Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai l'honneur et le plaisir de vous présenter pour la première fois le budget du cinéma et du théâtre dramatique, puisque je remplace notre collègue, ancien rapporteur pour avis, M. Marcel Vidal, que je tiens à saluer ici.
Le cinéma s'inscrit dans une tendance favorable qui connaît, certes, des fluctuations, mais qui enregistre aussi des signes positifs, que ce soit en termes de production et d'investissements, de fréquentation des salles ou de parts de marché des films français.
Mais ce dynamisme, unique en Europe, peut se trouver menacé. J'évoquerai trois défis auxquels le secteur cinématographique se trouve confronté. Ces défis nécessitent la mobilisation des professionnels, mais aussi celle des pouvoirs publics, qu'il s'agisse du fléchissement des exportations de films, du problème du téléchargement illégal sur Internet ou du débat sur les règles d'éligibilité au compte de soutien géré par le Centre national de la cinématographie.
Tout d'abord, la commission des affaires sociales s'inquiète du bilan très mitigé de l'exportation des films français, en raison d'un recul préoccupant du nombre d'entrées à l'étranger : moins 12, 7 % en 2003, avec 48 millions d'entrées. Il est vrai que ce résultat s'explique pour l'essentiel par la baisse de fréquentation relevée en Europe : de moins 8 % à moins 15 % selon les pays.
Cela me semble être une raison supplémentaire pour défendre en Europe une politique de soutien au cinéma. Pourtant, notre dispositif de soutien au cinéma semble menacé par Bruxelles, qui, de plus, nous demande de mettre fin à notre régime dérogatoire en matière de publicité télévisée pour le cinéma.
Ensuite, le téléchargement illégal de films via Internet risque de fragiliser le financement de la création.
Après celui de la musique, le secteur du cinéma est en effet victime de ce type de pratiques et plusieurs études récentes ont permis d'en mesurer l'ampleur et l'impact sur l'économie de cette industrie.
On évalue ainsi à huit millions le nombre de téléchargements de films par semaine. Sept « téléchargeurs » sur dix déclarent avoir diminué leurs achats et locations de supports vidéo et deux sur dix avouent moins fréquenter les salles de cinéma depuis qu'ils s'adonnent à ce que l'on appelle la « piraterie ».
Selon une étude du Centre national de la cinématographie, du 12 août 2003 au 31 juillet 2004, 36 % des films sortis en salles ont été piratés sur Internet et les films français qui génèrent le plus de recettes sont, en toute logique, les plus menacés, puisque les cinquante films français piratés pendant cette période représentent 70 % des entrées en salles.
Les réflexions sur les modalités de la lutte contre cette piraterie ont été très nombreuses depuis un an, avec des colloques - dont l'un s'est d'ailleurs tenu au Sénat -, la poursuite de la mission Chantepie-Berninau, entre autres.
La commission des affaires culturelles considère que la politique à mener devra conjuguer des réponses variées, adaptées aux différents secteurs du marché.
Cette politique devra comprendre trois volets.
Le volet éducatif est fondamental.
Le volet répressif devrait essentiellement concerner les « pirates professionnels » auxquels cette activité illégale procure des profits. A cet égard, des moyens techniques de dissuasion et de sanction ne pourraient-ils être trouvés, le recours au droit pénal paraissant peu adapté au plus grand nombre ?
Enfin, dernier volet, les professionnels doivent développer des offres légales suffisamment attractives de cinéma sur Internet ou de vidéo à la demande.
Dans le domaine de la musique, les professionnels se rapprochent actuellement des plateformes de peer to peer, afin de mettre sur le marché une offre légale qui permettrait d'accomplir une « conversion » en douceur des téléchargeurs.
Le cinéma pourrait, lui aussi, profiter de ces technologies de distribution. Mais de nouveaux systèmes d'échanges ne risquent-ils par d'apparaître ? Par ailleurs, quelle place conviendra-t-il de réserver à la vidéo à la demande dans la chronologie des médias ?
Au total, monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire où en est le « plan de bataille » contre la piraterie dans le domaine du cinéma et quelle politique le Gouvernement entend poursuivre dans ce domaine en 2005 ?
Enfin, le débat concernant l'utilisation du fonds de soutien à la production cinématographique et audiovisuelle est loin d'être clos.
Nous souhaitons connaître votre position sur cette question qui agite les producteurs concernant l'agrément et les aides allouées par le Centre national de la cinématographie, pour des films coproduits par une société à capitaux partiellement extra-européens ou pour lesquels une telle société est producteur délégué.
Je rappelle à cet égard que le tribunal administratif de Paris a récemment annulé les agréments délivrés par le Centre national de la cinématographie au film l'Ex-femme de ma vie, de Josiane Balasko, pour lequel une société détenue à 32 % par une société américaine est coproducteur, bien qu'elle n'intervienne que pour une part marginale dans le financement de ce film. En outre, les statuts de celle-ci prévoient qu'elle produira exclusivement des films en langue française et tournés en France.
