Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, par cette intervention sur l’article, nous souhaitons non pas nous lamenter, mais attirer solennellement l’attention de la Haute Assemblée sur le fait que le présent projet de loi est le premier texte de transposition sectorielle de la tristement célèbre directive « Bolkestein ».
En effet, alors que le titre Ier de ce texte s’intitule « moderniser la réglementation des professions du tourisme », son objet principal est la mise en adéquation de la législation nationale avec le droit communautaire, en l’espèce avec la directive sur les services.
Dans cette perspective, l’article 1er tend à supprimer le principe d’exclusivité applicable aux agences de voyage.
En outre, ce texte a également pour objet de simplifier l’organisation administrative du secteur du tourisme, ce qui revient à appliquer à ce dernier les principes de la révision générale des politiques publiques. Et je ne parle pas des amendements tendant à généraliser le travail du dimanche et sur lesquels la commission s’en est remise à la sagesse du Sénat…
Nous voyons donc bien que ce texte vise en réalité à entériner des reculs sociaux importants, au rebours de l’objectif affiché de modernisation.
Nous ne pouvons admettre ces procédés, de plus en plus récurrents, consistant à se servir de projets de loi comme de ballons d’essai pour faire passer de manière insidieuse des dispositions de portée majeure et élargir ensuite leur application aux autres secteurs de l’économie.
En particulier, nous estimons que les enjeux majeurs liés à la libéralisation totale de l’ensemble des activités humaines, y compris les services publics et les services sociaux, organisée par la directive sur les services exigent un débat politique national. Cette transposition ne doit donc pas être réalisée au détour de l’examen de projets de loi dont ce n’est pas l’objet principal.
Par conséquent, nous considérons que l’inscription du présent texte à l’ordre du jour de nos travaux n’est pas opportune dans les formes proposées.
À cet instant, je dois également rappeler que, en mai 2005, les Français avaient rejeté tout à la fois le traité constitutionnel et l’inscription du principe de concurrence libre et non faussée en tant que pierre angulaire de toute politique publique, principe qui constitue l’essence même de la directive sur les services, dans la droite ligne de l’accord général sur le commerce et les services.
Cette transposition intervient au moment où le modèle libéral, partout dans le monde, est lourdement mis en échec par la crise économique, financière et sociale que nous traversons.
Pourtant, au lieu d’agir avec le pragmatisme auquel vous nous appelez régulièrement et de vous interroger sur la pertinence de ces politiques de déréglementation et de libre circulation des capitaux, vous faites le choix d’accélérer le rythme et l’ampleur des réformes, tout en déplorant les conséquences négatives de ce système libéral.
Dans les sommets internationaux, par exemple lors du récent G 20, vous affirmez la nécessité de moraliser le capitalisme, d’encadrer et de contrôler les pratiques financières. Cependant, dans le même temps, vous poursuivez la mise en œuvre de vos politiques de déréglementation de tous les secteurs d’activité et de liquidation des services publics.
Je tiens également à rappeler que l’adoption de cette directive sur les services avait engendré de sérieux doutes et une inquiétude immense au sein du mouvement social et parmi les élus, notamment au regard du principe du pays d’origine. Ce principe permettait en effet à des entreprises de choisir librement le lieu d’implantation de leur siège social et d’appliquer la législation nationale correspondante, y compris pour les établissements situés sur le territoire d’un autre État membre.
La réapparition de ce principe, dont l’inscription avait été mise en échec lors de la discussion de la directive sur les services, au travers d’une proposition de règlement européen sur les sociétés privées européennes nous choque profondément. Nous demandons solennellement au Gouvernement d’agir, dans le cadre du Conseil européen, pour la suppression de ce principe dans ladite proposition de règlement.
Il est également particulièrement choquant de voir que la Commission réintègre par voie de règlement des dispositions qui n’ont pu trouver leur place dans une directive. L’adoption de cette proposition de règlement écarterait toute transposition par les parlements nationaux. Bel exemple de démocratie !
Ce principe particulièrement contesté permettra aux entreprises de contourner les législations les plus protectrices, notamment en termes de droits de participation des salariés. Sa mise en œuvre encouragera donc le dumping fiscal, social et environnemental, puisqu’il légitime la recherche de la baisse des coûts par le contournement des législations nationales.
Les sénateurs du groupe CRC-SPG considèrent que, actuellement, l’urgence n’est pas de transposer la directive sur les services, qui alimente un système déjà moribond. Bien au contraire, l’urgence est sociale. L’Union européenne et la France doivent prioritairement garantir les droits sociaux et les services publics, ce qui permettra la sortie de la crise et la mise en œuvre d’une autre construction européenne, fondée sur le progrès social partagé et l’harmonisation par le haut.
Cela passe, comme le demande la Confédération européenne des syndicats, par une directive-cadre sur les droits de participation des travailleurs, ainsi que par l’adoption d’une directive-cadre sur les services d’intérêt général, que nous appelons de nos vœux depuis de nombreuses années. Cela devait d’ailleurs être l’une des priorités de la présidence française de l’Union européenne. On a vu le succès qu’a connu cette entreprise…
L’Europe des marchés a fait son temps ; il est maintenant urgent de construire l’Europe des peuples, ce qui ne passe pas par l’application de la directive Bolkestein !