Intervention de Christian Cointat

Réunion du 12 mai 2011 à 21h30
Collectivités de guyane et de martinique — Article 6, amendement 144

Photo de Christian CointatChristian Cointat, rapporteur :

Avec l’article 6 du projet de loi, nous en arrivons au principal point de débat entre la commission des lois et le Gouvernement. Je souhaite donc rappeler, en préambule, un certain nombre d’éléments pour éclairer le Sénat.

Dans sa version initiale, le projet de loi organisait le mode de scrutin de l’Assemblée de Guyane et de l’Assemblée de Martinique selon le principe d’une circonscription unique découpée en plusieurs sections, sur le modèle de l’élection des conseillers régionaux. Le découpage des sections et la fixation du nombre de candidats par section étaient renvoyés à un décret, option fondée sur une analogie, à notre sens erronée, avec le découpage des cantons, qui relève du pouvoir réglementaire par dérogation avec le droit général en matière de découpage électoral.

Pour justifier son analogie, le Gouvernement invoque l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative à la procédure de modification des circonscriptions administratives territoriales. Cette ordonnance, antérieure à 1958, donne au pouvoir réglementaire compétence pour fixer les limites des cantons en tant que subdivisions administratives, ce qu’ils étaient à l’époque. Les cantons étant aussi des circonscriptions électorales, le pouvoir réglementaire pouvait de ce fait procéder au découpage des circonscriptions électorales cantonales.

Lorsque le Gouvernement dit que l’ordonnance du 2 novembre 1945 n’a pas été déclarée contraire à la Constitution, il a raison, mais le Conseil constitutionnel, explicitement saisi de cette question en 1986, a très exactement statué qu’« il n’y a pas lieu pour [lui] de rechercher si les dispositions de portée générale de l’article 34 de la Constitution définissant le domaine de la loi ont eu une incidence sur les habilitations consenties au profit du Gouvernement par des lois spéciales antérieures et si, en conséquence, l’article 3 de l’ordonnance n° 45-2604 du 2 novembre 1945 a été abrogé » ; il ne s’est donc pas prononcé sur le fond.

J’insiste sur le fait que la compétence du pouvoir réglementaire pour la délimitation de circonscriptions électorales ne concerne aujourd’hui, de façon directe, que les cantons, et c’est en fait une exception, une dérogation. Ainsi, quand bien même les circonscriptions législatives sont, en principe mais pas toujours, le regroupement de plusieurs cantons entiers, il est bien de la compétence de la loi de délimiter les circonscriptions législatives, quitte à renvoyer à une ordonnance.

En dehors du cas particulier des cantons, qui résulte donc de règles antérieures à 1958, il n’existe aucun exemple de découpage d’une circonscription électorale directement par décret, a fortiori pour une élection au scrutin proportionnel.

Or, dans le cas de la Guyane comme de la Martinique, il est bien évident qu’il ne s’agit pas de cantons mais de sections électorales. Il n’y a aucune confusion possible. Les cantons sont la circonscription électorale des conseillers généraux, et demain des conseillers territoriaux, élus au scrutin majoritaire uninominal, ce qui ne soulève donc aucun problème, tandis que les sections électorales de Guyane et de Martinique ne sont pas des circonscriptions électorales, mais seulement des périmètres de répartition des sièges, dans le cadre d’une élection au scrutin proportionnel de liste.

L’analogie entre les sections et les cantons est donc tout à fait inappropriée. L’une concerne une élection à la proportionnelle alors que l’autre ne porte que sur un scrutin majoritaire uninominal.

En tout état de cause, la commission a considéré qu’un tel renvoi au décret méconnaissait la compétence que le Parlement tient de l’article 34 de la Constitution, qui prévoit que la loi fixe les règles concernant le régime électoral des assemblées locales comme des assemblées parlementaires, et je n’envisage pas que le Gouvernement puisse venir devant la Haute Assemblée ou devant l’Assemblée nationale pour annoncer qu’il va procéder au découpage des circonscriptions législatives par voie de décret !

Ce renvoi au décret aurait donc été, selon toute vraisemblance, censuré par le Conseil constitutionnel.

Je cite l’article 34 de la Constitution : « La loi fixe également les règles concernant : le régime électoral des assemblées parlementaires, des assemblées locales et des instances représentatives des Français établis hors de France […]. » Cette formulation même signifie bien que le législateur n’est pas moins compétent pour les assemblées locales que pour les assemblées parlementaires ou l’Assemblée des Français de l’étranger.

Cette analyse constitutionnelle repose sur plusieurs décisions claires du Conseil constitutionnel sur ce qu’il faut entendre par « régime électoral », en particulier la décision n° 86-208 DC du 2 juillet 1986 et la décision n° 99-187 L du 6 octobre 1999.

J’ai déjà cité la décision de 1999 lors de mon intervention dans la discussion générale ; je cite donc à présent celle de 1986 : « au nombre des matières ressortissant à la compétence du législateur en vertu de l’article 34 de la Constitution figure la fixation des règles concernant le régime électoral des assemblées parlementaires ; […] la délimitation des circonscriptions électorales est une composante de ce régime ».