Cette même société est producteur délégué du film Un Long dimanche de fiançailles, de Jean-Pierre Jeunet, dont le même tribunal vient également d'annuler l'agrément. Elle devra donc renoncer à 11 millions d'euros de financement au titre du fonds de soutien. Cette situation n'est-elle pas paradoxale, s'agissant d'un film entièrement tourné en France, en langue française, par un réalisateur français et avec une équipe technique et artistique française ?
La commission des affaires culturelles se réjouit que la plupart des dispositions préconisées par le plan d'action en faveur du cinéma, présenté par le Gouvernement en 2003, soient aujourd'hui entrées en application et commencent à porter leurs fruits. Mais, alors que nous luttons pour « relocaliser » les productions en France et que nous défendons notre système de soutien à la production cinématographique, non pas au titre d'un quelconque protectionnisme économique mais au titre d'une nécessaire régulation, afin que subsiste une diversité culturelle, ne pensez-vous pas, monsieur le ministre, que les critères retenus par le Centre national de la cinématographie mériteraient d'être révisés et de quelle façon devraient-ils l'être ?
J'en viens, monsieur le ministre, à deux questions concernant le théâtre et, plus généralement, le spectacle vivant.
La commission des affaires culturelles soutient pleinement les priorités que vous entendez mettre en oeuvre pour la politique du théâtre en 2005. Je les cite rapidement : la recherche d'un meilleur équilibre entre la production et la diffusion des oeuvres, le renforcement du lien entre les institutions et les artistes et de la relation entre la formation et l'emploi, ainsi que la poursuite de la politique d'évaluation des structures.
Tous ces axes sont essentiels pour l'avenir de la création culturelle dans notre pays. Mais je m'interroge sur la traduction de ces priorités dans le budget pour 2005, qui ne prévoit notamment qu'une hausse de 2, 6 % de l'aide aux compagnies indépendantes. Cette modeste progression vous semble-t-elle constituer une réponse suffisante au besoin d'un véritable plan d'urgence pour ces compagnies, dont l'économie se révèle malheureusement fragile ?
Par ailleurs, monsieur le ministre, je souhaite vous faire part de ma vive inquiétude quant à la perte de revenus du Centre national de la chanson, de la variété et du jazz, le CNV, qui résulterait d'une disposition excluant l'ensemble des musiques traditionnelles du champ de la taxe sur le spectacle.
Le CNV, qui a attribué près de 11 millions d'euros pour l'aide à la construction de salles et la production de spectacles l'année dernière, doit être en mesure d'assurer sa mission d'aide au spectacle vivant qui est essentielle dans un contexte difficile pour la filière musicale dans son ensemble.
Enfin, la commission des affaires culturelles salue votre réelle implication dans le dossier de l'intermittence du spectacle et votre souci du dialogue.
Je rappelle que le recours à l'intermittence comme modèle dominant de l'emploi artistique s'est traduit par une aggravation du déficit du régime d'assurance dont bénéficient les salariés relevant des annexes VIII et X à la convention générale d'assurance chômage et qu'en un peu plus de dix ans le nombre des intermittents a plus que doublé - pour atteindre 102 000 en 2001 -, les allocations servies ayant elles-mêmes quadruplé.
Nous savons tous que la réforme de ce régime, fixée par l'accord du 26 juin 2003, n'apportait que des réponses imparfaites aux problèmes posés par la crise que traverse le spectacle vivant.
Depuis lors, vous avez engagé un certain nombre d'actions, développé la concertation avec l'ensemble des acteurs concernés et confié différentes missions à des experts, afin de mieux connaître l'économie du secteur et de mettre en place un fonds provisoire d'indemnisation, de réfléchir à la délimitation du périmètre des annexes VIII et X et de tracer des pistes pour bâtir un nouveau régime d'assurance chômage.
Je rappelle que la commission des affaires culturelles a contribué au débat, au travers des travaux du groupe de réflexion chargé d'examiner les conditions de la création culturelle dans notre pays, qu'elle a mis en place au Sénat.
Les conclusions et propositions du rapport qu'elle a publié en juillet dernier sont d'ores et déjà pour partie relayées par l'action du Gouvernement et elle s'en réjouit.
Dans l'attente d'un débat sur ce sujet essentiel au sein de notre Haute Assemblée, je souhaite, monsieur le ministre, que vous puissiez établir un premier bilan du plan de lutte engagé par le Gouvernement contre les abus du recours à l'intermittence, des conséquences de l'accord de 2003 sur les comptes de l'UNEDIC et du recours au fonds spécifique mis en place en juillet dernier.
Pouvez-vous, enfin, esquisser les voies du régime à venir ?
Je conclurai mon propos en vous indiquant que la commission des affaires culturelles a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du cinéma et du théâtre dramatique pour 2004.
Je tiens néanmoins à rappeler que la forte mobilisation des acteurs publics en faveur du cinéma, du théâtre et, plus généralement, du spectacle vivant, recouvre certes les actions de l'Etat, mais aussi, il ne faut pas l'oublier, l'effort considérable des collectivités territoriales.