Intervention de Renaud Donnedieu de Vabres

Réunion du 4 décembre 2004 à 9h30
Loi de finances pour 2005 — Culture

Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur le rapporteur spécial, le ministre régalien que je suis ou que j'essaie d'être vous remercie de l'analyse très précise que vous venez de faire du budget de la culture, dans le temps imparti pour cette discussion, et qui rompt définitivement avec la morne « litanie, liturgie, léthargie » budgétaire, selon le mot d'un illustre et ancien sénateur que vous avez bien connu. Votre analyse est très approfondie dans votre remarquable rapport écrit, que j'ai lu avec beaucoup d'attention,

Avant d'entrer avec vous dans le débat et de m'efforcer de vous apporter autant de précision dans mes réponses que celle dont vous faites preuve dans vos questions, permettez-moi tout de même de rappeler que ce budget de la culture - c'est le premier que j'ai l'honneur de défendre dans cet hémicycle - est pour moi l'expression d'une politique.

Je vous citerai, au risque peut-être de vous étonner, un passage de Conseils au bon voyageur de Victor Segalen, dans son ouvrage Stèles. Il s'agit d'une très belle maxime pour les voyageurs de la culture, que je dédie à ce débat : « Ainsi, sans arrêt ni faux pas, sans licol et sans étable, sans mérites ni peines, tu parviendras, non point, ami, au marais des joies immortelles, mais aux remous pleins d'ivresse du grand fleuve Diversité ». Cet éloge à la diversité et à la navigation en haute mer est peut-être normal lorsque l'on parle du budget de la Rue de Valois.

Je voudrais tout simplement vous dire que la politique et l'aspect parfois aride des chiffres et du budget doivent être l'expression d'une vision de la culture. J'ai dit que j'étais un ministre régalien parce que nous nous faisons en France une certaine idée collective de la culture, une idée qui nous vient de l'histoire et qui a traversé les siècles avant qu'elle ne s'incarne avec de Gaulle, Malraux et la Ve République dans la création de ce ministère.

Cette idée qui est profondément enracinée - nous en sommes tous les héritiers -, quelle est-elle ? Tout simplement que la culture est une composante irremplaçable de notre identité nationale et de la vocation de notre pays à rayonner au dehors. Lorsque j'essaie de résumer les choses en les caricaturant, je dis avec une certaine provocation que je ne suis pas le ministre des vieilles pierres et des troubadours, malgré tout le respect que j'ai pour eux.

Dans la France et dans le monde d'aujourd'hui, la politique culturelle est le coeur même de notre identité, de notre rayonnement, de notre capacité à être reconnus pour ce que nous sommes. Cette responsabilité de l'Etat n'est pas perdue. Elle demeure ; elle est une constante, et elle inspire mon action à la tête de ce ministère, dont vous rappelez à juste titre qu'il est loin de ressembler à « un long fleuve tranquille ». Mais c'est un fleuve qui sait d'où il vient et où il va, même si parfois ses perspectives - je pense à la création artistique contemporaine - ne sont pas toujours aisées à discerner et à comprendre immédiatement. De plus, son cours est plus fort que bien des écueils.

Ce budget, ce ne sont pas seulement les « deniers du rêve », selon l'expression de Jacques Rigaud ; ce n'est pas le budget du « supplément d'âme ». Je ne veux pas que la Rue de Valois soit considérée comme une sorte de cerise sur le gâteau, comme le lieu où sont gérés les loisirs intelligents. Nous sommes au coeur du rayonnement de l'activité et de l'influence de nos concitoyens et de notre pays.

Je veux vous faire partager ma conviction que la culture et la communication - pour moi, les deux sont intimement liées - constituent la force motrice de notre identité nationale et de notre rayonnement international, que ce sont aussi des industries et des emplois, facteurs de développement économique, que ce sont enfin des instruments essentiels de l'aménagement du territoire et de la cohésion nationale.

Tels sont les objectifs de la politique culturelle, au-delà des chiffres et au-delà de la gestion, dont je dois naturellement vous rendre compte avec précision.

Les chiffres augmentent, dans une proportion importante, comme vous l'avez relevé : 5, 9 % et même 6, 5 % à périmètre constant. La gestion est marquée, comme vous l'avez également souligné, par une contribution importante, que vous avez bien voulu qualifier d'exemplaire, en matière de réforme de l'Etat et d'application de la loi organique, de la nouvelle « constitution financière » de la France, à laquelle la Haute Assemblée et votre commission des finances en particulier ont pris une très grande part. Je partage votre souci d'unité de l'action culturelle de l'Etat. Je suis d'ailleurs en train de réfléchir à la manière d'organiser, au-delà de la concertation, l'unité nécessaire de l'ensemble de l'Etat en matière culturelle, qu'il s'agisse du ministère, de l'administration centrale, des directions régionales ou des grands établissements publics.