Cette analyse constitutionnelle repose également sur plusieurs précédents non contestables : la fixation par la loi des sections départementales pour les élections régionales et du nombre de candidats de chaque section, la fixation par la loi organique du découpage des sections et du nombre de candidats par section à Saint-Pierre-et-Miquelon, et bientôt il en sera de même pour la Polynésie, avec le projet de loi organique que nous aurons à examiner.

Le fait que soient concernées des collectivités de l’article 74 de la Constitution est sans incidence : l’article 74 comme l’article 34 vise le « régime électoral » de l’assemblée locale.

Concernant l’Assemblée des Français de l’étranger, la loi du 7 juin 1982 comporte en annexe un tableau qui délimite les circonscriptions électorales et le nombre de sièges à pourvoir dans chacune d’elles.

Voilà pourquoi il appartient bien au législateur de délimiter les sections des circonscriptions électorales de Guyane et de Martinique ainsi que le nombre de candidats ou de sièges dans chaque section. Ce sont indéniablement des éléments du régime électoral des assemblées de Guyane et de Martinique.

Dans ces conditions, la commission a approuvé un projet de découpage que nous avons conçu avec Bernard Frimat lors de notre mission d’information. Que ce projet émane de la droite et de la gauche démontre qu’il n’y a pas là de problème politique.

Il n’a pas de surcroît été conçu dans le secret. Nous avons fait part à tous les élus que nous avons rencontrés qu’il appartenait à la loi de fixer le découpage des sections et le nombre de candidats ou de sièges par section. Nous leur avons donc indiqué qu’un projet de découpage serait proposé à la commission.

Dans notre projet, nous avons retenu le nombre de huit sections, car c’était celui qui était le plus communément admis et qui avait été avancé par le Gouvernement dans son étude d’impact.

Nous avons, bien sûr, beaucoup écouté les élus et toutes les personnes que nous avons rencontrées. La priorité était de garantir une représentation juste et équilibrée de tout le territoire guyanais, dans sa diversité géographique et humaine, c’est-à-dire une représentation de toutes les composantes du territoire au sens où l’entend le Conseil constitutionnel.

Il nous a très souvent été dit qu’il fallait respecter non seulement les limites des communes, mais également celles des communautés de communes existantes. Il faut savoir que l’intégralité des vingt-deux communes de Guyane fait partie d’une des quatre communautés de communes.

Compte tenu des déséquilibres démographiques entre les différents bassins de vie, amplifiés par la présence forte, voire très forte d’une population immigrée, il fallait prévoir un nombre minimum de sièges par section pour assurer une juste représentation des sections les moins peuplées. Nous avons fixé ce nombre à trois, compte tenu du système d’affectation dans chaque section d’au moins un siège résultant de la prime majoritaire sur l’ensemble de la Guyane pour qu’aucune section ne soit abandonnée par l’exécutif.

C’est un minimum proportionné. Ce minimum respecte la décision du Conseil constitutionnel n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010 sur la réforme des collectivités territoriales.

Hors ces sections au minimum, le nombre de sièges par section devait s’appuyer sur des bases essentiellement démographiques, c’est-à-dire être fonction de la population de chaque section. Les écarts de nombre de sièges par section par rapport à la moyenne ne devaient pas être supérieurs à 20 %, comme l’impose la jurisprudence du Conseil constitutionnel, rappelée dans sa décision du 9 décembre 2010, pour les sections qui ne sont pas au minimum de sièges.

Sur ces bases, la commission a approuvé un découpage des sections et une répartition par section des sièges ainsi que des sièges de prime majoritaire. Comme tout découpage, il est sans doute imparfait, c’est-à-dire perfectible, mais il est conforme en tous points à la jurisprudence la plus récente du Conseil constitutionnel en matière de découpage électoral.

Pour la Martinique le choix était plus simple. La commission a repris une idée assez largement partagée, en particulier par le Gouvernement : quatre sections correspondant aux quatre circonscriptions législatives, qui sont démographiquement équilibrées.

Hier après-midi, le Gouvernement a déposé un amendement n° 144, que la commission n’a pas pu examiner puisqu’elle s’est réunie hier matin, dans lequel il propose un découpage un peu différent de celui qui a été adopté par votre commission voilà quinze jours, mais respectant les mêmes principes.

Ce découpage respecte ainsi autant que celui de la commission les exigences posées par le Conseil constitutionnel, comme j’ai pu m’en assurer. Il est peut-être même un peu meilleur.

J’avais dit que je resterais ouvert à toute proposition dès lors qu’elle serait conforme à l’article 34 de la Constitution et, comme je l’ai déjà annoncé en commission, j’approuve donc, à titre personnel, le découpage proposé par le Gouvernement.

Je tiens à remercier le Gouvernement, et vous particulièrement, madame la ministre, d’avoir finalement entendu et compris le raisonnement constitutionnel qui a été celui de la commission : le dépôt de l’amendement n° 144 prouve les efforts considérables que vous avez bien voulu consentir dans cette recherche de l’intérêt général et d’une solution commune, et je tenais à vous en féliciter dans cet hémicycle.

Puisque nous pouvons nous retrouver sur cet amendement n° 144, je ne peux que vous inviter, madame la ministre, à retirer les amendements n° 109, 110, 111, 112 et 113, que vous aviez déposés antérieurement.

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