménagement des laboratoires de recherche de l’université Paris-Sud 11 sur le plateau, les étudiants des premiers cycles restant eux dans la vallée, où les locaux sont vétustes. Ces laboratoires de recherche rejoindront ainsi les grandes écoles, regroupées par ailleurs dans la structure ParisTech. Mais surtout, ils seront à disposition des grands groupes et des entreprises privées et, de fait, soumis aux orientations d’un établissement public, subordonnées à des projets à court terme et à visée purement économique. L’université se trouvera, quant à elle, cantonnée à un rôle subalterne de formation de masse, et le lien entre enseignement supérieur et recherche sera définitivement rompu.
Ce projet inquiète non seulement les enseignants-chercheurs de l’université Paris-Sud 11, qui y voient la fin de leur université, mais également les salariés des entreprises industrielles, déjà victimes de délocalisations dans le secteur de la recherche et du développement.
Par la suite, le plateau de Saclay, pôle de compétitivité, accueillera tout naturellement une gare du futur métro automatique. Mais ce choix correspond-il aux enjeux urbains, sociaux, environnementaux ou relatifs aux transports ? Là encore, la réponse ne peut être que négative. Tout indique que l’urbanisation du plateau sera « pensée » à partir de cette gare. Dans ces conditions, elle dépendra inévitablement d’intérêts marchands, au lieu d’être articulée autour d’un schéma territorial cohérent prenant en compte l’ensemble des besoins des populations habitant et travaillant sur le plateau.
Ces décisions s’imposeront aux élus et aux populations. Elles favoriseront la spéculation immobilière dans les zones aménagées autour de la nouvelle gare, cette spéculation étant d’ailleurs l’une des sources de financement que vous envisagez, monsieur le secrétaire d'État, pour la desserte du plateau de Saclay comme pour l’ensemble de votre projet.
Les conséquences de la création de ce métro automatique seront lourdes. Non seulement la spéculation foncière qu’engendrera sa réalisation rendra inaccessibles aux familles modestes les logements autour des gares, mais elle reportera de surcroît, voire neutralisera, les projets d’amélioration des réseaux de transport existants, alors qu’il manque 5 milliards d’euros pour moderniser les lignes B et C du RER, aujourd’hui saturées, et qu’il faudrait renforcer les dessertes locales du plateau.
Il est vrai, le plateau de Saclay dispose d’un fort potentiel dans les domaines de la recherche, de l’enseignement supérieur et de l’innovation, qui ne peut cependant être valorisé si la recherche est soumise à des intérêts financiers privés. Les enjeux sont multiples et interdépendants. La coopération scientifique et économique ne peut être repensée sans prise en compte des questions d’urbanisation, des moyens de transports à disposition des habitants et des salariés et de la dimension environnementale propre à ce territoire. Une urbanisation non maîtrisée menacera la richesse agricole et le réseau hydrographique du plateau. L’adoption de quelques amendements relatifs à ces sujets par le Sénat, dont deux avaient été déposés par mon groupe, ne suffit pas à nous rassurer définitivement sur l’avenir environnemental du plateau.
Monsieur le secrétaire d'État, pour toutes ces raisons, nous ne pouvons approuver votre projet relatif au plateau de Saclay. Votre vision nous semble dépassée. Le mode de gouvernance proposé assure la prédominance de l’État, en dépossédant l’ensemble des partenaires locaux : élus, habitants, chercheurs, salariés, syndicats ou associations. Ce projet ignore les besoins actuels des populations qui vivent et travaillent sur ce territoire. Les membres du groupe CRC-SPG s’y opposent donc sans ambiguïté et voteront contre les conclusions de la commission mixte paritaire.