Pour répondre à vos questions, j'aborderai un sujet qui a beaucoup défrayé la chronique et qui vous tient à coeur : la Réunion des musées nationaux, la RMN. Cet établissement subit depuis de longs mois une crise liée, d'une part, au caractère déficitaire de son activité commerciale, et, d'autre part, à l'évolution engagée depuis plusieurs années, tout particulièrement dans la période 2002-2003, qui a profondément modifié le paysage institutionnel, en instituant des moyens d'autonomie au bénéfice des plus grandes institutions muséographiques. Devant vous, je veux dire la confiance et l'importance que j'accorde à la Réunion des musées nationaux.

Je porte une attention toute particulière à cet acteur prestigieux et irremplaçable des échanges culturels internationaux. Je suis très attentif à sa mission de spécialisation et de mutualisation de moyens pour les musées nationaux. J'attache enfin, vous le savez, une importance particulière au rôle qu'elle doit avoir au service des musées en région. C'est là un champ extraordinaire de renforcement de son activité pour que son concours ne soit pas limité aux lieux et établissements les plus prestigieux de l'Etat, et pour que le travail d'ingénierie culturelle puisse se faire au bénéfice des musées en région.

La nomination prochaine d'un nouveau responsable à la tête de la RMN me permettra de détailler publiquement les missions que le Gouvernement entend confier à cet établissement, qui doit retrouver son rôle essentiel d'instrument d'une politique culturelle. Cette mission passe bien sûr par une réduction du déficit commercial et par l'attribution prioritaire de ses moyens financiers au développement d'une politique de coopération et de prestation d'ingénierie culturelle au bénéfice des musées nationaux n'ayant pas l'autonomie juridique des musées en région.

Une réflexion stratégique doit donc être poursuivie pour faire évoluer l'établissement dans le respect de son histoire, pour lui permettre de valoriser au mieux la compétence de son personnel et pour moderniser son activité, notamment dans le contexte de la décentralisation culturelle.

Je rappelle que j'ai conforté, il y a quelques mois, le rôle de l'établissement dans son métier d'organisateur d'exposition de niveau international en assurant son maintien au sein des Galeries nationales du Grand Palais, dans le cadre des travaux de restauration prévus sur le monument. La politique d'acquisition est évidemment très importante. L'Etat ne doit pas se désengager et il se doit d'exprimer sa gratitude et sa reconnaissance, aujourd'hui, à un certain nombre de mécènes privés qui permettent l'addition des concours et des opérations très exceptionnelles d'augmentation du patrimoine national dans cette discipline.

S'agissant des architectes, ils sont au coeur de mes préoccupations. Statutairement, de nombreux parlementaires relaient les inquiétudes de ces professionnels sur le port du titre d'architecte.

Afin de préparer la rédaction de l'ordonnance devant être prise à la suite de l'adoption du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, un projet de texte a été transmis au Conseil national de l'ordre des architectes pour discussion. Les architectes ont ardemment et publiquement fait connaître leur point de vue ; ils ont été entendus par le ministère. De la même manière que d'autres catégories de la population relevant du ministère de la culture et de la communication, je pense notamment aux artistes et aux techniciens qui ont, avec force, à exprimer un certain nombre de revendications, j'ai personnellement reçu les architectes avec beaucoup d'attention.

Les conditions d'exercice de la profession réglementée d'architecte sont maintenues et la qualité des professionnels consolidée par une nouvelle formation technique. Le certificat sera obtenu après le diplôme d'architecte délivré à la fin de cinq années d'études dans les écoles d'architecture, diplôme valant grade de master et donc titre universitaire : les titulaires de ce certificat seront appelés architectes diplômés d'Etat.

Par ailleurs, la question des positions arbitraires de certains architectes des bâtiments de France, les ABF, est régulièrement abordée, comme vous l'avez fait, par les parlementaires. Les mesures de compensation ou d'atténuation n'ont pas toujours donné, semble-t-il, les résultats escomptés.

Sachez que les avis conformes des ABF sont depuis plusieurs années susceptibles de recours, formulés par le maire de la commune auprès du préfet de région. Depuis juin 2004, le recours a été étendu à l'ensemble des pétitionnaires qui peuvent introduire un recours auprès du préfet de région. Ces recours sont désormais examinés par une section de la commission régionale du patrimoine et des sites, dont la composition équilibrée réserve, outre la présidence du préfet, autant de sièges aux collectivités territoriales qu'à l'Etat : un pour le préfet, quatre pour les collectivités territoriales et quatre pour l'Etat. De tels recours, émanant des maires comme des pétitionnaires, restent cependant peu nombreux.

De nouvelles évolutions sont envisagées afin de construire, avec les élus, une culture commune et des objectifs partagés.

En premier lieu, il convient d'adapter le périmètre de cinq cents mètres autour des monuments aux éléments du paysage urbain qui fait corps avec le monument - périmètres de protection modifiés ; ces adaptations devront aboutir à une diminution d'un tiers du nombre de dossiers traités.

En deuxième lieu, il convient de hiérarchiser l'action des ABF en leur demandant de travailler en priorité avec les maires et les collectivités territoriales qui s'engagent dans les politiques de sauvegarde, de valorisation et d'enrichissement de leur territoire.

En troisième lieu, enfin, il convient de s'engager, avec les mêmes élus, sur l'ensemble du cadre de vie, qu'il s'agisse des entrées de ville, des lotissements, de la qualité architecturale ou de la rénovation urbaine...

Le travail des ABF et des services départementaux de l'architecture et du patrimoine, les SDAP, pour la qualité générale du cadre de vie, mérite cependant d'être souligné et reconnu : de nombreuses réclamations parviennent également pour protester, en sens inverse, contre le manque de vigilance ou le laxisme de certains ABF. En cette matière comme en d'autres, il est difficile d'atteindre, en permanence et partout sur le territoire national, le juste équilibre.

Pour aider à la concertation, le rapprochement actuel des SDAP et des DRAC est en cours dans le cadre d'une concertation qui précédait les circulaires du Premier ministre enjoignant aux préfets de département d'inscrire les SDAP dans le pôle culture placé auprès de préfets de région et animé par les directeurs des DRAC. La réforme et la LOLF sont en cours dans ce ministère sans tabou, mais dans la concertation.

S'agissant du patrimoine, j'évoquerai rapidement ce thème essentiel puisque nous y reviendrons à plusieurs reprises.

Au-delà du respect du passé, il s'agit, pour notre pays, de son rayonnement, de son activité et de son audience internationale. Vous avez, à juste titre, énuméré les difficultés de la gestion financière que nous avons connues. Je ne reviendrai pas loin dans le passé, mais vous savez très bien que les difficultés ont pour origine la tempête de 1999, la mise en place de certains crédits exceptionnels particulièrement légitimes, le rythme décalé des dépenses effectives des crédits et donc des opérations en dents de scie concernant les crédits de paiement.

J'ai la franchise de vous dire que, pour l'exercice 2005, il s'agissait, évidemment, d'une sorte d'opération de vérité, car les marges de manoeuvre qui tenaient aux reports de crédits ont maintenant disparu. Cela m'a donc amené, tel l'éternel mendiant que je suis, à tirer, à plusieurs reprises, la sonnette d'alarme auprès du Premier ministre afin que des crédits exceptionnels supplémentaires soient mis en oeuvre dans le cadre des mesures de gestion de la loi de finances rectificative et du budget pour 2005.

Au-delà de la reconduction des crédits d'une année sur l'autre, environ quatre-vingts millions d'euros supplémentaires sont aujourd'hui affectés à la restauration de nos monuments historiques. Est-ce suffisant pour faire face à l'ampleur des besoins ? Certes, non. A ce titre, je suis en train de réfléchir à des initiatives nouvelles.

Je m'applique la maxime suivante : il faut toujours aider les gens à vous aider. Je souhaite que tous nos concitoyens prennent conscience de l'importance stratégique qui s'attache à notre patrimoine. Dans cette période où, à cause des délocalisations et d'un certain nombre de conflits, ils ont le sentiment de perdre leur identité, leur racine et les expressions mêmes de leur culture, cet axe est prioritaire. J'y attache beaucoup d'importance. L'Etat ne se désengage pas !

De la même manière, l'Etat ne se désengage pas en proposant un certain nombre de monuments très emblématiques aux collectivités territoriales. Je rappelle que cela repose sur la base du volontariat. Par ailleurs, chaque monument proposé au transfert fera l'objet d'un contrat d'entretien et de restauration. Enfin, si je constatais qu'un monument devrait se retrouver entre les mains d'une collectivité qui n'accepterait pas avec entrain d'en prendre la charge, je ne le lui confierais pas. Je lis, de ce point de vue, avec beaucoup d'attention les réactions qui se manifestent partout sur le territoire national.

Nous avons élaboré une première liste, qui est soumise aujourd'hui à la concertation interne du ministère. En effet, c'est l'honneur de celles et ceux qui travaillent au sein des musées nationaux que d'avoir quelquefois des états d'âme puisqu'ils ont consacré leur ardeur et leur énergie à ce sujet. La liste sera, ensuite, proposée au Conseil d'Etat ; puis elle fera l'objet, tout au long de 2005, de discussions avec les collectivités territoriales, sur la base du volontariat.

Je reviendrai sur toutes ces questions. Toutefois, voilà ce que je souhaitais préciser d'emblée.

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